Intervention de Didier Boulaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 février 2012 : 1ère réunion
Situation au nord-mali — Communication

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud, président :

Dans ce contexte, que représente la rébellion touarègue et quels sont ses objectifs ? La rébellion semble aujourd'hui menée par le MNLA. Ce mouvement, créé en octobre 2011, rassemble des leaders touaregs historiques qui ont participé aux accords d'Alger, et des Touaregs revenus de Libye, tel le commandant Mohammed Ag Nagim, leader, rentré de Libye avec des convictions indépendantistes et qui dirige la branche militaire du mouvement. Cette dernière disposerait d'environ 1 500 hommes, mais cet effectif croît, notamment du fait de désertions dans l'armée régulière. Une des caractéristiques nouvelles du mouvement est sa capacité à préserver le lien avec les populations noires de la boucle du fleuve Niger dont certains dirigeants ont manifesté leur neutralité voire leur soutien.

D'autres mouvements, d'inspiration islamiste, sont impliqués dans la rébellion. C'est le cas du mouvement Ansaar Eddine, dirigé par un certain Iyad Ag Ghali, qui entretient aussi bien des relations avec le MNLA qu'avec l'AQMI, Bamako et Alger et dont le positionnement est incertain.

Dans ce contexte, quels sont les objectifs poursuivis par le MNLA ?

Officiellement, l'objectif affiché est l'indépendance, mais nous croyons comprendre que l'objectif final est d'obtenir une autonomie renforcée sur le modèle fédéral espagnol. Notre interlocuteur a ainsi évoqué l'exemple catalan. Autrement dit, une décentralisation poussée, la création d'un parlement régional et des investissements notables en matière de développement. Au-delà de ces positions, des revendications précises sont encore à définir. Un programme de négociation serait en cours de rédaction. Notre interlocuteur nous a d'ailleurs demandé si la France ne consentirait pas à dépêcher un expert en matière constitutionnelle pour aider la rébellion à rédiger un statut conforme à ses aspirations.

Quelles sont les perspectives immédiates et le rapport de force ?

Sur le terrain, les forces rebelles progressent. Bamako a engagé des mercenaires ukrainiens dotés d'hélicoptères de combat. Il semble qu'il y ait des exactions de part et d'autre. Comme toujours, la guerre charrie son lot d'atrocités, tuant militaires et civils, chacun se renvoyant la responsabilité des exactions. Il semble que les hélicoptères provoquent des dommages collatéraux importants. Des militaires maliens auraient été égorgés, de même que des Touaregs issus des rangs de l'armée régulière qui n'auraient pas déserté suffisamment tôt. Au fur et à mesure que les risques de famine s'accroissent, chaque partie renverra la responsabilité à l'autre. La rébellion peut avoir intérêt à poursuivre les combats pour négocier en position de force, et, éventuellement, attendre le pouvoir issu des élections pour négocier avec un pouvoir légitime. Mais il n'est pas sûr que le temps joue en faveur des Touaregs. L'imbrication géographique des groupes du MNLA, d'Iyad ag Ghali et des katibas d'AQMI crée un risque de prise à revers en cas de trahison. Enfin, le Nord Mali est un espace enclavé, où la logistique est un enjeu clé pour un MNLA, qui fait face à la fermeture des frontières algérienne, nigérienne et burkinabée. Il sera difficile de tenir et de ravitailler dans la durée un territoire qui, il faut le rappeler, est grand comme la France.

Quelle initiative la France doit-elle prendre ?

Nous pensons que, par ses intérêts et sa place historique dans la région, notre pays peut difficilement s'abstenir d'une position sur la crise actuelle.

La France poursuit deux objectifs traditionnels de sa politique africaine : la préservation de la paix et de la stabilité de la région, et le soutien au processus démocratique. La remise en question de l'intégrité territoriale du Mali serait un facteur de déstabilisation de la région et conduirait à l'instauration d'un État fragile à l'image de la situation qui prévaut au Sud Soudan.

Le report sine die des élections, ou un éventuel coup d'Etat, remettrait en cause un des modèles démocratiques de l'Afrique francophone.

