Intervention de Isabelle Steyer

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 janvier 2012 : 1ère réunion
Prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol — Table ronde avec les représentantes d'associations engagées dans la lutte contre les violences envers les femmes

Isabelle Steyer, membre de la commission justice de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) :

En tant qu'avocate spécialisée dans la défense du droit des femmes victimes de violences, qu'elles soient physiques ou sexuelles, je peux vous dire, qu'en cette matière, la justice fonctionne à l'envers.

Faute de formation des intervenants - gendarmes, policiers, procureurs, magistrats de cour d'assises ou de tribunaux correctionnels, mais aussi juges aux affaires familiales - l'accueil réservé par le service public de la justice aux femmes qui viennent déposer plainte - et notamment la salve de questions parfois intimes auxquelles elles sont soumises - montrent une parfaite méconnaissance des conséquences psychologiques dont elles souffrent. Ces questions vont placer les femmes dans une situation difficile, au point, dans certains cas, de les amener à se rétracter et à retirer leur plainte.

J'estime que les dysfonctionnements du traitement judiciaire - notamment le fait que l'agresseur bénéficie d'un magistère d'avocat plus puissant que celui de la victime - s'apparentent souvent à un déni de justice pour ces femmes.

L'argument tenant au risque de perdre des preuves - que ses adversaires opposent à l'allongement du délai de prescription - ne tient pas dans ces affaires. Je vous rappelle que, dans 80 % des cas, l'agresseur est un proche, voire le conjoint de la victime, ce qui rend l'examen de l'ADN inapproprié en l'espèce puisque la qualification du délit ou du crime va dépendre entièrement de l'absence de consentement de la victime, à qui incombe la charge de la preuve, rajoutant au traumatisme de l'agression, l'obligation de prouver qu'elle a effectivement été violée.

Faute de preuves matérielles, on en est souvent réduit à rechercher une multiplicité des victimes, la récurrence des plaintes contre un même agresseur devenant un élément à charge contre lui.

L'allongement du délai de prescription va permettre à la police de faire ces recherches et de rapprocher les victimes sur les dix années précédentes.

A cet égard, il serait très utile de pouvoir disposer d'un fichier national des mains courantes, qui nous permettrait peut-être d'écrire une histoire de la récidive, ce qui me paraît aujourd'hui essentiel quand on est confronté aux stratégies d'évitement de certains agresseurs.

Je voudrais, avant de conclure, vous dire combien est aujourd'hui ridicule l'indemnisation du préjudice de viol en France, car il me semble que cela contribue à la banalisation des actes de violences sexuelles et à la minimisation de leurs conséquences psychologiques pour les femmes qui en sont victimes : alors qu'un homme maintenu en détention pendant un mois est indemnisé 50 000 euros, 500 000 euros quand sa détention a duré trois ans, une enfant de huit ans violée par son beau-père deux fois par semaine pendant quatre ans a droit, comme réparation de son préjudice, à 25 000 euros, au mieux, en région parisienne ! Tant que l'on ne revalorisera pas l'indemnisation du préjudice subi par les victimes de violences sexuelles, on ne pourra pas parler de réparation.

Enfin, la procédure pénale française repose - vous le savez - contrairement à celle d'autres pays, sur le principe de l'opportunité des poursuites et non sur celui de la légalité des poursuites.

Il me semble néanmoins qu'il conviendrait que les dossiers classés sans suite fassent l'objet d'une décision motivée afin de permettre au moins aux victimes d'en connaître les raisons.

Un débat s'est ensuite instauré avec les membres de la délégation.

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