Mes chers collègues, nous sommes saisis d'une proposition de résolution adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes à l'initiative de son président Simon Sutour et qui porte sur le renforcement du contrôle démocratique de la gouvernance économique et budgétaire de l'union européenne.
Dans la mesure où elle a fort opportunément été déposée le 1er février, si nous la laissons tout simplement « vivre sa vie », cette résolution pourrait, en vertu de notre règlement, devenir la résolution de notre commission à temps pour le Conseil européen de demain, le 1er mars.
Compte tenu du sujet, il m'a semblé toutefois nécessaire de vous informer sur ses tenants et aboutissants.
De quoi s'agit-il ? Tout simplement de la façon dont le Parlement est -ou n'est pas !- associé à la construction du gouvernement économique de l'euro qui est en train de se mettre en place, sommet européen après sommet européen.
La résolution propose en effet de créer une instance parlementaire collective compétente pour les décisions relatives à l'euro.
Deux mots sur le contexte, avant de parler du texte lui-même.
Les traités européens ont longtemps été muets sur le sujet de la coordination des politiques économiques. Face à l'urgence de la crise des dettes souveraines, un mécanisme de sauvetage de l'euro a été mis en place, d'abord transitoirement. Il s'est transformé progressivement en un début de « gouvernement » de l'euro. Mais cette construction tardive s'est faite en dehors des processus communautaires classiques.
Nous sommes désormais devant un véritable « millefeuille » de législation européenne où règlements, directives et traités sont entremêlés :
- il y a le pacte de stabilité et de croissance ;
- il y a le paquet appelé « six pack », train de mesures sur l'endettement public et la surveillance des déséquilibres, adopté en octobre dernier, et qui va s'appliquer progressivement, essentiellement composé de règlements ;
- il y a le « double pack », qui sont des règlements sur la résorption des déficits excessifs, actuellement soumis à l'examen du Parlement européen ;
- il y a les traités relatifs au mécanisme européen de stabilité, examinés par le Sénat hier ;
- et il y a le traité de stabilité dit « TSCG » signé par vingt-cinq États membres sur 27.
Comment tout cela va-t-il s'articuler, ce n'est pas clair. Tous ces textes portent sur les mêmes sujets, avec des dispositions qui ne se combinent pas toujours facilement, et avec des calendriers qui ne sont pas toujours identiques.
Surtout, le contrôle démocratique de cet édifice n'est pas pleinement assuré, puisque l'intergouvernemental échappe aux Parlements.
Le Parlement européen a un pouvoir de codécision sur le droit européen dérivé, c'est-à-dire les directives et les règlements, mais n'a aucun pouvoir vis-à-vis des traités.
Quant aux Parlements nationaux, leur rôle est allé en s'approfondissant, puisque notre contrôle porte maintenant non seulement sur les projets d'actes communautaires mais également sur tout acte émanant de l'Union européenne. Nous pouvons désormais nous prononcer aussi sur la subsidiarité et la proportionnalité. Dans les matières communautaires, nous avons donc des leviers d'action, que nous utilisons pleinement.
La question se pose différemment dans les matières qui ne sont pas traitées par la méthode communautaire, en particulier la coordination des politiques budgétaires nationales liées au sauvetage de l'euro. Dans ces matières, nous ratifions les traités, une fois qu'ils ont été négociés, et nous votons -ou ne votons pas !- les collectifs budgétaires qui viennent retranscrire dans le budget de l'État les engagements pris à Bruxelles. Mais nous n'avons pas vraiment de prise sur la décision, non plus que de vue d'ensemble.
J'observe d'ailleurs que les parlements qui ont pu peser jusque là dans telle ou telle décision relative au sauvetage de l'euro l'ont généralement fait a posteriori, et grâce à des procédures de droit internes, mais pas parce que le schéma décisionnel européen les avait associés.
Je pense par exemple aux réticences du Parlement finlandais (et de sa « grande commission ») face au mécanisme de vote prévu au sein du mécanisme européen de stabilité, le MES, que le gouvernement finlandais a dû lever préalablement à sa signature.
Mais c'est bien sûr le Bundestag qui a été l'exemple le plus médiatisé : ce n'est que munie du vote favorable de son Parlement, réuni mardi dernier en session extraordinaire, que la chancelière Angela Merkel pourra aller demain à Bruxelles signer le « dernier » plan d'aide à la Grèce. Concrètement, les députés allemands ont approuvé une motion reprenant les décisions prises à Bruxelles par l'Eurogroupe, en particulier l'aide de 130 milliards d'euros à la Grèce. En France, une nouvelle autorisation parlementaire ne sera pas nécessaire, car nous avons voté un « plafond » d'autorisation ; le Parlement sera simplement informé.
Dans la négociation du traité « TSCG », qui contient une règle contraignante de solde budgétaire, (la « règle d'or »), le Parlement n'a été ni informé ni consulté !
N'oublions pas que la démocratie parlementaire est née de l'autorisation budgétaire !
