Intervention de Serge Lasvignes

Commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 10 janvier 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Serge Lasvignes secrétaire général du gouvernement

Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement :

Je suis un praticien, pas un responsable politique : mon travail est de faire fonctionner la machine Matignon. Le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) s'est particulièrement investi en matière d'application des lois. C'est pourquoi je suis content de venir en parler avec vous car cette question me tient à coeur. Les enjeux sont multiples : politiques, démocratiques, mais ils ont également trait à la sécurité juridique. Les lois qui sont définitivement adoptées et qui ne reçoivent pas tous leurs décrets d'application sont en effet source d'insécurité juridique : s'appliquent-elles ou pas ? La jurisprudence du Conseil d'Etat rappelle qu'une disposition législative est immédiatement applicable, sauf si cette application apparaît manifestement impossible. La règle n'est donc pas d'attendre le décret pour que la loi s'applique : elle s'applique, sauf si son application est clairement impossible sans décret. Il en résulte une sorte de trouble chez les sujets du droit lorsqu'une loi ayant été définitivement adoptée voit ses décrets d'application s'égrener dans le temps. C'est pour ces raisons que je me suis beaucoup investi dans ce dossier jusqu'à en faire l'indicateur de performance du SGG au sens de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Comment procédons-nous ?

Ces dernières années, le SGG a accompagné la production des décrets. Nous commençons ce travail au moment où la loi va être présentée en conseil des ministres. Lorsqu'un projet de loi sort du Conseil d'Etat, une réunion de relecture à Matignon a lieu avant qu'il ne soit soumis au conseil des ministres la semaine suivante. C'est à ce moment là que nous faisons les premiers repérages des décrets nécessaires et nous demandons quelle est l'administration qui en sera responsable. Ceci nous permet de lutter contre une des difficultés classiques que nous rencontrons lorsqu'aucun ministère ne veut se charger d'un décret : nous les appelons les « décrets orphelins ».

Lorsque la loi a été définitivement adoptée, le SGG organise une réunion interministérielle consacrée exclusivement à l'application de ladite loi. Tous les responsables concernés sont convoqués et nous élaborons un échéancier qui permet de savoir quels sont les services qui vont travailler sur les décrets, d'y voir plus clair sur la procédure nécessaire à l'adoption du décret - quelles consultations, quelles commissions, quels conseils -, d'avoir un calendrier. Toutes ces données font l'objet d'une publication sur un site internet du Gouvernement, ce qui permet à tout moment de voir où en est l'application du texte.

Une fois ce travail réalisé, nous en suivons l'évolution car les promesses n'engagent que ceux qui y croient... De temps à autres, j'adresse des lettres de rappel aux directeurs de cabinet des ministres.

Les 30 juin et 31 décembre, nous arrêtons les compteurs. Ainsi, le 31 décembre 2011, nous avons procédé à un décompte de toutes les lois adoptées sous cette législature, sauf celles qui avaient été votées il y a moins de six mois, estimant qu'il s'agit d'un délai raisonnable laissé aux ministères pour rédiger un décret. Notre référence est donc l'application des lois publiées depuis au moins six mois. Cela permet d'éviter des situations comme en 2010. Le Grenelle II avait été définitivement adopté en juillet. En septembre, le Sénat avait rendu son rapport : il estimait que les résultats du Gouvernement s'étaient considérablement dégradés. Cette loi nécessitait en effet 178 mesures d'application et elles n'avaient pas été prises entre juillet et septembre. Il ne nous semble pas illégitime de considérer qu'une loi peut ne pas être dotée de toutes ses mesures d'applications pendant les six mois qui suivent sa promulgation. A l'issue de ce délai, nous nous assurons des résultats.

