Le propre du Sénat est de voir loin, sans se focaliser sur les seuls problèmes du jour. Si je souscris aux propositions qui ont été avancées, je crois qu'il faut savoir les replacer dans une perspective d'avenir, rendue sensible par la situation des territoires d'outre-mer. La question démographique, au premier chef, est aiguë. La Réunion comptait 240 000 habitants en 1946, nous sommes 850 000 aujourd'hui et serons un million en 2025. Face à nous, Madagascar : 4 millions d'habitant en 1946, 21 millions aujourd'hui, près de 40 en 2025. Et si l'on considère la côte orientale de l'Afrique, les chiffres flambent encore davantage.
Vient ensuite la question climatique : c'est dans nos océans que se posent la plupart des problèmes. Les villes se trouvent, sur la plupart de nos îles, au niveau de la mer, sur le rivage. Elles assurent aussi les liaisons aériennes. Qu'arrivera-t-il si la mer monte ? Quant aux cyclones, leurs dégâts seront de plus en plus dévastateurs au Antilles et chez nous. Et je ne parle pas du dégel de l'Arctique, qui pourrait être ravageur pour La Réunion : la route du nord ouest fait gagner 10 000 kilomètres sur celle du canal de Suez. Cela veut dire, à terme, pour nous, l'isolement total.
La ressource maritime ? La zone d'exclusion maritime des membres de la Commission de l'Océan indien, qui regroupe La Réunion, Madagascar, les Comores, l'île Maurice et les Seychelles est aussi grande que la Méditerranée et l'Atlantique. Or, 97 % des prises de pêche sont effectuées par les flottes de pays non riverains (M. Revet le confirme).
Autant de problèmes considérables pour l'avenir, qui appellent une réflexion de long terme : 9,5 milliards d'habitants sur la planète à l'horizon 2050 ; un changement climatique qui aura produit des perturbations sans précédent entre 2050 et 2100 ; une biodiversité toujours plus menacée, avec son cortège de désastres, comme les incendies qui se sont produits à La Réunion.
Cette réflexion doit aussi s'articuler avec le passé. À La Réunion, département français, nous nous sommes battus cinquante ans pour l'égalité sociale, notamment en matière d'allocations familiales. Or, je constate aujourd'hui que les décisions s'accélèrent : à Mayotte, le gouvernement annonce le SMIC sous trois ans. Il convient de réfléchir aux conséquences de cette accélération vertigineuse de l'intégration. Et que dire de la question des revenus ? À La Réunion, ils sont tous décidés par le gouvernement. Voyez le statut des fonctionnaires : 53 % de majoration de traitement, 35 % pour les pensions, un congé familial annuel et trois années de séjour valant quatre annuités, sans parler du droit annuel au congé familial dans l'hexagone. Or, l'augmentation du nombre des fonctionnaires sous la pression démographique est inévitable. Le même problème se pose ailleurs, avec les conventions collectives, négociées par le gouvernement : 30 % de plus qu'en France pour les banques et les assurances, 42,5 % pour la sécurité sociale, 70 % pour la radio et la télévision, 90 % pour l'institut d'émission des DOM.
Nous vivons pourtant dans une société de déclin : en l'absence de développement, 52 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Un tel déchirement ne peut conduire qu'à l'explosion. Le Sénat doit y réfléchir. Après les émeutes de la Guadeloupe, et leur extension à la Martinique, La Réunion et la Guyane, en 2009, c'est au tour de Mayotte d'entrer en tension.
Nous devons décrypter l'avenir, dire où nous allons. Les contrats de plan courent sur cinq ans, mais ce n'est pas à une telle échéance que se résoudront les contradictions : il faut réfléchir à dix, vingt voire trente ans.