Mesdames les sénatrices, laissez-moi tout d'abord regretter la faible présence masculine dans notre assistance ce soir ! Vous connaissez mon militantisme féministe. Je l'ai toujours revendiqué, à l'égard de ce qui se passe en France, comme dans d'autres pays et d'ailleurs, j'ai bien l'intention d'aborder, à l'occasion de la journée du 8 mars 2012, les menaces qui pèsent actuellement sur les droits des femmes dans certains pays étrangers.
Comme nous avons déjà eu l'occasion de débattre des questions des violences faites aux femmes lors de la discussion en séance publique, lundi 13 février 2012, de la proposition de résolution de M. Roland Courteau relative à l'application de certaines dispositions de la loi du 9 juillet 2010, j'en viendrai directement aux questions précises qui m'ont été posées.
S'agissant tout d'abord de l'application de la loi du 9 juillet 2010, je vous rappelle que le dispositif repose sur trois volets : prévenir, protéger et réprimer.
A ce jour, l'ensemble des textes d'application de cette loi sont parus, en particulier le décret relatif à la procédure civile de protection des victimes de violences au sein des couples. Plusieurs circulaires émanant du garde des Sceaux ont présenté ces dispositions aux présidents de cours d'appel et au Parquet, qui sont chargés de leur mise en oeuvre. En particulier, la circulaire du 4 octobre 2010 a explicité la procédure pénale applicable à la mise en oeuvre de l'ordonnance de protection.
Les juridictions s'approprient progressivement ces nouvelles dispositions avec plus ou moins d'ardeur, mais six cents ordonnances de protection ont cependant déjà été rendues depuis l'entrée en vigueur du dispositif et sept personnes ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel pour non-respect d'une ordonnance de protection, même si aucune condamnation de ce chef n'a été, à ce jour, enregistrée au casier judiciaire, selon les données provisoires de 2010.
Nous avons mené des actions d'information du public et de formation des professionnels à ce nouveau dispositif de lutte contre les violences au sein des couples. Parallèlement, nous nous engageons à développer des partenariats, notamment entre les associations d'aide aux victimes et nos services déconcentrés, en associant les collectivités territoriales et, en particulier, les conseils généraux.
A Bobigny - dans un département exemplaire en ce domaine - ce travail de concertation a débouché sur un protocole de mise en oeuvre de l'ordonnance de protection proposant un modèle de requête mis à la disposition du public en vue de la délivrance de l'ordonnance. D'autres tribunaux de grande instance ont suivi, parmi lesquels on peut citer ceux de Paris, Créteil, Nanterre, Strasbourg ou Melun. Parallèlement, il était essentiel de former les professionnels de justice. A cet égard, le ministère de la justice a mis en ligne un modèle de requête type et une brochure d'information sur l'ordonnance de protection, accessibles à tous.
La mise en place de l'expérimentation pour les bracelets électroniques, dit « dispositif électronique de protection anti-rapprochement (DEPAR) », même si elle a connu des débuts difficiles, est effective depuis le 1er janvier de cette année sur trois sites : Amiens, Aix-en-Provence et Strasbourg - qui ont intentionnellement été choisis pour leur contexte différent, afin de pouvoir en tirer, dès l'année prochaine, les enseignements.
D'autres mécanismes d'évaluation de la loi ont, par ailleurs, été mise en place :
- un groupe de travail spécifiquement dédié au sein du Conseil national d'aide aux victimes s'est réuni pour la première fois le 29 mars 2011, avec pour mission d'identifier les blocages de l'application de la loi et de proposer les solutions pour y remédier ;
- nous avons par ailleurs inscrit le suivi quantitatif et qualitatif de la loi dans le cadre du 3ème Plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes.
Cette transition me permet d'en venir à votre deuxième question, relative aux orientations de ce 3ème Plan triennal qui couvre les années 2011, 2012 et 2013.
Avec des moyens accrus - puisque les crédits ont été augmentés de 30 % - ce plan prend en compte toutes les formes de violences faites aux femmes, et pas seulement les violences intrafamiliales auxquelles ont les réduit trop souvent : viols, agressions sexuelles, mariages forcés, mutilations sexuelles, polygamie, harcèlement sexuel au travail, prostitution.
Les trois priorités de ce Plan sont : la protection, la prévention, la solidarité.
