Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, l’examen en séance publique d’un projet de loi tendant à autoriser un accord fiscal international donne lieu à une discussion. Nous avons ainsi l’occasion d’évoquer la nécessité pour la communauté internationale de faire davantage d’efforts en matière de lutte contre les paradis fiscaux, ce qui est bien évidemment significatif dans le contexte actuel de crise économique et de fortes turbulences politiques.
Nous devons donc nous prononcer aujourd'hui sur un accord avec un territoire emblématique, puisqu’il s’agit des Bahamas, une des destinations préférées de tous ceux qui souhaitent investir et faire fructifier leur capital sans impôt ni taxe, dans un environnement naturel et climatique paradisiaque.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les Bahamas sont le plus riche des paradis fiscaux de la zone caraïbe. L’économie locale est dominée par les activités bancaires offshore et la domiciliation des International Business Companies. Ces dernières seraient au nombre de 160 000 environ, pour 140 banques offshore.
Il n’existe aux Bahamas aucun impôt sur le revenu, ni sur les bénéfices, ni sur le patrimoine, ni sur le chiffre d’affaires : c’est un véritable paradis !
Seuls les droits de mutation à titre onéreux sont prélevés lors de la cession de biens immobiliers, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales. C’est dire l’attractivité de cet archipel, dont l’économie reste fondamentalement liée à la bonne santé de celle des États-Unis.
En raison du caractère mondial de la crise financière, les pays membres du G20 s’étaient réunis en 2009 à deux reprises afin de tenter de trouver des solutions équilibrées et consensuelles pour moraliser le marché et mettre fin à la concurrence déloyale des paradis fiscaux. Vaste programme !
Il convenait de mettre un frein aux activités douteuses, en particulier à l’opacité dont peuvent bénéficier individus et entreprises dans certains territoires manifestement non coopératifs.
Toutefois, pour être efficace, cet effort devait être poursuivi dans le temps avec une grande fermeté. La France devait, nous disait-on alors, se donner des moyens d’action pour lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale, comme notre collègue Nicole Bricq l’a excellemment rappelé.
Mais, sans une volonté politique ferme et durable, il est vain d’espérer gagner contre un tel système. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est l’occasion pour les membres du RDSE de réaffirmer qu’il est grand temps de mettre fin aux activités de ces ports de l’économie souterraine, de ces havres de la spéculation, de ces blanchisseries de l’argent sale, qui sont autant de poumons de l’économie criminelle et de bases financières pour les internationales terroristes !
D’après Raymond Baker, chercheur américain spécialiste des circuits noirs de la finance mondiale, l’argent qui passe par les paradis fiscaux est destiné pour 5 % à la corruption, pour 30 % au blanchiment, le reste représentant l’évasion et la fraude fiscales. C’est donc énorme !
Mettre un terme aux paradis fiscaux impliquerait de vouloir en finir avec la concurrence fiscale déloyale dont notre pays est victime depuis bien trop longtemps.
À Londres, en avril 2009, le G20 avait dans un premier temps dressé une liste noire des paradis fiscaux, sur laquelle figuraient les Bahamas, accompagnée de sanctions à l’encontre des places et institutions financières refusant de se conformer aux exigences de transparence. Ces mesures reposaient manifestement sur de bonnes intentions, mais nous savons depuis longtemps que l’enfer en est pavé !
La lutte contre les paradis fiscaux devait devenir – promis-juré ! - une priorité.
Puis, à Pittsburgh, en septembre 2009, il a été décidé de doter le monde d’une nouvelle instance de pilotage de l’économie mondiale. Le G20 a alors été désigné comme forum principal pour la coopération économique internationale : les listes définitives, grise et noire, des territoires non coopératifs étaient adoptées par chaque État membre.
C’est dans ce contexte que j’avais déposé, avec l’ensemble des membres de mon groupe, une proposition de loi relative à la taxation spécifique de certaines transactions financières dont le taux devait évoluer en fonction du niveau de coopération des territoires visés par les listes du G20.
Dans son dispositif, notre proposition de loi fixait le taux commun de la taxe à 0, 05 %. Pour les transactions effectuées avec certains États, deux taux dérogatoires étaient prévus selon le degré de coopération fiscale et bancaire de ces derniers avec la France : un taux de 0, 1 % pour les États issus de la liste grise des paradis fiscaux établie par l’OCDE et un taux maximum de 0, 5 % pour les États issus de la liste noire.
Il était également prévu que le taux applicable soit modifié en loi de finances à chaque nouvelle publication par l’OCDE des listes des paradis fiscaux.
Notre proposition de loi fut débattue ici même le 23 juin dernier : on nous expliqua alors que nous avions raison et que notre proposition était excellente, mais qu’il était probablement trop tôt et qu’il fallait laisser à d’autres la maîtrise du temps et du calendrier sur cette question, comme sur bien d’autres, du reste !
Il semble que le Président Sarkozy souhaite reprendre, lors du G20 qui se tiendra à Paris, non pas notre idée – une telle affirmation serait prétentieuse ! –, mais, en tout cas, le principe d’une taxe Tobin. Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous donner de plus amples informations sur ce sujet ? Si tel est bien le cas, je suis certain que l’idée du groupe RDSE paraîtra alors excellente à tous !
Outre l’intérêt pour l’État de renflouer ses caisses de façon pérenne, notre proposition de loi aurait constitué également un outil efficace de lutte contre la spéculation pratiquée par des établissements financiers depuis des territoires peu coopératifs et soucieux d’opacité, comme les Bahamas.
Au demeurant, je rappelle que plusieurs pays ont déjà mis en place des barrières à l’entrée des flux spéculatifs, notamment en provenance des Bahamas, et ce avec un succès assez probant.
Aujourd’hui, que nous propose le Gouvernement ? Tout simplement la possibilité d’un échange d’informations fiscales entre la France et les Bahamas, sans aucune certitude que cet accord soit réellement efficace. En effet, en matière de transparence fiscale, les bonnes intentions restent souvent lettre morte face à la grande créativité déployée par les acteurs financiers pour contourner les dispositifs.
En outre, rien ne permet d’affirmer que les Bahamas respecteront la lettre, et encore moins l’esprit, de cet accord classique, et ma foi fort modeste, puisqu’ils ne l’ont toujours pas ratifié à ce jour.
Le pari de la transparence fiscale qui sous-tend cet accord repose donc sur la bonne volonté des représentants des Bahamas conjuguée à la pression du Gouvernement français, dont on peut parfois craindre que, en la matière, il ne pratique le double langage.
C’est pourquoi, devant le peu de garanties offertes par cet accord, la majorité des membres du RDSE et les sénateurs Radicaux de gauche font le choix de l’abstention.