Merci, Monsieur le président, de me recevoir. Je suis es qualité le négociateur français du groupe des E3 + 3. Ce groupe s'est d'ailleurs entretenu hier pour définir une position commune.
S'agissant des trois fronts que vous avez mentionnés, je commencerai par le terrain, en vous disant que la question d'une intervention israélienne est très présente dans le débat public et donc en arrière-fond de cette négociation. Elle en est un paramètre important, notamment aux yeux des Iraniens. La meilleure façon d'éviter une frappe israélienne est de convaincre ceux qui veulent la mener qu'il y a une alternative diplomatique crédible. De façon symétrique, un des objectifs des Israéliens est d'attirer l'attention des Etats-Unis et de l'Occident, en général, sur l'Iran et de ne pas les laisser se focaliser sur le phénomène des « printemps arabes ».
Mais il y a un élément nouveau dans l'analyse que les Israéliens font de la situation. Jusqu'à présent ils raisonnaient en termes de « seuil ». Dans cette analyse, la question était : « quand les Iraniens franchiront-ils le seuil de matière significative leur permettant de fabriquer une bombe nucléaire ?». Les Iraniens ont, selon le dernier rapport de l'IAEA, accumulé 110 kg de matière significative enrichie à 20 % mais aussi 5 451 kg enrichis à 3,5 %. Or depuis que l'on sait que les Iraniens ont un second site d'enrichissement, la notion « d'immunité » est entrée dans le débat israélien, tel qu'on peut le constater dans les médias locaux : c'est-à-dire, à quel moment une action militaire ne serait-elle plus efficace, au plan opérationnel pour empêcher l'Iran d'acquérir la bombe ? Au-delà des considérations tactiques c'est un fait nouveau.
La France a toujours soutenu ce qu'il est convenu d'appeler la « double approche » : d'un côté, les négociations diplomatiques et, de l'autre, les sanctions économiques. Les sanctions n'ont d'autre objectif que de convaincre les Iraniens de revenir à la table des négociations. Auparavant, jusqu'en 2009, les Iraniens conduisaient leur programme à faible coût. Ils prenaient des engagements, ne les respectaient pas et pas grand-chose ne leur arrivait.
La lettre du Président de la République du 21 novembre 2011 et les mesures prises par les pays occidentaux ont changé l'univers des sanctions. Leur efficacité est aujourd'hui croissante comme le montre l'effondrement récent du rial de près de 40% de sa valeur sur le marché international des devises. Evidemment, ces sanctions n'ont de sens que si elles sont reliées à un processus diplomatique.
Nous avons fait une proposition, il y a trois ans, qui constitue un indicateur de mesure de la confiance que nous pouvons avoir réciproquement avec l'Iran. Il s'agit du TRR, le réacteur nucléaire de recherche de Téhéran. Les Iraniens disaient : « nous avons besoin d'uranium enrichi pour notre réacteur de recherche ». Nous leur disions : « on vous fournit le combustible enrichi à 20 % et, pour le fabriquer, vous nous donnez la matière que vous êtes en train d'enrichir ». C'eût été un accord gagnant-gagnant. Les Iraniens, après s'être engagés dans un nouveau round de négociation, n'y ont jamais donné suite. Puis il y a eu la révolution verte en 2009. Nous sommes donc retournés à la double approche, avec des sanctions qui augmentent.
En janvier 2011, il y a eu le round de négociations d'Istanbul avec un excellent pilotage de Mme Catherine Ashton qui représentait non pas l'Union européenne, mais qui était la « coordinatrice » des six pays engagés dans la négociation. Ce que demandaient les pays du groupe des E3+ 3 est simple : c'est l'arrêt pur et simple de l'enrichissement. Le négociateur iranien, Saeed Jalili, voulait imposer deux pré-conditions : la reconnaissance du droit de l'Iran à l'enrichissement et la levée des sanctions. Or dans le TNP il existe bien un droit au nucléaire civil, mais il n'existe pas de droit à l'enrichissement. Quant à la levée des sanctions, on ne peut accepter que ce qui doit être le résultat de la négociation en devienne la pré-condition. Du coup la négociation a échoué et avec elle l'indicateur de mesure de la confiance : le TRR.
Comment réengager la négociation ? Il y a eu le 21 octobre dernier une lettre de Catherine Ashton dont tous les termes ont été négociés et approuvés par les E3 + 3. Que dit cette lettre ? Premièrement on discute du vrai problème : le programme militaire nucléaire militaire iranien. Deuxièmement : on laisse tomber les pré-conditions.
Le 14 février le pouvoir iranien a enfin apporté une réponse habilement ambigüe à cette lettre, réponse qui nous conduit à reprendre les négociations.
Je voudrais vous faire part maintenant de mon expérience des négociations, puisque cela fait tout de même cinq rounds de négociations auxquels je participe. J'ai été frappé de constater que le négociateur iranien en réalité ne s'adresse pas aux autres négociateurs, mais s'adresse à sa propre délégation. Il donne des gages en permanence, car il est très surveillé. Les préoccupations de politique intérieure sont omniprésentes dans la diplomatie iranienne. Par exemple, le clan du Guide a, par des publications dans la presse iranienne, ruiné les efforts des diplomates, jugés trop proche d'Ahmadinejad en expliquant la manière dont le Brésil et la Turquie avaient été bernés dans le cadre des discussions sur le plan turco-brésilien visant à un échange de combustible à base d'uranium enrichi à 20 %. Ce mouvement était exclusivement motivé par des considérations de politique intérieure.
Ma seconde observation est que, jamais, au sein du groupe des E3+3, personne n'a remis en cause l'objectif : faire stopper l'enrichissement et donc éviter une dérive militaire. Tous nos débats portent sur la méthode. Nous lions les sanctions aux négociations. D'autres pays pensent qu'il suffit de maintenir un processus de négociations ouvert.
Concrètement, nous demandons tous aux Iraniens d'engager des négociations sérieuses, de renoncer aux pré-conditions et de mettre en place un nouvel indicateur de confiance : qu'ils suspendent leur processus d'enrichissement à 20 %. Ce que nous souhaitons, c'est que les dispositions de la résolution 1929 de l'ONU, qui engage donc la communauté internationale, soient respectées.
Or ils n'ont rien fait de tout cela. Ils ont triplé la capacité de leur site permettant d'enrichir l'uranium à 20 % ; ils ont installé davantage de centrifugeuses dans les deux usines (Natanz, Qom). Il n'y a aucune concession iranienne.