Dans le cas de femmes victimes de violences, l'urgence, en effet, est d'abord d'assurer la protection des femmes grâce à trois dispositifs :
- les lieux d'accueil de jour, où ces femmes peuvent trouver écoute et conseils, mais où elles viennent aussi chercher des services pratiques (prendre une douche, déposer leurs bagages, laver leurs vêtements, disposer d'une boite aux lettres...) ; ces services sont aujourd'hui assurés par des associations que nous subventionnons ; nous nous sommes fixé comme objectif de mettre en place au moins un lieu d'accueil labellisé par département en 2013 ; soixante-neuf départements seront couverts dès 2012 ;
- les « référents violences » qui ont pour mission de coordonner au niveau départemental les actions des associations ; on en dénombre aujourd'hui quarante-deux en activité ; notre objectif est d'en installer vingt supplémentaires en 2012 ;
- les lieux de visite familiale qui permettent de maintenir, autant que cela est possible, un lien entre l'enfant et le parent violent ; on en compte 159 à l'heure actuelle.
Le second volet du Plan, relatif à la prévention, poursuit deux objectifs : repérer les violences et éviter la récidive.
Il est essentiel d'améliorer notre connaissance des mécanismes de ces violences pour mieux les prévenir. Nous avons donc programmé plusieurs études couvrant tous les champs du Plan et dont l'objectif est à la fois de nous fournir des données quantitatives et d'évaluer les politiques publiques.
La formation des professionnels destinés à les aider à repérer les violences sera notamment proposée à des personnels auxquels on ne pense pas spontanément, tels les fonctionnaires de l'état-civil et des consulats.
Enfin, le troisième volet du Plan concerne la solidarité. Nous sommes tous concernés par les phénomènes de violences : des voisins ou des personnels de santé regrettent souvent, après coup, de n'avoir pas été attentifs à des signes qui auraient dû les alerter. Des professionnels marseillais recensent et décrivent les signaux qui permettent de détecter ces violences. Trois campagnes d'information ont été engagées pour stimuler la vigilance collective : la première, dotée d'un budget de 1,1 million d'euros, lancée lors de la journée du 25 novembre 2011 avec le slogan « Osez en parler », met l'accent sur les viols, les violences conjugales, les agressions sexuelles ; elle a eu pour effet de doubler le nombre d'appels reçus par le numéro d'appel 39.19 « violences conjugales info » dont nous voulons faire un numéro bien connu du public ; la deuxième campagne portera, en 2012, sur les violences sexuelles et sexistes au travail comme source de discriminations professionnelles et d'atteinte aux droits des femmes ; la troisième campagne portera sur les liens entre prostitution et traite des êtres humains.
Lors du débat en séance publique sur la proposition de résolution de M. Roland Courteau, lundi dernier, vous avez beaucoup insisté sur l'importance de sensibiliser les jeunes à ces problématiques.
De notre côté, nous avons décidé d'amplifier les actions en milieu scolaire. Désormais, l'inscription de cette thématique est obligatoire dans les projets d'établissement et des outils dématérialisés permettront d'assister les enseignants sur ces sujets qui requièrent une approche technique et scientifique.
Des campagnes spécifiques s'adressent aux femmes et jeunes filles primo-arrivantes pour les informer de leurs droits et du caractère répréhensible de certaines pratiques : les mutilations sexuelles, la polygamie et les mariages forcés.
Le 3ème Plan interministériel prévoit, en outre, de consacrer à la lutte contre les violences et le harcèlement sexuel au travail une étude au sein du secteur privé et des trois fonctions publiques. L'appel à projet - financé à hauteur de 150 000 euros - va être lancé.
Plus fondamentalement, j'envisage de faire évoluer le cadre juridique et, en particulier, d'harmoniser les législations, pour ne plus disposer que d'une seule définition du harcèlement sexuel.
Je vous rappelle qu'à l'heure actuelle deux définitions coexistent, l'une qui figure dans le code pénal et le code du travail, l'autre découlant de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
La première fait reposer la qualification du harcèlement sexuel sur la survenance d'agissements répétés. La seconde, qui assimile, contrairement à la première, le harcèlement sexuel à une discrimination, ne requiert pas la répétition des faits et prévoit une sanction civile, contrairement à la première qui sanctionne pénalement le harcèlement sexuel. Il me semble donc nécessaire de fusionner sans les affaiblir ces deux dispositions.
