Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 6 mars 2012 à 14h30
Traitement des données à caractère personnel — Discussion d'une proposition de résolution européenne

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, président de la commission des lois :

L’un des candidats à l’élection présidentielle a fait des propositions qui ont dû vous intéresser concernant la désignation du ministre de la justice, monsieur Mercier !

Nous demandons instamment au Gouvernement, disais-je, de préserver résolument ce qui touche à la protection des droits les plus fondamentaux de la personne, à la défense du faible contre le fort. Pour nous, la construction européenne n’a de sens que si elle élève le niveau de la protection commune, sans interdire à certains États membres d’aller au-delà avant d’être rejoints plus tard par les autres. Personne ne comprendrait, monsieur le ministre, que le règlement européen amène un recul par rapport aux dispositions qui existent aujourd'hui dans notre pays en matière de protection des libertés publiques, des libertés personnelles et de la vie privée.

En troisième lieu, je voudrais évoquer la question de la législation déléguée.

La proposition de règlement renvoie près d’une cinquantaine de fois à des actes délégués ou à des actes d’exécution adoptés par la Commission européenne pour compléter la législation européenne. Le nombre et l’importance de ces renvois posent problème au regard du principe de subsidiarité, car ils confèrent tant de pouvoir à la Commission européenne que l’on en vient à penser que c’est au détriment du législateur européen et des législateurs nationaux, ainsi que des autorités de contrôle nationales, telle la CNIL.

La présente proposition de résolution fait état de cette question, qui est aussi traitée par la proposition de résolution portant avis motivé sur la subsidiarité présentée par la commission des affaires européennes.

En quatrième et dernier lieu, je voudrais aborder la question très sensible du « guichet unique ».

Si le règlement européen devait établir que le droit applicable et les instances compétentes seront ceux du pays d’implantation de l’établissement principal du site internet concerné, cela pourrait poser un grave problème pour la défense de nos libertés.

Prenons l’exemple de Facebook, dont le siège est installé en Irlande. Aux termes de la proposition de règlement, le droit irlandais s’appliquerait en cas de litige. Or il est beaucoup moins protecteur des libertés individuelles, des libertés publiques et de la vie privée que le droit français…

Une telle situation serait incompréhensible pour les citoyens européens et pourrait entraîner une déperdition inacceptable en termes de défense de droits fondamentaux. C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement de veiller tout particulièrement à ce qu’un tel dispositif ne soit pas inscrit dans le règlement européen. Son objet principal, nous dit-on, est d’élever le niveau de protection des données personnelles, mais sa mise en œuvre serait paradoxalement plus favorable au responsable de traitement des données, qui pourrait choisir le droit en vertu duquel il sera jugé, qu’au citoyen, qui devrait obligatoirement s’adresser aux juridictions ou aux instances de contrôle et de régulation du pays où est établi son adversaire. Une telle dissymétrie est inacceptable, d’autant qu’elle se conjuguerait à la disproportion considérable des moyens des parties.

Il est déjà difficile, pour un simple citoyen, de déposer plainte contre un grand site mondial pour atteinte à la vie privée, violation du droit d’auteur, injure ou diffamation – de telles infractions sont constatées tous les jours –, mais s’il doit de surcroît aller plaider à l’étranger, par exemple en Irlande, il lui sera presque impossible de faire valoir son droit face à la partie adverse, dont les moyens sont en outre considérablement plus importants…

Nous ne pouvons pas accepter une telle insécurité juridique, nous ne pouvons pas accepter l’amoindrissement des garanties qui existent aujourd'hui en matière de protection des libertés dans la République française.

Les mécanismes de coordination prévus par le texte ne remédient pas à l’affaiblissement, par ce dispositif, du droit du citoyen européen à un recours effectif, exercé auprès de l’autorité qui lui est la plus accessible, en l’occurrence les tribunaux français ou la CNIL pour les citoyens français.

La proposition de résolution préparée par la commission des affaires européennes, débattue et votée par la commission des lois, invite par conséquent le Gouvernement à défendre avec fermeté l’abandon de ce critère d’attribution de compétence au profit du principe, déjà connu en droit de la consommation, de la compétence de l’autorité de l’État membre où réside le plaignant. §

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