Intervention de Marylin Baldeck

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 janvier 2012 : 1ère réunion
Prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol — Table ronde avec les représentantes d'associations engagées dans la lutte contre les violences envers les femmes

Marylin Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) :

Je suis juriste et déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). A titre liminaire, j'aimerais poser la question fondamentale de la justification philosophique de l'existence de délais de prescription. Je vous rappelle que la France, contrairement à d'autres pays tout aussi avancés, a fait le choix - qui est un choix idéologique - de permettre, qu'avec le temps, un délit s'efface et que la personne présumée auteure d'une infraction n'ait plus à répondre de ses actes. Je pense que ce choix mérite d'être discuté.

Nous connaissons bien les arguments qui sous-tendent ce choix juridique : un magistrat, alors conseiller de M. Dominique Perben lorsqu'il était garde des Sceaux de 2002 à 2005, nous avait à l'époque expliqué qu'il convenait de ne pas trop allonger les délais de prescription car la tranquillité publique commandait qu'on ne dérange pas, des années après, des personnes - auteures présumées - qui ont repris le cours normal de leur vie !

Il faut donc croire que la tranquillité publique s'accommode du désarroi des victimes, mais pas de l'inquiétude des agresseurs.

Je ne partage pas cette vision des choses et j'estime qu'il faut continuer de s'interroger sur la meilleure façon de concilier l'ordre public et le droit des victimes à demander réparation des actes qu'elles ont subis, même des années après leur agression.

Si notre association approuve la prorogation du délai de prescription de l'action publique, nous ne comprenons pas pourquoi elle ne s'appliquerait qu'aux agressions sexuelles et pas également au délit de harcèlement sexuel. Je vous rappelle que le harcèlement sexuel est un délit continu, caractérisé par des actes répétés dans la durée, commis dans un contexte professionnel où la victime est liée par un contrat de travail et placée sous l'autorité d'un supérieur hiérarchique ; à ce titre, il aboutit le plus souvent à anéantir la victime qui a besoin par conséquent de beaucoup de temps pour le dénoncer.

L'allongement du délai de prescription de l'action publique dans ce cas paraît plus que nécessaire, quand la victime doit d'abord s'extraire d'une situation de domination avant de pouvoir entamer des démarches judiciaires.

Alors que le plan global triennal de lutte contre les violences faites aux femmes a prévu de consacrer l'année 2012 à la lutte contre les violences sexuelles au travail, que le problème du harcèlement sexuel se pose dans tous les secteurs - public et privé - et n'épargne aucun domaine d'activité, qu'on estime à 20 % la proportion de femmes victimes de harcèlement sexuel au travail, que la France n'a toujours pas harmonisé son droit interne avec les directives européennes sur le sujet, je pense que votre délégation pourrait utilement consacrer une partie de ses travaux à cette question majeure.

Je vous rappelle, en guise de conclusion, qu'aujourd'hui, alors que des millions de femmes sont victimes d'actes de harcèlement sexuel sur le lieu de travail, seules soixante-dix condamnations pour harcèlement sexuel ont été prononcées cette année, dont certaines sont des viols, mais qualifiés de harcèlements sexuels parce qu'ils sont commis sur le lieu de travail et, à ce titre, passibles d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, soit trois fois moins que la peine prévue pour un vol de portable !

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