La lutte contre les paradis fiscaux constitue un enjeu mondial, et la France entend jouer un rôle de leader dans ce domaine.
Elle a ainsi fortement soutenu la démarche d’élaboration des listes grise et noire de l’OCDE, publiées à la suite de la réunion du G20 à Londres, le 2 avril 2009.
Je rappelle que l’OCDE qualifie de « non coopératif » un État qui répond aux quatre critères suivants : ses impôts directs sont insignifiants, voire inexistants ; son régime fiscal, lorsqu’il existe, n’est pas transparent ; ses activités économiques substantielles sont rares ; son administration fiscale ne transmet pas les renseignements aux autres pays.
Les États non coopératifs figurent sur la liste noire de l’OCDE, que M. le secrétaire d’État a évoquée tout à l’heure. C’était, en 2009, le cas du Costa Rica, de la Malaisie, des Philippines et de l’Uruguay. Lorsque ces États signent au moins douze accords, ils intègrent la liste blanche. S’ils manifestent l’intention de se mettre en conformité avec les standards fixés par l’OCDE sans avoir encore atteint le seuil des douze accords, ils sont alors « transférés » sur la liste grise, ce qui était le cas des Bahamas.
Adhérant aux initiatives multilatérales, la France a initié une démarche de négociation systématique avec les juridictions non coopératives. Elle a ainsi proposé à tous les États ou territoires qui figuraient sur la liste du 2 avril 2009, dont les Bahamas, de signer un accord permettant l’échange de renseignements.
S’agissant du contenu de la convention, l’OCDE a élaboré, en 2002, un accord-cadre sur l’échange de renseignements en matière fiscale, afin d’offrir une norme de référence permettant d’assurer un échange effectif d’informations et, par là même, de réduire les risques d’évasion fiscale. En particulier, les restrictions à l’échange motivées par le secret bancaire sont formellement prohibées dans le cadre de tels accords.
En contrepartie, ces derniers n’autorisent pas à aller à « la pêche aux renseignements ». Les informations demandées doivent être vraisemblablement pertinentes, ce qui signifie que leur détention doit permettre de faciliter le déroulement des enquêtes ou poursuites en matière fiscale.
La France applique fidèlement cet accord-cadre et parvient même, dans certains cas, à imposer des normes encore plus rigoureuses, comme nous allons le voir pour les Bahamas.
Un point mérite encore d’être souligné à titre liminaire. Notre pays s’est attaché, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009, à garantir l’application effective des accords qu’il conclut en matière de lutte contre les paradis fiscaux, en se dotant d’un outil de sanction des États qui ne rempliraient pas leurs engagements. Ces sanctions ont été détaillées par M. le secrétaire d’État.
Il s’agit en fait de durcir le régime fiscal applicable aux transactions réalisées avec ces États. Le dispositif permet notamment de refuser certaines exonérations de plus-values de cession ou d’imposer des retenues à la source en faveur de la France, en particulier en matière de dividendes. Il a également pour objet d’accroître la transparence des transactions au sein des groupes internationaux.
Cette démarche, très systématique on le voit, a été couronnée de succès. La France a ainsi conclu vingt-cinq accords en moins de neuf mois en 2009, dont l’accord avec les Bahamas, signé le 7 décembre 2009, à Paris.
Nos relations avec ce territoire sont certes ténues. La Société Générale et le Crédit Agricole ont des filiales à Nassau, mais BNP Paribas a annoncé son retrait à la fin du mois de septembre 2009. Au total, le stock des investissements français aux Bahamas était estimé, à la fin de l’année 2008, à 419 millions d’euros par la Banque de France, soit 2 % seulement des investissements français en Amérique latine et dans les Caraïbes.
L’inscription des Bahamas sur la liste grise de l’OCDE était fondée sur une fiscalité pratiquement inexistante. Il n’y est prévu aucun impôt sur le revenu, sur les bénéfices, sur le patrimoine ou sur le chiffre d’affaires. Seuls des droits de mutation à titre onéreux sont prélevés lors de la cession de biens immobiliers, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales.
Or on dénombrait, en 2008, 44 000 compagnies internationales et 136 banques offshore sur ce territoire.
Si, jusqu’en 2009, les Bahamas n’avaient signé qu’un seul accord d’échange de renseignements en matière fiscale – avec les États-Unis en 2003 –, ils ont depuis conclu vingt et un accords d’échange de renseignements.
