Intervention de Yves Lambert

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 janvier 2012 : 1ère réunion
Prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol — Table ronde avec les représentantes d'associations engagées dans la lutte contre les violences envers les femmes

Yves Lambert, directeur de SOS Femmes Accueil de Saint-Dizier :

Je dirige SOS femmes accueil, une association qui a son siège en Haute-Marne et gère un centre d'hébergement et d'autres établissements sociaux ainsi qu'un site web qui rend, depuis 2000, un service de renseignements et de conseils individualisés par courriel, à raison d'environ 20 000 courriels par an.

Un premier constat : le temps judiciaire, le temps pénal n'est pas celui des victimes. Comme le confirment de nombreuses études, 80 % des victimes de viol et 60 % des victimes de violences conjugales sont atteintes d'un syndrome post-traumatique : ce syndrome doit vraisemblablement se retrouver dans des proportions comparables chez les victimes d'agressions sexuelles.

Celui-ci leur interdit, dans les premiers temps, toute possibilité de s'exprimer sur ce qu'elles ont subi, et cette inhibition peut durer parfois très longtemps. Seuls des soins et une période de reconstruction leur permettront de retrouver la possibilité de s'exprimer. Il ne faut pas s'étonner dans ces conditions que seules 10 % des victimes d'agressions sexuelles décident de porter plainte.

Il faut aussi savoir que les femmes qui ne portent pas plainte immédiatement après les faits ne pourront généralement pas le faire avant plusieurs années. Tout cela plaide en faveur de l'allongement des délais de prescription, voire en faveur de leur suppression totale pour les violences en général, ou tout au moins celles envers les femmes.

En second lieu, les expertises psychiatriques en matière de syndrome post-traumatique ont fait l'objet d'avancées appréciables et, à condition que les experts reçoivent une formation adaptée - ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui - nous devrions pouvoir compter de plus en plus sur des expertises fiables, susceptibles de constituer des éléments de preuve. A ce titre, la question de la réunion des éléments de preuve ne doit pas constituer un obstacle à l'allongement des délais de prescription.

Enfin, si vous me permettez une troisième remarque, sans lien direct avec la proposition de loi, il faut soulever la question de l'attitude des parquets dans le traitement des affaires de violences envers les femmes.

Premier point : ceux-ci n'envoient que tardivement, voire pas du tout, d'avis à victimes ; en conséquence, celles-ci ne savent pas ce qu'il est advenu de leur plainte, et ne sont pas en mesure d'intenter d'éventuels recours. Il est anormal que, deux ou trois années après la survenue des faits, les victimes restent dans l'ignorance du sort qui a été réservé à leur plainte.

Second point : les procureurs ne s'en tiennent pas à la loi et subordonnent les poursuites à des conditions extra-légales : ainsi, en violation des règles relatives à la prescription, certains procureurs décident de classer sans suites, comme trop tardives, des plaintes déposées deux ans-et-demi après les faits ; des avis à victimes portent souvent la seule mention de « délit insuffisamment caractérisé » ; ou encore, dans le cas de viols ou d'agressions sexuelles au sein du couple, le procureur subordonne l'engagement de poursuites judiciaires à la question de savoir si les personnes vivent encore en couple.

Cette question ne devrait plus se poser en matière de violences conjugales et heureusement elle se pose de moins en mois, mais en matière d'agressions sexuelles, la plainte risque d'être classée si elle n'est pas déposée assez rapidement.

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