Intervention de Alain Gournac

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 février 2012 : 1ère réunion
Situation au nord-mali — Communication

Photo de Alain GournacAlain Gournac :

On ne peut pas comprendre la situation et prendre position dans ce dossier, ne serait-ce que pour accompagner les parties prenantes vers une médiation politique et un cessez-le-feu, si on ne comprend pas les causes de la crise actuelle.

Comme toujours, il y a des causes structurelles et des aspects plus conjoncturels.

Parmi les causes structurelles, il y a tout d'abord la géographie. Le Mali agrège deux régions hétérogènes unies seulement par le fleuve Niger et la religion islamique. Au Sud humide dominent les bambaras. Au nord aride, mais au sous-sol riche, vivent des groupes blancs touaregs, arabes, berrabiches et noirs avec notamment les Songhaïs, les Soninkés et les Peuhls.

La crise actuelle, qui est la quatrième du genre depuis l'indépendance, illustre les difficultés de l'État malien à faire vivre cette unité nationale et à mettre en oeuvre sa devise : « un peuple, un but, une foi ». Dans les frontières héritées des empires coloniaux et, pour ce pays, de l'ancien Soudan français, l'unité nationale est encore très précaire. Ce que les observateurs nous ont dit, c'est que le monde bambara a du mal à concevoir les touarègues comme partie intégrante de la nation, de même que le monde touareg éprouve des difficultés à s'identifier comme malien. Comme nous l'a dit le représentant de la rébellion touarègue, la carte d'identité malienne est, pour beaucoup de Touareg, avant tout un document pratique pour éviter les tracasseries que font subir l'administration bambara aux Touaregs.

Il y a ensuite le sous-développement du Mali en général et du Nord en particulier. Le Mali est un des pays les plus pauvres de la planète. Le conflit actuel ne fera qu'empirer les choses. Au regard de l'indice de développement du PNUD, le Mali était, en 2011, le 175ème sur 182 pays. Je ne vais pas vous assommer de chiffres et d'indicateurs, mais sachez, par exemple, que le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans au Mali est équivalent à celui que connaissait la France au lendemain de la Révolution française. Ce sous-développement est particulièrement accentué au Nord Mali où le taux d'accès à l'eau potable, à des infrastructures de santé ou d'éducation est très inférieur à celui du Sud. Le Mali souffre d'un manque criant d'infrastructures, de problèmes de gouvernance, mais surtout d'une inégalité croissante entre le Nord et le Sud.

Il y a enfin l'absence de règlement politique de la question touarègue depuis l'indépendance du Mali. Les révoltes de 1962-1963 ont été réprimées avec une violence qui a longtemps marqué les esprits au Nord comme au Sud et ont conduit une partie des Touaregs à l'exil. La rébellion de 1991, puis celles de 2006 se sont traduites successivement par les accords du Pacte national, puis par les accords d'Alger. Ces derniers accords devaient se traduire par une forme de démilitarisation du Nord, autour de Kidal, compensée par la création d'unités spéciales mixtes composées en partie de Touaregs. Il devait également s'accompagner d'actions de développement et d'une meilleure intégration des Touaregs dans la vie politique locale et nationale, notamment grâce à un processus de décentralisation. Cet accord, comme le pacte national, a reçu une application très limitée. Il n'y a pas eu de démilitarisation du Nord Mali -mais quel État accepterait durablement de se priver du contrôle la moitié de son territoire ?-, les unités mixtes n'ont pas été créées, pas plus que les projets d'infrastructure.

Une des causes de la situation actuelle est donc bien le non-respect des accords signés par les autorités maliennes. Le récent Plan spécial pour la sécurité et le développement du Nord, initié par le gouvernement de Bamako, en partie financé par des bailleurs internationaux et, au premier chef, par l'Europe, s'est avant tout traduit par la création de casernes, sans concertation, ni investissement médical ou éducatif. Certains observateurs n'hésitent pas à parler de la cécité du pouvoir malien, et d'une forme d'autisme du président Amadou Toumani Touré face à la question touarègue.

À ces causes structurelles viennent s'ajouter des éléments conjoncturels : le développement d'AQMI et ses conséquences, les répercussions du conflit libyens, et la perspective des élections présidentielles.

Le développement d'AQMI dans la région a contribué à une spirale négative. En effet, les prises d'otages ont fait fuir le tourisme ainsi que les ONG, et les programmes de développement internationaux. La fin de ces sources de revenus a conduit une partie de la jeunesse touarègue à rejoindre les rangs d'AQMI ou à participer aux différents trafics de la région et, en particulier, au trafic de drogue. La zone sahélienne est devenue, ces dernières années, une zone de non-droit sans que le pouvoir central ne se donne les moyens de contrecarrer cette évolution. Certains, AQMI comme les trafiquants de drogue, bénéficient de soutiens dans l'entourage de la présidence malienne, soit en raison du profit qu'ils peuvent en tirer, soit pour des raisons stratégiques visant à nuire à la menace de l'autonomisme touareg. Même si certains rebelles touaregs ont pu entretenir des relations avec des cellules jihadistes ou des mouvements salafistes, d'après le représentant du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), le développement de l'AQMI est une des préoccupations des Touaregs, qui sont très étrangers au radicalisme véhiculé par l'islamisme révolutionnaire, et très meurtris par les conséquences concrètes du terrorisme sur le développement de la région.

Le deuxième facteur conjoncturel est évidemment le retour des Touaregs de Libye. Certaines tribus touarègues vivaient en Libye depuis plusieurs dizaines d'années, souvent au service de Kadhafi qui en avait fait des unités d'élite. L'intervention en Libye a conduit ces Touaregs à s'installer au Mali, certains pour la première fois. Comme vous le savez, ils sont revenus lourdement armés, bien entraînés et parfois désoeuvrés. Ce retour a été l'occasion d'une restructuration du mouvement rebelle, persuadé qu'il vivait une occasion historique, dans la lignée des printemps arabes, pour s'affirmer face à Bamako.

Le troisième facteur favorisant la rébellion actuelle est la perspective du scrutin présidentiel de mai prochain. Ce scrutin marque la fin du mandat du Président Amadou Toumani Touré, qui ne se représente pas. La perspective de son départ réduit naturellement son autorité et ses marges de manoeuvre. D'après les observateurs que nous avons entendus, son attitude a été marquée par un double refus, refus du dialogue, mais aussi, dans un premier temps, par un refus de la violence armée, ce qui explique la réaction très timorée de l'armée face à la progression des rebelles touaregs. L'échéance des élections est un enjeu car, plus la rébellion progresse, plus la tenue des élections sera difficile, même si 90 % de l'électorat inscrit se trouve au sud du Mali. Les rebelles peuvent espérer obtenir des concessions en vue de permettre la tenue du scrutin, mais le représentant de la rébellion, que nous avons entendu, nous a indiqué que les Touaregs avaient un mauvais souvenir des précédents accords qui avaient été signés avant des élections sans engager les autorités nouvellement élues.

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