J'en termine sur ce sujet en mentionnant les actions de formation des professionnels et, en particulier, des inspecteurs du travail et des délégués au comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT).
L'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail a été missionnée pour mettre en oeuvre ce plan et dotée, à cet effet, d'une subvention de 242 000 euros au titre de l'année 2011.
J'en viens maintenant au deuxième point de notre échange : l'égalité professionnelle.
Je vous rappelle que, depuis le 1er janvier 2012, en application de l'article 99 de la loi portant réforme des retraites, les entreprises d'au moins 50 salariés qui ne seraient pas couvertes par un accord collectif relatif à l'égalité professionnelle ou, à défaut, par un plan d'action, s'exposent à une pénalité financière.
Ce mécanisme, unique en Europe, prévoit une sanction tout à fait considérable puisque la pénalité peut atteindre 1 % des gains et rémunérations versés aux salariés et assimilés.
Il me semble, en la matière, tout à fait essentiel de rappeler l'esprit du texte : la sanction n'est pas envisagée comme un instrument de punition mais comme un levier efficace pour que les obligations légales en matière d'égalité salariale trouvent enfin une traduction concrète dans la vie des entreprises.
L'enjeu est donc davantage de faire réellement appliquer le corpus législatif - abondant - dont nous disposons en France, que de rajouter des textes aux textes, même si, en la matière, la répétition n'est jamais inutile.
La circulaire du 28 octobre 2011 est venue préciser les modalités d'application du dispositif dont je vous rappellerai brièvement les principales étapes :
Étape 1 - L'autorité administrative vérifie l'existence d'un accord ou, à défaut, d'un plan d'action. L'agent vérifie que l'accord ou le plan contient effectivement des objectifs de progression, des actions qui permettent de les atteindre et des indicateurs chiffrés (deux ou trois selon la taille de l'entreprise, choisis parmi les huit domaines d'action listés dans le code du travail).
Étape 2 - Après ce constat, l'entreprise dispose de six mois pour négocier ou modifier, compléter ou produire l'accord ou le plan d'action. Les documents sont alors transmis à l'inspection ou au contrôle du travail par lettre recommandée avec accusé de réception.
Étape 3 - Pour les entreprises qui n'auraient pas procédé à la régularisation, la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) fixe le taux de la pénalité, qui peut aller jusqu'à 1 % des gains et salaires, mais sera modulée en fonction de la situation objective de l'entreprise.
Étape 4 - Dans le délai de un mois après la mise en demeure, la DIRECCTE notifie à l'employeur sa décision motivée.
Sur le site Internet du ministère du travail, des outils à destination des services déconcentrés et des entreprises sont disponibles, les questions les plus fréquentes et les bonnes pratiques y sont répertoriées.
Quant au temps partiel, il est vrai qu'il est essentiellement l'apanage des femmes et qu'il est trop souvent subi. Les chiffres le confirment : 30 % des femmes travaillent à temps partiel, contre 6,7 % des hommes et, depuis le milieu des années 1980, le nombre de femmes parmi les travailleurs à temps partiel reste supérieur à 80 %.
Nous souhaitons mieux encadrer le travail à temps partiel sans favoriser le temps partiel subi.
Puisque, comme vous le savez, c'est aux partenaires sociaux qu'il revient, d'après le code du travail, de négocier les modalités de mise en place du temps partiel et ses éventuelles dérogations - relatives notamment à l'aménagement sur tout ou partie de l'année, aux interruptions d'activité au cours d'une journée de travail, aux heures complémentaires - c'est à l'échelle de la négociation qu'il convient de décourager le temps partiel subi.
Certains accords de branche, tels celui du commerce de détail alimentaire, sont intéressants dans la mesure où l'on y trouve des tentatives, encore timides, de relever les durées minimales des contrats à temps partiel en les portant, par exemple, de 22 à 25 heures hebdomadaires ou de permettre une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle.
Les dispositions sur la durée minimale des plages et des coupures sont, à cet égard, particulièrement importantes, tout comme la possibilité de moduler le temps partiel sur l'année.
On trouve aussi des progrès, certes encore insuffisants, dans la branche des cafés-hôtels-restaurants. Dans la branche des industries laitières, où les femmes représentent 35 % de l'encadrement, un accord de 2009 prévoit la possibilité de prendre un temps partiel choisi, notamment annualisé, et comporte également des dispositions intéressantes.
