Intervention de Régis Hochart

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 29 février 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Régis Hochart membre du conseil économique social et environnemental sur son rapport « la future politique agricole commune après 2013 »

Régis Hochart :

Je vous remercie pour votre invitation et confirme que l'avis du CESE, voté en mai dernier, est intervenu après la communication de la Commission européenne sur la réforme de la PAC de novembre 2011, mais avant la présentation des propositions de règlements. Nous pourrons cependant discuter du contenu de ces propositions qui dessinent un contour précis à la future PAC. Je souligne que le rapport du CESE a été fort bien voté avec 177 voix pour, 7 contre et 22 abstentions, alors même qu'il comporte des éléments assez novateurs.

Avant tout, il faut dresser le bilan de la PAC. Elle poursuivait à l'origine cinq objectifs, issus du traité de Rome, auxquels se sont ajoutés deux objectifs environnemental et de développement rural à Berlin en 1999. Or ces objectifs étaient mieux atteints par la PAC dans les années 1980 que maintenant. L'objectif d'amélioration de la productivité a été une réussite remarquable. L'objectif consistant à assurer un revenu équitable aux agriculteurs était en bonne voie dans les années 1980, ce qui n'est plus le cas. L'objectif de stabilisation des marchés agricoles n'est plus atteint, avec une volatilité accrue des prix des denrées alimentaires, qui est sans précédent. L'objectif de sécurisation des approvisionnements est atteint au niveau national, mais pas au niveau européen : les importations nettes de l'Union européenne, hors produits exotiques, représentent l'équivalent de la production de 29 millions d'hectares de cultures, soit le territoire agricole de la France. Nous sommes donc très loin de l'autosuffisance alimentaire. Enfin, il est difficile de savoir si l'on a atteint ou pas l'objectif consistant à garantir des prix raisonnables aux consommateurs. Cependant, on peut constater que le différentiel entre le prix payé au producteur et celui payé par le consommateur n'a cessé de s'accroître. La question de la prise en compte de l'environnement dans la PAC ne se posait pas dans les années 1970. La prise de conscience progressive dans les années 1980 de l'enjeu environnemental a conduit à en faire l'un des objectifs de la PAC en 1999. Le développement rural, à travers le deuxième pilier, constitue également un objectif nouveau introduit en 1999, avec un certain succès.

Le système agricole dans lequel nous nous trouvons est fondé sur quatre éléments désormais fragiles. Le premier élément réside dans l'utilisation d'engrais de synthèse et de ressources fossiles, qui a permis de faire progresser la productivité. Mais nous sommes aujourd'hui confrontés à une raréfaction des ressources minières, voire un tarissement, et à une augmentation des prix. Les engrais azotés de synthèse dépendent largement des produits pétroliers et du gaz, qui participent fortement à l'émission de gaz à effets de serre (GES) de l'agriculture. La part de ce secteur dans la production de GES est tout de même de 20 %.

Le deuxième élément a trait au recours systématique aux produits phytopharmaceutiques, sans grand discernement. Ces produits répondaient à tous les types de problème : de la lutte contre les maladies des plantes au désherbage. Or, ces produits sont des produits chimiques et l'on ne peut pas gagner la course éperdue aux nouvelles molécules. Il faut donc utiliser ces produits avec plus de modération. Par ailleurs, on ne peut plus ignorer que l'effet des produits phytosanitaires sur la santé n'est pas neutre.

Le troisième élément concerne la mécanisation. Celle-ci a eu pour effet de réduire le nombre des agriculteurs nécessaires sur les exploitations. On a perdu plus d'un million d'agriculteurs en quelques décennies. Il n'en reste plus que 600 000 environ. On doit s'interroger sur la réduction continue du nombre d'agriculteurs, alors que l'Europe connaît une situation de chômage massif.

Le dernier élément est la sélection des variétés et des races. L'agriculture s'est beaucoup spécialisée pour être plus performante. Mais l'appauvrissement génétique des végétaux et des animaux pose désormais problème.

Il ne sera donc pas possible de poursuivre le même modèle agricole, fondé sur quatre éléments non durables. A ma grande surprise, le CESE a approuvé ce constat et accepté de préconiser l'orientation de l'agriculture vers un modèle plus autonome, moins dépendant des intrants. A la suite de l'audition de M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation, le concept d'agroécologie s'est peu à peu imposé dans les travaux de la section agriculture du CESE. Ce concept est défini par la recherche d'une plus grande autonomie de l'agriculture, et la préservation de la biodiversité, celle-ci ayant été dégradée par les choix mis en oeuvre dans nos politiques agricoles. On est certainement à la fin d'une parenthèse « productiviste », fondée sur des facteurs non durables, et qui ne peut donc pas se prolonger. L'enjeu consiste à réorienter la PAC.

Ma première préconisation consiste à ajouter un objectif à la PAC : développer l'emploi dans l'agriculture et dans l'industrie agro-alimentaire. Ensuite, la PAC doit prendre en compte la volatilité des prix, volatilité qui va au demeurant au-delà du secteur agricole. Aujourd'hui, 1 milliards d'êtres humains sur la planète sont sous-alimentés ou n'ont pas accès à l'alimentation. Avec la volatilité des prix agricoles, 3 milliards de personnes sont menacées de ne plus avoir accès à l'alimentation car plus de 50 % de leur budget y est d'ores et déjà consacré. Or, quand le prix double, on ne peut plus se nourrir. La volatilité est également négative pour les agriculteurs, qui n'ont plus de visibilité à moyen terme et une grande incertitude sur leurs revenus, et donc sur la pérennité des exploitations et sur les investissements qu'ils peuvent effectuer. Afin de lutter contre la volatilité des prix agricoles, nous avons estimé important de :

- reconstituer les stocks, qui existaient antérieurement, certes pour d'autres raisons que je ne détaillerai pas ici, mais qui n'en faisaient pas moins tampon et limitaient l'instabilité des prix. Sur ce point, il faut aller au-delà de ce que suggère le G20, qui propose de créer des stocks de pure sécurité alimentaire n'ayant pas vocation à être mis sur le marché : il nous faut des « stocks stratégiques » plus conséquents, et qui jouent un rôle dans le système de stabilisation des prix.

