Intervention de Catherine Procaccia

Mission d'information sur les pesticides — Réunion du 27 mars 2012 : 1ère réunion
Table ronde d'auteurs de rapports de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques opecst

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Notre sujet était très circonscrit : il s'agissait d'étudier les incidences de l'usage de la chlordécone et autres pesticides aux Antilles. La chlordécone est un polluant organique extrêmement persistant : au cours de nos études, nous nous sommes rendu compte que les sols sont pollués pour 150 à 750 ans en Martinique et en Guadeloupe !

J'ai travaillé avec M. Jean-Yves Le Déaut, député socialiste et chimiste de formation, dont les connaissances m'ont bien aidée à appréhender certaines données. Nous avons auditionné énormément de personnes. Nous sommes allés deux fois aux Antilles. Nous n'avons pas subi de pressions. Il est vrai que certains organismes se sont montrés plus empressés que d'autres à se rapprocher de nous mais c'est plutôt nous qui avons mis la pression, en particulier sur les fabricants de produits phytosanitaires.

Je l'ai déjà dit et je le répète : j'ai eu le sentiment d'être dans un roman d'aventures dans lequel il fallait faire des recherches et où toutes les portes se fermaient lorsque nous cherchions à obtenir des informations.

La chlordécone est un pesticide inventé et fabriqué aux États-Unis d'Amérique qui ont connu un incident de fabrication qui a pollué leurs rivières. Ils ont donc interdit ce produit que l'on voit réapparaître aux Antilles bien après. Nous avons cherché à savoir ce qui s'était passé entre-temps et avons fini par découvrir que les États-Unis ne produisaient plus de chlordécone mais la faisaient fabriquer au Brésil.

Un des grands thèmes de notre rapport parodie un peu une aventure d'Indiana Jones. Un des chapitres du rapport s'intitule : « A la recherche de la chlordécone perdue » ! Nous avons en effet eu beaucoup de mal à progresser et avons fini par obtenir des chiffres. Nous nous sommes rendu compte qu'entre les tonnes de chlordécone produites et celles utilisées aux Antilles existait un énorme écart, seule une part marginale y ayant été utilisée.

Notre quête a fini par nous apprendre que la chlordécone a été énormément employée sous une autre forme dans les pays de l'Est et en Allemagne - on se demande même si elle ne l'a pas été en France métropolitaine - pour lutter contre les doryphores dans les cultures de pommes de terre.

Nous nous sommes réparti les missions et je suis allée en Allemagne où j'ai, entre autres, rencontré les Verts au Parlement pour leur expliquer qu'un laboratoire avait trouvé des traces de chlordécone dans l'eau. Cela n'a jamais débouché sur rien ! Le secret industriel et le secret des Etats a fait que des pays qui sont peut-être plus pollués que les Antilles ne sont pas connus et ne font l'objet d'aucune étude ou enquête !

Pourquoi ? On n'a pas trouvé la façon de se débarrasser de cette molécule : quand elle entre en contact avec le sol, elle n'en sort plus ! Notre ambition était de créer, au moins avec l'Allemagne, des équipes de recherche complémentaires pour étudier la manière de se débarrasser de la pollution du sol par la chlordécone. L'Allemagne s'y refusant, les études qui sont menées sont purement françaises.

Que sont devenues nos recommandations ? Beaucoup d'études sur la santé ont été lancées par le Gouvernement dès 1999, ainsi que dans les années 2003 à 2004. Énormément de choses avaient été lancées avant l'alerte du Pr. Belpomme. En particulier, des médecins ont créé d'eux-mêmes un registre du cancer aux Antilles, qui n'existait d'ailleurs pas en France métropolitaine, et ont remis leurs conclusions.

Les choses ont évolué puisqu'au début de notre rapport toutes les études montraient que les Antillais avaient le même taux de cancer de la prostate que les Noirs américains à Chicago ou ailleurs.

L'étude, sans être catastrophique, a néanmoins démontré que la chlordécone avait une incidence plus importante sur le cancer de la prostate des Antillais, certains hommes, qui n'avaient jamais été en contact avec ce produit, pouvant néanmoins développer des cancers en consommant des légumes comme la patate douce, l'igname, etc., racines qui contiennent de la chlordécone.

Il y a deux ans, j'ai accompagné Mme Valérie Pécresse aux Antilles durant deux jours et j'ai revu les chercheurs que nous avions rencontrés. Ils étaient heureux de revoir quelqu'un qui avait travaillé pour la mission. Par ailleurs, cela a permis de sensibiliser la ministre. Ils m'ont appris qu'ils progressaient et pensaient pouvoir trouver une méthode de dépollution des sols d'ici trois ou quatre ans. Ils disposaient d'éléments alors qu'ils n'en avaient aucuns deux ans auparavant. C'est donc un point très important. Nous pensions à la phytoremédiation mais ils ont évoqué des pistes provenant du Japon. Ils n'étaient pas sûrs que celles-ci aboutissent mais ils en détenaient au moins une.