Certes, certains ont été passés avec des paradis fiscaux comme la principauté de Monaco et la République de Saint-Marin et, à cet égard, mes chers collègues, j’entends bien évidemment votre réprobation silencieuse… Mais la plupart des partenaires des Bahamas dans ce domaine n’entrent pas dans cette catégorie. Il s’agit notamment des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas, de la Finlande, du Danemark, de l’Espagne, de l’Australie, de l’Allemagne, du Canada, de la Suède, de la Norvège, de l’Islande, de la Chine, de l’Argentine, du Mexique, du Groenland, des îles Féroé et de la Belgique.
Les Bahamas ont donc pour l’instant joué le jeu et intégré la liste blanche de l’OCDE, même si nous attendons encore la notification de la procédure de ratification de leur part. À défaut, l’OCDE pourrait reconsidérer leur sortie de la liste grise.
S’agissant du détail de l’accord conclu avec ce territoire, accord qui nous intéresse tout particulièrement aujourd’hui, il convient, en premier lieu, de souligner que celui-ci fait partie du second cycle de négociations mené par la France en 2009.
Les premiers accords, conclus au premier semestre de l’année 2009, s’inspiraient totalement et strictement du modèle fixé par l’OCDE. La deuxième vague, dont relève le texte que nous examinons, comprend des améliorations apportées à ce modèle, et ce à l’initiative de la France.
Ainsi, le champ d’application est plus étendu : il ne fait pas référence à une liste précise d’impôts, mais vise tous les impôts existants et ceux de même nature qui seront établis après la date de signature.
En outre, l’accord prévoit que les parties doivent adapter leur législation interne afin de rendre effectif l’échange de l’information. Cette dernière doit donc être réellement disponible. L’administration des Bahamas doit y avoir accès et être en mesure de la transmettre.
Enfin, on peut se féliciter que les frais extraordinaires qui seraient générés à la suite d’une demande de la France ne soient pas systématiquement remboursés par celle-ci, contrairement à ce qui prévalait dans les premiers accords conclus.
Au-delà des améliorations spécifiques du modèle de l’OCDE qui apparaissent dans l’accord conclu avec les Bahamas, je rappellerai brièvement que les informations échangées peuvent être de toute nature, bancaire ou non. En l’espèce, les Bahamas devront prendre, pour chaque demande, toutes les mesures adéquates nécessaires pour la collecte des renseignements, que ces derniers soient détenus par des banques, des institutions financières ou dans le cadre de fiducies, de fondations ou de sociétés, à condition que cela ne soulève pas de difficultés disproportionnées.
Une fois qu’ils auront reçu l’attestation de la France qu’elle aura employé tous les moyens disponibles sur son territoire sans soulever de difficultés disproportionnées, les Bahamas disposeront alors de quatre-vingt-dix jours pour fournir les éléments demandés.
Ils ne pourront rejeter une telle demande que si la divulgation des informations est contraire à l’ordre public, discriminatoire ou si elles sont couvertes par le secret commercial ou professionnel. Il convient également de souligner que cet échange doit respecter le droit des contribuables.
Tels sont les éléments essentiels que je souhaitais exposer à propos de cet accord. Ils valent par ailleurs pour les onze autres accords qui seront examinés tout à l’heure en procédure simplifiée.
Il apparaît crucial d’autoriser cette ratification dans la perspective de la présidence française du sommet du G20, au second semestre de l’année 2011. En effet, comme je l’ai déjà indiqué, la France est un leader sur la scène mondiale dans la lutte contre les paradis fiscaux depuis 2009 et elle se doit de présenter un bilan positif en 2011.
La commission des finances sera vigilante non seulement sur la transmission effective des renseignements qui pourraient être demandés aux Bahamas, mais également sur la mise en place effective des accords d’échange de renseignements conclus par notre pays.
S’agissant, d’une manière plus générale, de l’état d’avancement de la politique de lutte contre les paradis fiscaux, la commission des finances veillera, si besoin est, à l’application du mécanisme de sanctions prévu par la loi de finances rectificative. En outre, elle organisera à l’automne une séance consacrée aux conventions fiscales, en présence des principaux ministres responsables en ce domaine.
En conclusion, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans réserve le présent projet de loi visant à approuver l’accord conclu avec les Bahamas.