Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 6 mars 2012 à 14h30
Traitement des données à caractère personnel — Vote sur l'ensemble

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, rappelons que l’objet de la directive de 1995, transposée en droit français par la loi du 6 août 2004, est de mettre en place un cadre réglementaire visant à établir un équilibre entre un niveau élevé de protection de la vie privée des personnes et la libre circulation des données à caractère personnel au sein de l’Union européenne.

La nécessité de réviser cette directive ne fait aujourd’hui aucun doute – tel est l’objet de cette proposition de résolution européenne –, non seulement pour l’adapter aux technologies du XXIe siècle, au premier rang desquelles internet, mais aussi pour mieux encadrer les transferts internationaux de données personnelles et réduire les divergences entre États membres dans la mise en œuvre de cette directive.

En première analyse, il apparaît que le texte renforce les droits – portabilité, droits à l’oubli, etc. –, autant d’avancées extrêmement intéressantes. Mais, à d’autres égards, il peut susciter quelques inquiétudes.

Tout d’abord, le nouveau texte communautaire risque d’accentuer la concurrence intracommunautaire et, in fine, de diminuer le niveau de protection en matière de données personnelles.

Ensuite, il construit une gouvernance du groupe européen des autorités de protection, le G29, dans laquelle la Commission européenne retrouve énormément d’importance. Or cette forme de recentralisation de la gouvernance du G29 au niveau de la Commission ne me paraît pas en adéquation avec le monde décentralisé du numérique.

Par ailleurs, comme cela est relevé dans la proposition de résolution, la volonté de la Commission de retenir désormais le critère du « principal établissement » d’un responsable de traitement pour désigner l’autorité de protection compétente questionne le législateur national, garant des libertés individuelles. Ce critère mènerait à des situations où des atteintes à des données personnelles de nos concitoyens ne seraient plus du ressort de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Or la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés risque forcément d’interagir avec d’autres lois nationales – fiscales, ressources humaines, etc. L’autorité irlandaise, compétente dans un cas donné, l’appliquera-t-elle ? Rien n’est moins sûr...

En outre, ce texte communautaire pourrait avoir des conséquences économiques très préjudiciables, en favorisant les délocalisations d’entreprises vers des États dont les autorités de protection des données personnelles privilégient une approche plus souple et moins exigeante que celle qui est retenue par la France.

Soyons réalistes : pour les acteurs du numérique, cela conduirait à transférer la charge de régulation sur l’Irlande, le Royaume-Uni, voire le Luxembourg. Par effet induit, on risque d’avoir une baisse de la protection des données personnelles en Europe, alors que l’on est dans une situation internationale de très forte concurrence sur les questions de données personnelles.

Dans un contexte de dématérialisation des actes de la vie courante et de développement exponentiel des réseaux sociaux et des échanges de données personnelles de nos concitoyens, la protection de ces dernières doit être un sujet de préoccupation majeure du Gouvernement, et c’est bien au législateur national que revient le devoir de le lui rappeler à travers la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.

Un haut niveau de protection en Europe constitue un avantage concurrentiel. Ce n’est justement pas le moment de baisser le niveau de protection, car c’est un facteur d’attraction pour les entreprises, qui vont bénéficier d’un niveau de protection juridique qu’elles ne rencontreront nulle part ailleurs dans le monde, et, pour les consommateurs, c’est un gage de confiance.

La réflexion sur l’avenir de la protection des données personnelles et de la vie privée en Europe ne peut pas être sacrifiée sur l’autel de l’empressement européen. C’est pourquoi, comme l’ensemble des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine, je vais voter cette proposition de résolution qui va incontestablement dans le bon sens et qui se situe dans la continuité des travaux importants réalisés par la commission des lois du Sénat, notamment par mon collègue centriste Yves Détraigne. §

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