Face à ce déficit démocratique unanimement reconnu et dénoncé -avec plus ou moins de force-, nous assistons à un véritable foisonnement d'initiatives :
- le Parlement européen a fait des propositions pour être mieux associé à la gouvernance de l'euro. De notre point de vue, il ne suffit pas d'associer le Parlement européen pour que la démocratisation du processus soit parfaite. Compte tenu des matières concernées -la politique budgétaire, la monnaie-, les parlements nationaux ont aussi leur mot à dire ;
- des réunions élargies de la commission des affaires économiques et monétaires du parlement européen sont organisées, mais ce sont de simples forums d'échange ;
- en France, le Premier ministre a chargé notre collègue Jean Arthuis d'une mission sur la gouvernance de l'euro, qui fera des propositions début mars, l'Assemblée nationale et le Bundestag ont organisé des réunions de travail. Un amendement a été adopté dans le dernier « collectif » pour prévoir l'information des commissions des finances.
J'ajoute enfin que le traité sur la stabilité, le « TSCG », contient dans son article 13 une formulation assez lapidaire relative à une conférence interparlementaire composée de représentants des commissions compétentes des Parlements nationaux et du Parlement européen, qui pourrait discuter de ces sujets. Mais cela apparait vraiment comme un strict minimum, pour ne pas dire un « cache misère ».
Dans cette situation de grande complexité, voire de confusion, l'idée de la proposition de résolution de la commission des affaires européennes, qui vous a été distribuée, est justement de préciser le format dans lequel pourraient se réunir les Parlements nationaux et européen, et de les mettre en position de peser réellement sur les décisions, par l'adoption de textes transmis au Conseil européen.
D'abord, la résolution précise que la future Conférence interparlementaire devra se réunir avant chaque Conseil européen de printemps, puisque dans la nouvelle procédure du « semestre européen », ce Conseil européen a un rôle très important : il adopte les lignes directrices des politiques économiques et budgétaires.
Ensuite, la proposition de résolution précise que cette Conférence devra pouvoir voter des résolutions. Il ne doit pas seulement s'agir de débattre et d'échanger des informations. Il faut qu'il y ait un dialogue politique avec les institutions européennes, et pour cela il faut pouvoir voter des textes.
Enfin, la résolution propose une formule souple pour s'adapter aux différents niveaux de décision - l'Europe à 27, la zone euro à 17, la zone euro élargie, les signataires du nouveau traité « TSCG », qui sont aujourd'hui 25 sur 27 mais qui seront certainement moins nombreux à l'arrivée ...
La résolution propose que la future Conférence interparlementaire puisse s'adapter, et qu'elle puisse se réunir soit en formation plénière, soit en formation plus restreinte. Elle serait en quelque sorte à géométrie variable en fonction des sujets et des échéances. Par exemple elle se réunirait en format « zone euro » avant les sommets de la zone euro, puisqu'il y en aurait désormais au moins deux par an, ou au contraire en formation plénière avant les conseils de printemps.... Pour son organisation, elle serait adossée à la COSAC, qui servirait d'organe de suivi et de préparation de ses réunions.
Le deuxième volet de la résolution est d'améliorer nos propres procédures nationales. Il va y avoir, désormais, un calendrier européen précis, une série de rendez-vous tout au long de l'année, qui seront eux-mêmes préparés dans le cadre national, et il faudra veiller à ce que les deux assemblées du parlement français soient associées à chaque étape. C'est pour cela que la résolution demande une modification, ou plutôt un renforcement de la circulaire de juin 2010, qui précise les modalités du contrôle parlementaire en matière européenne. Ce point a l'air un peu annexe, mais en fait, il est très important pour bien s'insérer dans le tempo du calendrier de travail et donc peser en temps utile.
Je donne un exemple très concret : c'est dans cette circulaire que figure la fameuse « réserve d'examen » qui fixe des délais permettant au Parlement français de s'exprimer sur les projets d'actes européens. Préalablement à sa participation aux négociations au sein du Conseil, chaque ministre doit vérifier, avec le secrétariat aux affaires européennes, le SGAE, si le Parlement veut prendre position par une résolution. Cela peut être un motif pour réserver la position française à Bruxelles. Vous voyez que la mécanique a son importance...
En conséquence, je vous propose d'apporter notre soutien à la démarche de la commission des affaires européennes, en laissant cette résolution devenir résolution du Sénat.
J'ajouterai pour conclure que j'espère que les choses avanceront en la matière plus rapidement que pour la conférence interparlementaire chargée du suivi de la politique étrangère et de la politique de sécurité et de défense commune, qui doit succéder à l'assemblée parlementaire de l'UEO, désormais dissoute.
Le Sénat avait adopté à l'unanimité, en avril 2010, une résolution proposant la mise en place d'une structure parlementaire de suivi souple et légère de la PSDC, qui a servi de base aux discussions.
Les propositions de la présidence belge puis polonaise pour sa composition n'ayant pas rempoté tous les suffrages, nous sommes encore en phase de mise en place. Le dernier point de discussion porte sur le poids respectif du Parlement européen et des Parlements nationaux dans la composition ; ce sujet figurera à l'ordre du jour de la conférence des Présidents des parlements de l'Union Européenne, qui se tiendra en avril à Varsovie.
La création d'une conférence interparlementaire sur la gouvernance économique sera peut être aussi un processus de longue haleine, mais cela aura été à l'honneur du Sénat français que d'avoir, dès les origines, alerté sur ce déficit démocratique et proposé une solution à la fois souple et opérationnelle. L'enjeu pour nous est tout simplement de pouvoir disposer d'une enceinte parlementaire collective nous permettant de suivre les évolutions de la zone euro et la coordination croissante des politiques budgétaires.
Je vous remercie de votre attention.