Intervention de Michel Barnier

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 6 mars 2012 : 2ème réunion
Audition de M. Michel Barnier commissaire européen au marché intérieur et aux services

Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services :

Je suis heureux que l'on puisse parler d'Europe et j'espère que ce sera le cas pendant cette campagne présidentielle. Il faut en effet, Philippe Marini, dire la vérité sur les mesures prises au niveau européen et dire la vérité aussi sur le monde tel qu'il est. Nous sommes dans un environnement plus instable et plus injuste auquel nous devons faire face. La Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie, ou, encore, les Etats-Unis s'affirment et n'ont pas besoin de nous pour compter. Notre choix est le suivant : soit on existe dans ce monde tel qu'il est, soit on est définitivement sous-traitant et sous l'influence des autres puissances. Par exemple, en matière de politique industrielle, nous ne serons plus que de simples consommateurs si nous ne faisons pas attention. Voilà pourquoi il faut être européen tout en étant patriote. L'UE doit aller au bout de sa logique de mutualisation, elle doit unir sans uniformiser.

Jean Arthuis va remettre sous peu son rapport au Premier ministre sur l'avenir de la zone Euro. Il a fait un travail important, qui représente une leçon politique. Le pacte budgétaire et fiscal exige en effet plus de démocratie parlementaire et une plus grande implication des parlementaires nationaux sur un plan européen. Je l'ai moi-même dit à mon collègue Olli Rehn et à d'autres commissaires : nous devons de plus en plus travailler ensemble, institutions européennes et parlementaires nationaux.

Pour répondre à Martial Bourquin, nous n'avons plus les moyens d'agir par l'endettement. Il faut donc conduire des actions structurelles. Ainsi, par une action efficace sur le marché unique, qui représente 500 millions de consommateurs et 22 millions d'entreprises mais reste trop fragmenté, il serait possible de produire 2 à 4 points de croissance supplémentaires. S'agissant de l'harmonisation en matière fiscale, la Commission européenne a mis des idées sur la table : je vous invite à prendre connaissance de notre proposition d'assiette commune pour l'impôt sur les sociétés, ainsi que de notre projet relatif à la fiscalité écologique. Nous devons mettre en oeuvre de nouveaux instruments, à l'image des projects bonds qui pourraient permettre de financer, entre autres, des travaux sur les infrastructures, tels que les réseaux transeuropéens (RTE).

Pour faire suite aux interrogations de Marcel Deneux, j'appuie son raisonnement sur la financiarisation des marchés des matières premières agricoles : elle a été multipliée par trente au cours des quinze dernières années. Nous avons fait des propositions pour réguler ces marchés, à travers des dispositions concrètes, dont nous avons parlé :

- la directive MIF ;

- la régulation des marchés des dérivés ;

- la supervision financière ;

- et, enfin, le projet de directive sur les abus de marché, qui vise notamment à criminaliser certaines pratiques.

Pour ce qui concerne votre observation sur la nature des banques et la situation du Crédit agricole, je relève que sur les 8 300 banques européennes qui vont se voir appliquer les nouvelles normes prudentielles, près de 4 000 sont coopératives ou mutualistes. Nous devons veiller à ne pas fragiliser cette diversité quand nous appliquerons la réglementation. Les Etats-Unis sont dans un rapport inverse avec 75 % d'établissements commerciaux contre 25 % de structures coopératives.

S'agissant du projet évoqué par Jean Bizet de force européenne de protection civile, il me semble que l'Europe aurait tout intérêt à mutualiser ses moyens et pouvoir ainsi répondre très rapidement à toute catastrophe de grande ampleur. Ma collègue, Kristalina Georgieva, commissaire européenne à la coopération internationale, à l'aide humanitaire et à la réaction aux crises, travaille actuellement à des propositions en ce sens. Nous allons progressivement vers un tel mécanisme intégré, mais des Etats - voire des régions - restent réticents à transférer leurs compétences en ce domaine.

A la question de Pierre Bernard-Reymond, je précise qu'il faut avoir en tête que le budget communautaire dépense 10 milliards d'euros par an en France au titre de la politique agricole commune (PAC), alors que le budget national est loin de dépenser autant de crédits d'intervention pour les agriculteurs. J'indique que le budget européen, qui atteint à peine 1 % du PIB des Etats membres et risque de ne pas augmenter sensiblement, n'est manifestement pas à la hauteur des enjeux. Je suggère de l'accroître, non pas en relevant les impôts mais, comme pour la PAC, en transférant au niveau européen des prélèvements déjà existants, ainsi qu'en créant une taxe sur les transactions financières. Cette dernière, à large assiette et faible taux, rapporterait potentiellement 57 milliards d'euros par an.

Par ailleurs, la qualification professionnelle est l'un des grands enjeux du marché unique européen. Je soutiens la mise en place d'une carte professionnelle européenne, qui garantirait les compétences de leurs titulaires, renforcerait la mobilité des travailleurs et apporterait davantage de transparence. Un arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les conditions d'accès à la profession de notaire précise que la nationalité n'en relève pas, ce qui devrait favoriser la mobilité intra-européenne en ce domaine. S'agissant d'une activité ayant une dimension d'intérêt public, il convient toutefois d'être attentif, et de poursuivre la discussion avec les professionnels. Le texte que je propose devrait permettre, à cet égard, de prévenir des recours et jugements qui pourraient être beaucoup moins favorables à l'avenir.

Enfin, je vous rappelle que mes sujets d'actualité pour 2012 en matière de régulation, sur lesquels vous serez appelés en tant que parlementaires nationaux à émettre un avis, porteront sur les produits dérivés et la capitalisation des banques, à travers les accords de « Bâle III » ; ils conduiront à s'interroger sur le respect par les Etats-Unis, le Japon ou la Chine de la réglementation que nous entendons nous imposer. Seront également abordés, cette année, le shadow banking et la régulation des agences de notation.

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