Intervention de Roland Ries

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 28 février 2012 : 1ère réunion
Mécanisme pour l'interconnexion en europe- examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Roland RiesRoland Ries, rapporteur :

La commission des affaires européennes du Sénat a adopté le 7 février un projet de résolution sur le « Mécanisme pour l'interconnexion en Europe » (MIE), qu'elle nous a transmis pour un examen au fond. Avec le MIE, la Commission de Bruxelles veut relancer la politique des réseaux transeuropéens initiée il y a vingt ans avec le traité de Maastricht et qui a porté pour l'essentiel sur le transport de voyageurs et le fret. Elle propose d'étendre cette politique aux secteurs de l'énergie et des télécommunications, et d'interconnecter les réseaux pour concilier l'efficacité économique avec l'efficacité énergétique. Il ne s'agit donc plus seulement d'achever le marché unique en pensant à la concurrence et à la compétitivité, mais aussi de limiter l'impact énergétique des infrastructures. Je rappelle que l'Union européenne poursuit l'objectif dit des « trois 20 » : à l'horizon 2020, réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, accroître l'efficacité énergétique de 20 % et atteindre 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale. Y parvenir est l'objet du MIE et des textes d'orientation qui l'accompagnent. Ainsi, je vous présente aujourd'hui cinq propositions de règlements européens, soit plus de cent articles législatifs : la proposition de règlement établissant le MIE ; les trois propositions de règlement fixant les orientations pour les réseaux transeuropéens de transports, d'énergie et de télécommunications ; la proposition de règlement relatif aux emprunts obligataires destinés à financer des projets prioritaires, couramment dénommés « project bonds ».

Les trois documents d'orientation énoncent les priorités de l'Union, sa méthode de travail et ses outils autres que financiers. On constate d'emblée leur hétérogénéité, car une structure et un vocabulaire parfois communs ne parviennent pas à dissimuler des réalités disparates : les outils sont précis pour le transport, vagues pour les télécommunications et incertains pour les réseaux énergétiques.

En matière de transports, le règlement établit une carte précise de ce que la Commission dénomme « le réseau global », c'est-à-dire l'ensemble des infrastructures reliant les grands centres urbains et leurs portes d'accès dans l'Europe des 27, le mot infrastructures désignant les voies et leurs équipements.

À partir de ce réseau global, la Commission identifie un « réseau central » formé par les segments et tronçons présentant « la plus haute importance stratégique pour atteindre les objectifs de la politique du réseau transeuropéen de transport ». Il s'agit en pratique des chaînons manquants, des goulets d'étranglement et des incohérences dans les systèmes d'information, bref, de tous les obstacles à la constitution d'un réseau efficace et fiable.

La proposition de règlement définit ensuite une série « d'exigences » que les infrastructures devront respecter, d'ici 2030 pour le réseau central et 2050 pour le réseau global. Elles sont précises pour chaque forme de transport, qu'il soit effectué par voie ferroviaire, par voie navigable, par route, par mer ou par air. Ainsi, toute plate-forme ferroviaire devra contenir au moins un terminal ouvert à tous les opérateurs et appliquer des redevances transparentes ; l'information des voyageurs et les billetteries devront porter sur l'ensemble du réseau européen ; les lignes devront toutes être équipées du même système de surveillance du trafic, avec un standard exigeant pour le fret ferroviaire. Nous en sommes loin ! Ne perdons pas de vue que les États membres devront satisfaire par leurs propres moyens à ces exigences, qui seront renforcées pour le réseau central. Ainsi, l'électrification de toutes les lignes ferroviaires imposerait à la France de dépenser quelque 2 milliards d'euros pour 1 000 kilomètres de lignes. Dans le même esprit, les voies rapides devraient être équipées de parkings sécurisés tous les 50 kilomètres...