- améliorer la transparence des marchés et des stocks et limiter l'accès aux marchés à terme des opérateurs purement financiers. A la fin de 2008, en pleine période de flambée des cours, nous étions passés de 5 opérateurs à 23 sur les marchés à termes, soit 18 opérateurs non liés à l'agriculture, qui extraient la valeur de la filière, en se positionnant entre le producteur et le consommateur. Ce phénomène transforme les produits agricoles en produits financiers, dont la manipulation très spéculative aboutit à un renchérissement des prix. On assiste à une financiarisation inutile de l'agriculture.

- changer les règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC) pour l'agriculture. Le cycle de Doha nous amène aujourd'hui à réfléchir. Il est préférable d'adopter des accords internationaux multilatéraux, plutôt que des accords bilatéraux. Mais il faut aboutir à l'intégration dans ces accords de valeurs sociales et environnementales, et pas seulement monétaires. Malheureusement, sur ce point, l'OMC ne sait pas faire.

Nous avons également proposé la création d'un Observatoire européen de l'emploi agricole, ainsi qu'un élargissement du droit de regroupement des producteurs, ce qui a été prise en compte par les propositions de la Commission européenne.

Enfin, j'estime qu'à terme, pour lutter contre la volatilité des prix agricoles, il faudrait aboutir non pas à une liberté générale de circulation des marchandises agricoles, mais créer de grandes « régions mondiales », au sein desquelles le libre-échange serait la règle, tandis qu'elles seraient séparées les unes des autres par des barrières tarifaires.

Nous nous sommes aussi demandé comment faire évoluer l'agriculture, qui est aujourd'hui non durable. Son état actuel est le résultat d'une histoire, mais ne répond pas aux besoins de l'avenir.

La réforme de la PAC doit être une opportunité pour cesser de donner l'impression aux agriculteurs que l'environnement est une contrainte, alors que c'est un outil de travail et un facteur de production, tout comme la biodiversité. Il faut donc aller progressivement vers l'agroécologie, en arrêtant d'opposer agriculture et environnement. Il faut aller vers un large panel des mesures de verdissement. Malheureusement, un an après avoir été esquissé, on enregistre peu d'avancées sur le plan du verdissement. Telles qu'elles sont aujourd'hui conçues, elles ne pourront pas être un véritable levier pour faire évoluer les pratiques.

Le verdissement, associé au développement rural, doit favoriser les actions collectives, autour des microrégions ou des bassins versants, pour déboucher sur une agriculture plus diversifiée et moins spécialisée. La spécialisation excessive débouche sur de graves problèmes, par exemple, sur l'excédent d'effluents en Bretagne, ou sur l'effondrement des taux de matière organique et le tarissement des nappes phréatiques dans la Beauce. Je cite ces deux exemples sans vouloir stigmatiser aucune région.

Il faut donner une place plus importante à la culture de protéines végétales. Les projets de plans de développement de la production de protéines végétales n'ont jamais abouti. Or, aujourd'hui, les protéines végétales constituent un véritable enjeu, qui avait été identifié par Dacian Ciolos dans la communication de la commission en 2010 mais n'a pas trouvé de transcription dans les propositions législatives de 2011. Pourtant, selon le CESE, elles constitueraient un levier pour limiter l'emploi des engrais de synthèse, limiteraient la dépendance envers le Brésil et, dans une moindre mesure, envers les États-Unis, accroîtraient l'autonomie des exploitations animales et amélioraient la fertilité des sols. Mais leur succès suppose la création d'une véritable filière. On a vu que la relance de la culture des pois protéagineux voulue par M. Michel Barnier avait connu un bon démarrage, mais n'a pas abouti en l'absence de filière adaptée et de savoir faire. Dans ce cas, ce n'est pas tant la production qui a posé problème, que la mise en place de débouchés.

Il faut par ailleurs réorienter les soutiens, d'une part en les faisant converger, et d'autre part, en prenant en compte progressivement d'autres variables que les hectares exploités. Sinon, nous n'aurons jamais de soutien sérieux à l'emploi. Nous nous sommes prononcés en faveur d'un droit à paiement unique (DPU) de base lié au nombre d'actifs. Cette solution est aujourd'hui techniquement impossible. Mais il faut y réfléchir.

Le budget du deuxième pilier de la PAC doit être maintenu, voire renforcé, afin de créer davantage de dynamique territoriale et d'évolution des pratiques. Sur le premier pilier, il y a moins de marges de manoeuvre mais il faudra utiliser les quelques souplesses disponibles : les 10 % qu'il sera possible de découpler, les 5 % d'aides aux territoires difficiles, les 2 % de soutien aux nouvelles installations, les 10 % de soutien aux petites fermes.

Nous sommes également favorables sur le développement rural à une meilleure association des régions, qui sont l'échelon le plus proche des territoires. Il faut donc aboutir à une régionalisation du second pilier.

En revanche, le CESE n'a pas su se mettre d'accord sur le sort devant être réservé aux usages non alimentaires : matériaux, carburants, etc. Un consensus minimal s'est néanmoins dégagé sur la nécessité, en l'état actuel des connaissances, de contrôler et limiter ces usages non alimentaires et, surtout, de s'assurer du maintien des surfaces nécessaires pour se nourrir.

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