… où le régime fiscal des entreprises est quasiment identique à celui qui est pratiqué aux Bahamas.
Comment se déroulent ces activités, sachant que certains établissements bancaires français – je pense à Paribas qui, un temps, était présent à Nassau comme aux Îles Caïmans – ont pu avoir des succursales dans ces territoires et que les opérations concernent aussi les entreprises de production ?
Le schéma est connu : la production d’une unité réalisée dans un pays étranger est vendue, quasiment à prix coûtant, à une IBC implantée à Nassau. Puis l’IBC prélève sa dîme sur le prix de la vente et procède à la revente de la même production à une autre entité juridique du même groupe située dans un pays où la fiscalité est plus élevée.
Résultat : le différentiel de prix entre le lieu de production et le lieu principal de la vente – il peut d’ailleurs s’agir du pays d’origine de la société mère du groupe – est essentiellement capté par la filiale implantée aux Bahamas sous forme d’IBC, et échappe donc largement à l’imposition tant sur le lieu de production que sur le lieu de vente.
Cela vaut pour les Bahamas mais aussi pour des territoires moins éloignés de la France métropolitaine.
Ainsi, l’île de Jersey, dont il sera question dans une autre convention, ne compte qu’environ 90 000 habitants résidents dont un tiers, ou peu s’en faut, dans la capitale, Saint-Hélier, mais les activités financières sont déterminantes pour l’économie locale.
En effet, le PIB jersiais dépend à 53 % des activités financières, avec 47 banques gérant près de 200 milliards de livres de dépôts et 1 452 fonds d’investissement divers à la tête de 240 milliards de livres.
Nous avons donc une activité financière locale représentant 5 millions de livres de dépôts par résident !
De même, à Guernesey, le quart des emplois dépend des activités financières.
Les îles anglo-normandes, Gibraltar ou l’Île de Man partagent d’ailleurs avec les territoires antillais et caribéens dont nous parlions auparavant la même absence de fiscalité digne de ce nom sur les opérations financières.
À la vérité, nous aurions fort bien pu demander l’organisation d’une discussion sur chaque situation, le cas de la principauté d’Andorre et celui du Liechtenstein étant suffisamment intéressants pour cela. Mais le seul portrait – et il est peu reluisant – de ces quelques paradis fiscaux nous amène à considérer avec beaucoup de scepticisme la portée des mesures prévues par les différentes conventions.
Monsieur le secrétaire d’État, de quels renseignements l’administration fiscale française pourra-t-elle disposer de la part de pays où l’absence presque totale de fiscalité directe implique, mécaniquement, l’absence de rôles d’imposition, et donc d’une connaissance, même succincte, de la réalité des revenus perçus, des transactions effectuées, des bénéfices réalisés, si l’on recherche les opérations qui ont eu lieu depuis la métropole en direction de ces territoires ?
Nous pouvons même nous demander si ces conventions, présentées comme un pas dans la bonne direction, n’ont finalement pas d’autre objet que de donner un vernis de légalité et de respectabilité à ce qui va continuer à être mené sans vergogne ni complexe, c’est-à-dire des opérations de pure optimisation fiscale, touchant les placements financiers, les transactions monétaires et les échanges de biens et de services.
Nous pouvons même craindre que, du fait de son incapacité à répondre aux éventuelles sollicitations de l’administration française, l’administration bahamienne ne finisse par faire en sorte que les questions posées se perdent dans le triangle des Bermudes de l’opacité financière.
Ce qui est évidemment certain, c’est que les sommes transitant chaque jour par ces territoires ne profitent que peu aux résidents et se limitent, pour l’essentiel, aux salaires versés aux opérateurs locaux installés sur place.
L’intense spéculation financière menée depuis les territoires de complaisance fiscale dont nous parlons, transitant par eux ou opérée à destination de ces territoires, pollue depuis de trop nombreuses années la vie économique de l’ensemble de la planète et ne fait pas pour autant le bonheur des peuples.
Bien qu’experts en opérations financières, les Bahamiens ont un PIB par habitant deux fois inférieur à celui de la plupart des pays européens, et 14 % des actifs sont au chômage aujourd’hui, à la suite de la contraction de l’activité touristique.
Seulement voilà, les milieux d’affaires internationaux ont besoin de ces « lessiveuses » d’argent pas toujours très net, pour mener à bien la mission qu’ils imposent à la production, c’est-à-dire réaliser le plus possible de profits.
Et comme la crise financière de l’été 2008 a attiré l’attention de l’opinion publique sur les paradis fiscaux, ce que l’OCDE appelle les « territoires et pays non coopératifs », eh bien, il faut donner le change !
La vérité, c’est bien que cette convention avec le gouvernement de la Communauté des Bahamas comme les onze autres conventions fiscales qui nous sont proposées ne visent qu’à donner l’apparence de la « normalisation » des activités financières, permettant de sortir des listes noire ou grise de l’OCDE les douze territoires concernés.
Cette normalisation, par voie de conséquence et par pur parallélisme des formes, affectera non seulement les pays en question mais aussi, et surtout, les filiales, entreprises ou établissements financiers d’origine française qui viendraient à y exercer une activité.
Nous sommes pour notre part convaincus que rien ne changera avec ces conventions fiscales, et singulièrement avec celle qui a été passée avec les Bahamas.
On peut même craindre, dans un avenir plus ou moins lointain, qu’un pétrolier immatriculé à Nassau ne vienne, une fois encore, polluer les côtes de l’un des pays européens, peut-être même du nôtre.
Mais les activités offshore de l’archipel ne sont aucunement menacées par la convention, et elles pourront continuer de se dérouler autant « off » que « on » shore, avec vue sur le récif corallien et les flots turquoise…
Ce qui restera écrit sur du vent, ou, au mieux, sur le sable – pour mieux être emporté à la première marée – sera l’espérance de la transparence des transactions bancaires et financières.
Les dix dernières secondes de mon temps de parole m’éviteront de prendre tout à l’heure la parole pour explication de vote.