La France défend ensuite ses intérêts. Notre intérêt est que le Nord-Mali ne devienne pas une zone sanctuaire pour le trafic de drogue à destination de l'Europe, comme pour le terrorisme jihadiste. Notre intérêt est de ne pas déstabiliser le Niger limitrophe où Areva extrait de l'uranium en zone touarègue. Notre intérêt est d'éviter qu'un « Azawad » indépendant bascule dans l'orbite économique et politique d'Alger, ou qu'au Sud-Mali, déjà fragilisé par sa gouvernance, privé de l'essentiel de son potentiel minier, les islamistes gagnent sur fond de discrédit des élites laïques.

La priorité est donc, évidemment, d'obtenir les conditions d'un cessez-le-feu le plus rapide possible. Dans ces négociations, l'Algérie apparaît incontournable, même si, dans une première approche, le MNLA a refusé de négocier par son intermédiaire de l'Algérie. Le MNLA estime, en effet, qu'Alger avait une part de responsabilité dans le non-respect des accords précédents. Le représentant de la rébellion que nous avons rencontré semblait néanmoins concevoir que l'Algérie soit naturellement partie prenante aux discussions. Un communiqué publié récemment dans un journal algérien semble indiquer que notre initiative aurait contribué à sensibiliser ce pays en ce sens. Des tentatives de négociations ont été menées à Alger depuis début février sans le MNLA. Il semble cependant difficile d'aboutir à quelque résultat que ce soit sans que des discussions directes entre le MNLA et Bamako soient entreprises.

S'agissant de la méthode : de l'avis de tous, la France devrait jouer un rôle dans cette médiation. Le mouvement touareg attend beaucoup de nous. On nous l'a confirmé. Le ministre de la coopération, comme les services du Quai d'Orsay, estiment néanmoins qu'il serait contreproductif d'apparaître en première ligne. En effet, dans le contexte préélectoral du Mali, une intervention trop visible de la France pourrait susciter un mouvement anti-français. Les Maliens ont un rapport ambivalent à l'égard de la France, ancien pays colonisateur et destination privilégiée des émigrés maliens. La guerre en Libye et la gestion des flux migratoires ont d'ores et déjà ravivé un sentiment anti-français au sud du Mali. S'aliéner le groupe malinké, très attaché à l'intégrité du pays, nuirait à nos intérêts économiques et diplomatiques. Sur ce dossier touareg, il faut se souvenir que, depuis l'indépendance, et les velléités françaises de créer une Organisation commune des régions sahariennes, les Français sont régulièrement accusés de soutenir la rébellion touarègue. L'idée d'un complot français au Sahara est devenue un élément récurrent du débat politique malien. La formule à élaborer doit donc préserver notre capacité d'influence et faire droit aux intérêts algériens sans y paraître par trop favorable.

S'agissant du fond, la position française consiste à offrir ses services pour la médiation sur la base de trois principes : le maintien de l'unité et de l'intégrité du Mali, le respect du calendrier électoral et l'ouverture d'un dialogue immédiat à partir d'un cessez-le-feu rapide. L'ensemble des pays riverains partage ces principes et sont prêts à favoriser une médiation qui intégrerait les autorités maliennes, la rébellion touarègue, l'Algérie, la Mauritanie, qui a des contacts étroits avec le MNLA, et la France. Un certain consensus semble se dégager pour ne pas ouvrir plus largement le cercle des intermédiaires afin de ne pas disperser les discussions. C'est dans ce sens que les offres de service de l'Union africaine ou de la Suisse, pour ne prendre que ces deux exemples, ont été écartées. Du reste, les organisations régionales et, notamment, l'Union Africaine pourront, le cas échéant, parrainer, dans un second temps, les accords. Il semble, en outre, nécessaire que les futurs accords fassent l'objet d'un comité de suivi qui intègre plusieurs pays et non plus seulement l'Algérie, comme ce fut le cas précédemment.

A plus long terme, la France doit continuer de poursuivre son effort de coopération au développement dans la région, soit directement, soit dans le cadre de la stratégie européenne de développement du Sahel. Des financements existent. Il faut continuer d'expliquer à nos partenaires européens que ce qui se passe au Sahel les concerne. Mais on ne pourra parler de développement que s'il y a un cessez-le-feu et un règlement politique du conflit. C'est à ce moment-là que nous reviendra la responsabilité de veiller à ce que, une fois les armes déposées, un véritable effort de développement soit poursuivi dans la région.

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