Quant à nos recommandations, un certain nombre a été suivi plus vite que nous ne le voulions. Nous avions rencontré l'IFREMER et fait part de nos inquiétudes au sujet de la contamination des poissons. On savait, en 2008, que les écrevisses et les langoustes étaient contaminées par la chlordécone et quelques prélèvements avaient montré que certains poissons de bord de mer contenaient également de la chlordécone. Les préfets de la Martinique et de la Guadeloupe avaient donc interdit la pêche et la consommation de poissons dans les zones proches des plantations traitées à la chlordécone.

Cette interdiction pose un problème de santé : il existe en effet aux Antilles beaucoup de diabète et autres maladies plus développées qu'en métropole ; les médecins nous avaient dit qu'il valait mieux manger deux fois par semaine du poisson contenant un peu de chlordécone, celle-ci s'éliminant rapidement quand on en absorbe peu, plutôt que de se tourner vers des nourritures industrielles importées, qui posaient davantage de problèmes de santé. On ne l'a pas mesuré mais les incidences de cette interdiction sur la santé peuvent être plus importantes qu'on ne le pense.

Le Gouvernement avait déjà lancé un certain nombre de mesures qui devaient s'arrêter en 2011. Nous avons eu la satisfaction de constater, ainsi que nous le recommandions, que le plan Santé était prolongé et que les études continuaient, en particulier en matière de santé des enfants. Celles-ci avaient également été menées sur les bébés, dont certains naissaient avec de la chlordécone dans le sang. Toutefois, dès lors que la population a changé d'alimentation, la chloredécone a disparu dans les analyses. Ce sont donc des points positifs.

Un travail de fourmi a été réalisé par les autorités sanitaires locales pour identifier toutes les terres sur lesquelles étaient autrefois implantées des bananeraies. La population ayant beaucoup augmenté, les anciennes plantations étaient devenues des terres d'habitation qui comprenaient des petits jardins, dans lesquels on plantait la pomme de terre et l'igname. Ces terres polluées ont été répertoriées et on a informé la population qu'il convenait de ne manger la patate douce ou les produits issus des jardins familiaux que deux fois par semaine.

Ce travail est efficace : les gens ont changé leurs habitudes, achètent leurs produits à l'extérieur lorsqu'ils le peuvent ou sont plus prudents. La difficulté vient du fait qu'il ne faut pas non plus manger n'importe quoi pour remplacer ce que l'on produisait soi-même.

En matière de santé, la France, comparée à l'Allemagne, a été exemplaire, l'idéal étant de trouver la manière de dépolluer tous les sols. Ce n'est même pas un problème de financement mais de recherche.

Que faire de plus dans votre étude ? Lorsqu'on fait un rapport, on revient rarement dessus mais je pense que vous pourriez obtenir un point précis sur la situation vis-à-vis de la chloredécone et le suivi des populations aux Antilles en auditionnant le directeur de la santé.

Je me suis rendu compte que beaucoup de pays disposaient de listes de pesticides et de produits de substitution mais que chacun travaille sans échanger ses informations.

Aux Antilles, nous avions étudié d'autres pesticides. J'ai découvert qu'on ne peut traiter le sujet des pesticides dans cette région ou dans les pays tropicaux comme on le fait dans les pays continentaux tempérés car, les insectes s'y reproduisant toute l'année, l'absence de saison hivernale ne permet pas d'en éliminer le plus grand nombre. Sans pesticides, il n'y a plus de production et cela entraîne un problème pour les populations et pour l'importation. On a découvert que plus de quatre-vingts cultures ne disposaient d'aucun produit agréé pour éliminer les parasites spécifiques. Alors, tout le monde utilisait le glyphosate, les autres produits étant interdits. Or, cette pratique ne permet pas de tuer tous les insectes et favorise les phénomènes de résistance, ce qui constitue un vrai souci.

Je ne crois pas que nous ferions beaucoup mieux aujourd'hui, notre étude ayant duré dix-huit mois.

Enfin, les médecins du travail nous ont dit qu'il n'y a pas eu de contamination des personnes, le produit étant répandu directement sur le sol. C'est la durée de vie dans la terre et le fait que l'on a remplacé les bananes par d'autres cultures qui ont posé problème. Les travailleurs n'ont pas été contaminés mais les populations ont néanmoins été atteintes.

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