Intervention de Dominique Watrin

Réunion du 6 mars 2012 à 14h30
Gouvernance de la sécurité sociale et mutualité — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est un fait, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, contre laquelle le groupe CRC s’est fortement mobilisé, a eu pour effet de contribuer à l’étatisation de notre système de santé, au détriment d’une réelle démocratie sanitaire de proximité.

En l’espèce, je pense, par exemple, au sort réservé aux caisses régionales d’assurance maladie : elles ne sont pas seulement devenues des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, en gagnant il est vrai quelques compétences ; elles ont surtout perdu, au profit des directeurs des agences régionales de santé, une compétence majeure, à savoir la gestion du risque.

En effet, la gestion du risque relève aujourd’hui de la compétence exclusive des directeurs d’ARS, qui sont de véritables « superpréfets » sanitaires ayant la haute main tout à la fois sur la gestion du risque et sur l’organisation de l’offre de soins dans les régions. Il s’agit d’une concentration inédite des pouvoirs là où le partage des responsabilités était la règle, mais surtout là où l’intervention des usagers et des salariés était plus forte.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité en ce qu’elle vise à acter dans la loi la fusion de la CRAM d’Alsace-Moselle avec la CRAV de ce même territoire en une CARSAT comme il en existe, depuis l’adoption de la loi HPST, dans toutes les régions de France, exception faite de l’Île-de-France.

Nous ne l’ignorons pas, cette décision traduit une certaine volonté locale, exprimée par le conseil d’administration de chacune des deux caisses, consultées en mars 2010. Cependant, nous sommes sceptiques quant aux avantages qui en découleraient.

En effet, les autres exemples de fusion sur le territoire ont été plus souvent synonymes de réduction d’effectifs, d’accumulation de retards et de désorientation des usagers que de plus-values mesurables pour les salariés et les retraités. Les fusions semblent correspondre davantage à une volonté de réduire les coûts qu’à celle de renforcer les droits et la protection des usagers. Et la fusion dont il est ici question ne fait pas exception à la règle.

Si nous pouvons entendre les arguments développés en faveur de la fusion, à savoir le renforcement de l’identité territoriale, la réduction du risque de concurrence entre les deux caisses et l’amélioration du fonctionnement des structures, nous imaginons mal les avantages concrets qui pourraient en résulter au bénéfice des salariés et des retraités.

Cette fusion entraînera – ou a déjà entraîné – la suppression de plus de 200 postes, par le biais du non-remplacement d’un départ à la retraite sur trois. Cette réduction d’effectifs, conforme à l’esprit de la révision générale des politiques publiques, couplée à l’augmentation progressive du nombre de retraités, nous fait craindre une détérioration du service rendu aux usagers.

Aussi, malgré le consensus apparent des parlementaires de ces territoires, le groupe CRC s’abstiendra sur cette disposition.

En effet, cette volonté locale ne saurait s’abstraire d’une analyse nationale fondée sur le modèle social que nous souhaitons et sur la politique d’emploi public que nous voulons pour l’ensemble de notre pays.

De la même manière, nous considérons que la disposition relative aux mécanismes d’adhésion au régime local d’assurance complémentaire prévue également à l’article 1er est ambiguë.

En l’état actuel du droit, peuvent être affiliées à ce régime local non seulement les personnes qui travaillent dans l’un de ces trois départements, mais également celles qui résident et travaillent dans un autre département, dès lors que le siège social de l’entreprise qui les emploie se trouve également dans l’un de ces trois départements.

Or la proposition de loi prévoit de supprimer cette possibilité, alors que, au moment même où nous examinions cette proposition de loi en commission, celle-ci se prononçait pour l'extension de ce régime à toute la France ! Avouez que c’est tout de même paradoxal, d’autant que la possibilité demeure pour le régime agricole.

Là encore, l’argument de la complexité n’est pas satisfaisant : pourquoi ce qui est possible pour le régime agricole ne le serait-il pas pour le régime salarié ?

Sans doute aurait-il été opportun de consulter localement les usagers sur ces deux dispositions pour savoir ce qu’ils en pensent. En effet, ils sont nombreux à craindre, notamment parmi les administrateurs des caisses, que la fusion, couplée à cette mesure, ne soit le prélude à un alignement sur le droit commun et donc à la disparition du régime local.

Pour conclure, je voudrais dire quelques mots sur le troisième et dernier article de cette proposition de loi, relatif au Conseil supérieur de la mutualité.

Comme le rappelle, à raison, l’auteur de la proposition de loi, le Conseil supérieur de la mutualité est l’instance officielle et nationale de représentation de la mutualité en même temps qu’il permet un dialogue institutionnalisé avec les pouvoirs publics.

Pour autant, bien que le code de la mutualité lui confie un rôle charnière dans le mouvement mutualiste, force est de constater que le Conseil supérieur de la mutualité demeure une « coquille vide » : comme l’a rappelé Mme la rapporteure, il ne se réunit que de manière très aléatoire.

Ainsi, en juillet 2007, le site internet www.lavieeco.com titrait que le Conseil supérieur de la mutualité reprenait du service après quarante ans d’hibernation, précisant : « Le Conseil supérieur de la mutualité a tenu, en mai dernier, sa deuxième réunion depuis sa création... en 1966, la première réunion ayant eu lieu en 1967. » Voilà qui ne peut que nous interpeller !

À cet égard, je veux profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour demander au Gouvernement les raisons pour lesquelles il s’est abstenu de consulter le Conseil supérieur de la mutualité lorsqu’il a opté pour la mesure scandaleuse qu’a constitué le doublement de la taxe sur les mutuelles responsables.

Cela dit, nous n’ignorons naturellement pas la réalité, et nous savons pertinemment que, dans les faits, la Fédération nationale des mutuelles de France est surreprésentée dans ces instances, du fait même de sa force, puisque 95 % des mutuelles environ y adhèrent. Mais nous ne pouvons nous satisfaire d’arguments relatifs à la lourdeur technique et économique liés à l’organisation d’élections pour justifier qu’on les supprime.

Le processus démocratique est une construction permanente qui mobilise, par définition, des moyens techniques, humains et financiers. En faisant primer ces considérations sur l’exigence de démocratie, nous craignons d’ouvrir une brèche que l’on pourrait, demain, nous opposer dans d’autres secteurs.

Là encore, le groupe CRC s’abstiendra sur cette disposition, et sera extrêmement vigilant sur la rédaction du décret qui sera pris en Conseil d’État, afin que soit pleinement respecté ce principe fondateur et fondamental pour le mouvement mutualiste : chaque adhérent compte pour une voix.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRC s’abstiendra sur cette proposition de loi.

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