Toujours pour le transport, la Commission européenne propose des « corridors de réseau central », en quelque sorte le squelette du réseau, qu'elle entend aider plus particulièrement. Un corridor associe des modes de transport -par exemple le train, puis la voie d'eau et à nouveau le train- avec des équipements de transbordement pour un acheminement rapide et propre. La réalisation d'un corridor demande une grande préparation, c'est pourquoi la Commission européenne propose de nommer des « coordonnateurs de corridor ». Dans un précédent avis, nous avons dit pourquoi leur rôle directeur dans la programmation nous paraissait porter atteinte au principe de subsidiarité. La Commission de Bruxelles propose en outre d'encadrer le développement des corridors avec une « plate-forme de corridor », associant un groupement d'intérêt économique et un « plan de développement de corridor » adopté six mois après la publication du règlement et comportant des mesures précises et contraignantes.

Comme vous le voyez, tout paraît prêt pour passer à la phase opérationnelle des grands réseaux européens de transport. Il en va tout autrement pour l'énergie et les télécommunications. En effet, la proposition de règlement « énergie » définit les critères des projets d'intérêt commun et dresse, elle aussi, une carte de corridors d'acheminement que la Commission entend rendre prioritaires, mais les projets sont moins localisés que ceux du volet « transports ». La proposition de règlement confie simplement à la Commission le soin d'établir une liste de projets d'intérêt commun répondant aux objectifs poursuivis. Parmi les critères, je relève que ces projets devront être viables sur les plans économique, social et environnemental. Ils devront en outre concerner au minimum deux États membres et respecter un ensemble de critères. Surtout, la gouvernance envisagée est bien plus légère : une fois autorisés, les projets feront simplement l'objet d'un suivi par l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie.

Enfin, la proposition de règlement sur les télécommunications est encore plus indicative, pour ne pas dire nébuleuse. On y évoque bien des projets d'intérêt commun et des priorités - en particulier le déploiement de réseaux à très haut débit de 100 mégabits par seconde, la desserte en haut débit à 38 mégabits par seconde des régions les moins accessibles ou le soutien à des plates-formes centrales de services numériques - mais on reste loin d'une liste précise. Aucune proposition de gouvernance n'est formulée. En fait, l'intérêt même des soutiens européens à l'interconnexion des réseaux de télécommunication numérique est incertain, puisque l'interconnexion leur est consubstantielle. Ce qui manque, c'est surtout la taille du réseau dans les zones peu denses.

J'en viens maintenant à la proposition de règlement au sujet des emprunts obligataires destinés à financer des projets, ce que l'élégante brièveté anglo-saxonne dénomme « project bonds ». Il s'agit tout simplement de l'argent que la Commission propose pour les années 2014 à 2020. On mesure ici le véritable tournant opéré au moins dans ses services : il faudra faire bien plus qu'avant, avec juste un peu plus de moyens, mais avec un « effet de levier » que la Commission espère substantiel. On ne peut que partager ce voeu, bien que sa réalisation ne soit pas assurée.

Le MIE est certes un fonds dédié aux infrastructures, mais c'est aussi une nouvelle hiérarchie dans la politique des réseaux transeuropéens, avec des critères précis permettant d'allouer des ressources qui semblent toujours plus maigres quand les ambitions grandissent. La Commission propose à l'Union de dépenser quelque 50 milliards d'euros entre 2014 et 2020 pour ses réseaux transeuropéens de transport, d'énergie et de télécommunications. Je précise qu'aucune décision budgétaire n'a été prise.

C'est beaucoup, puisque l'Europe n'aura dépensé que 8 milliards d'euros pour ses réseaux de transport de 2007 à 2013, mais ce n'est pas énorme si l'on se réfère aux besoins identifiés par la Commission européenne pour parvenir au marché unique tel qu'elle le rêve, car les chiffres sont astronomiques : il faudrait consacrer 1 000 milliards d'euros d'ici 2020 pour le transport d'électricité et de gaz et pour un réseau transfrontalier de transport de CO2 ; achever le réseau transeuropéen de transport coûterait 500 milliards d'ici 2020 et 1 500 milliards d'ici 2030 ; enfin 270 milliards seraient nécessaires pour mettre le haut débit ultrarapide à disposition de tous les Européens d'ici 2020.

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