Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 12 juillet 2010 à 15h00
Action extérieure de l'état — Suite de la discussion et adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Mais je ne pousserai pas la comparaison, tant les choses sont graves.

Deux anciens ministres des affaires étrangères, et non des moindres, viennent de dénoncer fortement et à juste titre « l’affaiblissement sans précédent des réseaux diplomatiques et culturels » de la France. Vous devriez les écouter, monsieur le ministre.

Il est vrai que le budget de votre ministère n’a jamais été à la hauteur – je vous le dis tout de suite parce que je connais vos arguments pour les avoir lus –, y compris sous des gouvernements de gauche. Vos moyens n’ont jamais été pléthoriques, loin de là, mais, malgré tout, avec un petit budget, les personnels du Quai, tous les personnels, arrivaient à faire fonctionner une machine présente partout dans le monde et chargée d’une très haute mission. Or la situation actuelle est très grave, sans commune mesure avec le passé !

D’amputations en réductions de crédits, ce ministère se trouve confronté aujourd’hui à une nouvelle saignée. La RGPP, la révision générale des politiques publiques, s’acharne depuis plusieurs mois sur les fonctionnaires du ministère ; en supprimant trois emplois sur quatre départs en retraite, vous allez bientôt toucher l’os !

Ce traitement de choc permettra-t-il de réaliser des économies ? Même pas, ou alors à la marge ! Ce sont des économies qui vont nous coûter fort cher en termes de présence de la France, d’action diplomatique, bref de politique extérieure.

Les coûts pour notre pays d’une telle politique aveugle et injuste se font déjà sentir, en France et à l’étranger, et ce n’est pas ainsi que remontera le moral de nos concitoyens, 71 % d’entre eux estimant que la France est en déclin, malgré les atouts dont elle dispose.

Comment faire vivre la politique extérieure française si l’on persiste à dégrader l’outil diplomatique ? Comment développer une politique d’influence précise et opportune si l’on réduit la voilure de nos ambitions internationales ? Comment faire vivre la culture française à l’extérieur en créant des coquilles vidées de leurs moyens financiers ?

Qui fait vraiment la politique étrangère de la France ? Serait-ce, comme on l’entend ici ou là, le secrétaire général de l’Élysée ?

L’Élysée a recréé, rénové, élargi le domaine réservé, véritable plaie démocratique sur le flanc de la Ve République.

Monsieur le ministre, vous êtes coresponsable de cette situation et le Président de la République, le Premier ministre et votre collègue de Bercy ont eux aussi leur part de responsabilité !

De grâce, ne nous dites pas, comme vous le faites dans l’édition du 9 juillet dernier du journal Le Monde, que les crédits augmentent, parce que ce n’est pas vrai !

Les crédits du programme « Rayonnement culturel et scientifique » de la mission « Action extérieure de l’État » ont baissé de 10 % entre 2005 et 2008, de 13 % en 2009 et de 11 % en 2010. Voilà la vérité !

Regardons l’avenir : le plan de rigueur fait peser une lourde contrainte sur le budget de votre ministère, déjà étique. Selon nos informations, dans le cadre de la programmation triennale des finances publiques 2011-2013, les crédits diminueront de 5 % en 2011, de 7 % en 2012 et de 9 % à 10 % en 2013, par rapport à la loi de finances pour 2010.

Les réductions d’effectifs, malgré toutes vos dénégations, vont se poursuivre et même s’accélérer. Certes, les fonctionnaires titulaires seront peut-être épargnés, mais, en revanche, les contractuels et les fonctionnaires détachés seront directement concernés.

Je le répète, nous sommes à la limite de la rupture ; encore quelques dizaines de suppressions de postes et ce sont des dizaines d’établissements, consulats, services culturels et même ambassades qui devront fermer !

Monsieur le ministre, les parlementaires que nous sommes se rendent aussi dans les postes à l’étranger. Nous parlons beaucoup avec les personnels de tous rangs et de tous grades et nous n’entendons pas tout à fait les mêmes paroles que celles que vous tentez de nous faire accroire.

Le malaise est profond. Certes, il n’est pas récent et vous n’en êtes probablement pas seul comptable. Mais ce malaise est durable et il s’aggrave sous votre responsabilité, car, hélas pour vous ! c’est vous qui êtes en ce moment chargé de porter l’estocade.

Attention ! Nous perdons pied au moment même où nos principaux amis et néanmoins concurrents sur la scène internationale font des efforts considérables pour accroître leur influence culturelle et, donc, politique.

Et que dire de la situation de l’aide publique au développement ! En la matière, la France se déshonore en ne tenant pas ses promesses ; le Gouvernement et vous-même allez être obligés d’expliquer pourquoi notre pays ne peut pas tenir ses engagements. M. Sarkozy avait annoncé que, en 2010, nous consacrerions 0, 51 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement. Il avait même promis 0, 7 % à l’horizon 2015 ! En réalité, avec un coup de rabot par-ci, un coup de rigueur par-là, l’APD de la France, dans les deux prochaines années, n’atteindra même pas le niveau, déjà très bas, de 2008, elle sera à peine à 0, 36 %. Là aussi, les masques tombent, les paroles s’envolent et le roi est nu !

D’ailleurs, vous l’avez-vous-même confirmé, monsieur le ministre, si j’en crois le Bulletin quotidien du 18 juin : « La situation n’est pas bonne » et le Président Nicolas Sarkozy va devoir procéder à des arbitrages « pour des choses que je ne peux pas accepter ». En matière d’aide au développement, « nous en sommes cette année à 0, 46 % du PIB alors qu’on devrait être à 0, 7 %, chiffre qu’on n’atteindra jamais si on continue comme cela ». Après les États-Unis, disiez-vous, « on était le deuxième » pays « pour l’aide au développement. L’année prochaine, ça va régresser, on en sera à 0, 41 % du PIB ». Vous poursuiviez : « C’est une période extraordinairement compliquée » et « j’ai honte de penser à quel niveau nous sommes par rapport aux organisations internationales. »

Alors, monsieur le ministre, je vous demande d’écouter ceux qui vous disent qu’il faut cesser d’affaiblir l’appareil diplomatique. Et si vous ne pouvez accepter les mesures qui s’annoncent, n’est-il pas temps de vous remémorer la désormais célèbre formule de notre collègue Jean-Pierre Chevènement, que je n’aurai pas l’outrecuidance de rappeler devant la Haute Assemblée ?

Vous pouvez multiplier les réformes – certaines nécessaires –, développer la création d’instituts et d’agences, mais, monsieur le ministre, sans moyens, c’est la politique extérieure de la France qui étouffe à petit feu.

Je vous poserai une dernière question. Depuis le départ précipité de votre collègue Alain Joyandet, vous avez aussi la redoutable mission de superviser très directement Audiovisuel extérieur de la France, AEF. Ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, dans cette période un peu trouble, l’apparition d’un nouveau conflit d’intérêts ? Allez-vous pouvoir exercer toute votre autorité sur ce secteur clé de notre politique extérieure ?

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