Au 31 décembre 2011, 202 lois avaient été adoptées depuis le début de la législature, dont 71 d'application directe. Les 131 lois restantes nécessitaient 2 324 mesures d'application, ce qui ne veut pas dire 2 324 décrets d'application puisqu'elles se regroupent dans un nombre de décrets bien inférieur. Sur ces 2 324 mesures, 1 957 avaient été prises le 31 décembre dernier. Le taux est donc de 84 % ; ce n'est pas excellent, mais c'est quand même très honorable. Sur les 202 lois votées, 148 sont aujourd'hui totalement applicables et 49 le sont partiellement.

Quelques observations critiques cependant.

Tout d'abord, la gestion de ces procédures n'est pas le point fort des ministères. Il leur manque souvent l'influx politique, car ce qui compte le plus souvent, c'est l'adoption d'une loi et non pas son application pleine et entière. En second lieu, l'administration française a du mal à gérer les procédures. Il existe aussi des centaines de commissions consultatives qu'il est très difficile de réunir.

En second lieu, il est souvent assez malaisé de rédiger des décrets. Il s'agit en effet d'un travail interministériel, ce qui nécessite du temps et de la ténacité. Ensuite, il faut réunir les signatures des ministres concernés. Or, ils ont tendance à manquer de promptitude pour apposer leur contreseing. Le SGG intervient, de plus en plus, lors de ces phases critiques.

Les consultations posent aussi divers problèmes : elles sont multiples et nous avons du mal à en connaître l'intérêt exact. Nous avons tenté de moderniser les consultations en supprimant les commissions qui ne nous semblaient pas convaincantes et en remplaçant ces consultations formelles par des consultations publiques. Un récent décret permet de rassembler sur un site du Premier ministre l'ensemble des consultations publiques organisées par les ministères sur des projets de décrets, sachant que, dans ce cas, ces consultations publiques peuvent se substituer à la consultation des commissions institutionnelles.

De plus, le SGG est écartelé entre ses obligations : il doit veiller à ce que les décrets sortent le plus vite possible, mais aussi que les nouvelles réglementations respectent bien un principe de proportionnalité, que les ministères ne profitent pas d'une loi pour sur-réglementer, et que l'impact du texte a bien été pris en compte. C'est pourquoi j'ai appris à travailler avec la commission consultative d'évaluation des normes. En outre, un commissaire à la simplification a été placé à mes côtés pour passer au crible tous les décrets qui s'appliquent aux collectivités territoriales et aux petites et moyennes entreprises (PME). Tout ceci demande donc du temps.

Enfin, régulièrement, nous rencontrons un décret qui pose de vrais problèmes politiques, ce qui entraîne le blocage de la loi.

Quelques progrès doivent être soulignés.

Désormais, chaque ministère compte un responsable de la programmation et du pilotage des décrets d'application des lois. En général, il s'agit du secrétaire général du ministère ou du directeur des affaires juridiques.

Nous avons engagé un dialogue avec le Conseil d'Etat qui s'est traduit par la constitution de listes de textes prioritaires : les ministères doivent s'y plier.

Nous avons travaillé avec les cabinets des ministères pour accélérer les procédures de contreseing.

Enfin, je souhaite former les fonctionnaires à la rédaction des textes d'application. Dans notre système, tout fonctionnaire peut rédiger un décret. Comme 30 % des bureaux font des textes, environ 6 000 fonctionnaires sont susceptibles d'en écrire. Or, le niveau de formation de ces fonctionnaires est inégal. Je souhaite donc mettre en place une formation initiale en coopération avec l'Ecole nationale d'administration (ENA) et les instituts régionaux d'administration, et une formation continue, avec des modules d'initiation puis d'approfondissement. Tout ceci pourrait déboucher sur un système certifié de qualification. Il avait été envisagé d'interdire aux fonctionnaires qui n'auraient pas cette qualification de rédiger des textes, mais les manoeuvres de contournements étant multiples, nous n'irons pas jusque là.

Notre action a permis de réduire les écarts entre ministères en ce qui concerne l'application des lois. Dans ce domaine, il faut être tenace, ne pas se démoraliser et c'est pourquoi le SGG est bien placé pour faire avancer les choses.

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