L'intégration du service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE) au sein de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a permis une mutualisation des moyens en réaffectant dix-neuf agents dans les services supports (affaires internationales, communication, informatique, budget, systèmes d'informations) ainsi qu'un renforcement de la transversalité des politiques d'égalité.
Pour le service central, cette intégration s'est effectuée à effectifs constants et, avec vingt-quatre agents, cette configuration est efficace pour la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques.
Quant au réseau déconcentré, je rappelle que la France possède la couverture territoriale la plus importante des pays des l'Union européenne ; nous entendons la maintenir, contrairement aux autres pays de l'Union européenne.
Les moyens humains du réseau déconcentré comprennent, par région, une déléguée régionale, souvent à la tête d'une petite équipe, ainsi qu'une chargée de mission par département, soit 160 agents (142 équivalents temps plein).
Les directions régionales dépendent du Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) et bénéficient d'une grande légitimité auprès des autres services de l'État et des collectivités régionales. J'ai rappelé à l'ordre les services de certains préfets de région quand certains dysfonctionnements m'ont été signalés.
Le réseau se trouve cependant fragilisé à l'occasion de départs en retraite ou des mobilités des agents qui avaient été mis à disposition par d'autres administrations : douze agents ont ainsi quitté leur poste depuis 2002 sans être renouvelés, et six postes sont encore concernés par cette situation, quatre postes de déléguées régionales et deux postes de chargées de mission départementales.
Aussi, mon ministère voudrait demander aux ministères concernés le transfert de ces emplois à l'occasion du projet de loi de finances pour 2013, ce qui serait d'ailleurs plus conforme à l'esprit de la LOLF.
Depuis 2010, à périmètre constant, les moyens budgétaires du programme 137 ont augmenté de 3,4 %. Mais les efforts financiers de l'État en faveur de la politique d'égalité vont bien au delà de ce programme comme l'atteste le document de politique transversale : 493 projets liés à la lutte contre les violences faites aux femmes ont fait l'objet de cofinancements, notamment par le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance.
Nous sommes exposés, comme les autres administrations, à un gel de 6 % de nos enveloppes budgétaires et nous avons tenté de reporter avec le plus de discernement possible ses effets sur le réseau associatif bénéficiaire de nos crédits d'intervention en favorisant les associations effectuant des actions structurantes. Le détail de ces financements sera précisé au cours du mois et nous vous le communiquerons.
Les crédits attribués aux centres d'information des droits des femmes (CIDF) diminuent de 3,6 % au titre du volet information juridique et de 10,5 % au titre des bureaux d'accompagnement à l'emploi.
Enfin, dans le cadre du plan de lutte contre les violences, je me suis engagée à ce que la Fédération nationale « Solidarité Femmes » et le Collectif féministe contre le viol perçoivent le même financement qu'en 2010.
Je vous sais très attentifs aux subventions versées aux établissements d'information, de consultation et conseil familial (EICCF) et aux inquiétudes que peuvent exprimer leurs responsables quant à la pérennité de leur financement.
Le protocole signé avec la présidente du Mouvement français pour le Planning familial et qui garantissait le montant des subventions annuelles versées à l'ensemble des EICCF pour la période 2009-2011 est arrivé à expiration, ce qui suscite l'inquiétude des organismes concernés. Ce financement va être reconduit. Des discussions sur son renouvellement sont en cours avec le ministère de la ville qui assure une grande partie de ce financement.
Le protocole 2009-2011 prévoyait, pour l'ensemble des établissements, le versement de 2,6 millions d'euros répartis à hauteur de 2,1 millions d'euros sur le programme 106 « actions en faveur des familles vulnérables » et de 0,5 million sur le programme 147 « politiques de la ville ».
En 2010, les crédits du programme 147 ont été versés tardivement et pas dans leur intégralité. Pour y remédier, les services des directions départementales en charge de la cohésion sociale ont été conduits à utiliser les crédits du programme 106 au-delà des engagements prévus. Les EICCF ont donc bénéficié d'un financement de 2 864 742 euros au lieu des 2,6 millions prévus. Il n'y a donc pas eu réduction des crédits contrairement à ce que j'ai pu entendre.
En 2011, l'état des consommations a été de nouveau supérieur au montant prévu sur le programme 106 ; quant à l'année 2012, le premier acompte est en cours de versement.