Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 12 juillet 2010 à 15h00
Action extérieure de l'état — Discussion des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc parvenus à l’ultime étape parlementaire de ce projet de loi, tant attendu, relatif à l’action extérieure de l’État. J’ai envie de dire que nous revenons de loin… mais que, malheureusement, on ne nous a pas donné la possibilité d’aller encore plus loin !

Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, le texte qui nous est présenté cet après-midi a été adopté par la majorité, l’opposition – les groupes socialiste et CRC-SPG - s’étant pour sa part abstenue. Il est sans commune mesure avec celui qui avait été adopté par le conseil des ministres et déposé sur le bureau du Sénat voilà un an. Les travaux effectués en commission et en séance publique par chacune des deux assemblées nous ont en effet permis de donner un peu de chair et de sang à ce texte initialement exsangue.

Pourtant, la déception demeure au regard de l’espoir qu’ont fait naître vos discours, monsieur le ministre. Certes, vous avez, si vous me permettez l’expression, « débloqué la machine » enrayée, en réaction au constat inquiétant sur la vitalité de notre diplomatie culturelle, et nous vous reconnaissons volontiers le mérite d’être à l’origine de ce projet de loi. Seulement, nombre des préconisations issues des multiples travaux qui se sont déroulés en divers lieux, en particulier au sein de la Haute Assemblée, n’ont pas été reprises.

Notre collègue Yves Dauge, alors député, tirait la sonnette d’alarme voilà près de dix ans déjà. Depuis, les auteurs de nombreux rapports et avis budgétaires ou rapports d’information – je ne citerai que celui de nos collègues MM. Legendre et de Rohan, adopté à l’unanimité par les commissions de la culture et des affaires étrangères, dont ils sont les présidents respectifs –, n’ont eu de cesse de réclamer un nouveau souffle pour une réforme réellement ambitieuse de notre politique culturelle extérieure, véritable et efficace diplomatie culturelle de la France.

Il en va de même de l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE, comme peuvent d’ailleurs en témoigner tous mes collègues sénateurs des Français établis hors de France, qui sont aussi membres de droit de cette instance.

Je puis également assurer que de nombreux Français établis hors de France, ayant une parfaite connaissance du réseau culturel à l’étranger, ont pris ce sujet à bras-le-corps et ont formulé de très intéressantes propositions.

Hélas, le texte reste bien en deçà des espérances suscitées !

Dans de telles conditions, nous ne pouvons que déplorer que votre gouvernement, monsieur le ministre, ait une nouvelle fois engagé la procédure accélérée. La seconde lecture dont le Parlement est ainsi privé aurait assurément été extrêmement bénéfique. Il est vrai que M. Darcos, futur président de l’Institut français, a été nommé voilà déjà plus d’un mois, très exactement lors du conseil des ministres du 7 juin, ambassadeur, « chargé de mission pour l’action culturelle extérieure de la France » : maintenant, bien sûr, il faut aller vite !

À l’origine, la principale ambition de ce texte était de créer une grande agence culturelle à laquelle se serait raccordé l’ensemble du réseau culturel français à l’étranger. Vos ambitions, monsieur le ministre, ont vite été revues à la baisse – mais pas celles des parlementaires !

Ainsi, je me félicite que nos collègues de l’Assemblée nationale aient introduit dans le projet de loi des dispositions que notre groupe avait vainement proposées lors de l’examen du texte par le Sénat.

Je pense, par exemple, à l’objectif de la fusion du réseau culturel de la France à l’étranger, composé de quelque 140 établissements, avec l’établissement public Institut français : le texte, cette fois, l’envisage clairement. L’article 6 ter précise en effet qu’au moins dix missions diplomatiques constituant un échantillon représentatif de la diversité des postes vont conduire une expérimentation durant trois ans et que chaque année, durant ce laps de temps, le Gouvernement présentera un rapport d’évaluation des résultats devant le Parlement.

Cette réforme avait pour ambition claire de rendre plus cohérente et donc plus convaincante, plus conquérante, notre action culturelle extérieure. Par conséquent, il importe que l’Institut français, basé à Paris, et chacun des instituts et centres culturels se nourrissent mutuellement de leurs réflexions, choix stratégiques et choix de programmation. Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que, pour « emporter vers notre culture », pour susciter ce désir de France que nous souhaitons tant voir naître, il faut d’abord s’ouvrir aux autres, développer sa capacité d’écoute, accepter de découvrir de nouvelles choses et de se laisser surprendre, et donc donner aux directeurs des centres toute latitude pour programmer également des artistes locaux et promouvoir ainsi la culture du pays d’accueil.

Par ailleurs, et toujours afin de parvenir à la meilleure coordination possible entre « la tête et les jambes », nos collègues de l’Assemblée nationale ont encore amélioré l’article 6, déjà utilement complété par les sénateurs, pour ce qui concerne la formation et le recrutement des agents.

Nos universités forment d’excellents cadres de l’action culturelle, désireux de servir les intérêts de la France à l’étranger. Mais pour satisfaire ce désir, encore faut-il offrir les possibilités de carrière auxquelles ces jeunes aspirent légitimement. Or jusqu’à présent, je n’ai pas peur de l’affirmer, il est très difficile de faire carrière dans le réseau culturel à l’étranger, sauf à être diplomate, mais, alors, le réseau culturel est, reconnaissons-le, souvent choisi par défaut, en attendant mieux.

Les deux mots formant l’expression « diplomatie culturelle » sont importants. On ne dirige pas un institut ou un service de coopération et d’action culturelle, ou SCAC, sans une formation adéquate. Il faut donner à tous ceux – et ils sont nombreux – qui souhaitent s’orienter vers cette filière une formation spécifique et leur offrir des perspectives de carrière suffisamment attrayantes, tant à l’intérieur du réseau qu’au sein de la nouvelle agence.

Le droit de regard dont disposera l’Institut français sur la nomination et la carrière des personnels du réseau augmentera, nous l’espérons, les chances de parvenir à une gestion harmonieuse des ressources humaines.

Cela étant dit, le choix du statut de l’Institut français ne favorisera, je le crains, ni les possibilités de passerelles au cours de la carrière entre la nouvelle agence et le réseau ni, plus généralement, la fameuse synergie recherchée. Et je nourris de profondes inquiétudes quant aux difficultés et au coût de leur fusion future, pourtant indispensable.

En effet, l’Institut français sera un EPIC, et non un EPA, au même titre que l’AEFE, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, le Louvre, le musée d’Orsay, le Centre Pompidou, notamment.

Symboliquement, le choix de ce statut a une portée très forte. Il sous-entend une conception de la culture gérée de manière commerciale, animée par la recherche première du profit et donc de financements privés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion