Intervention de Florence Chappert

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 5 avril 2012 : 1ère réunion
Femmes et travail — Audition de Mme Pascale Levet directrice technique et scientifique de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail anact et Mme Florence Chappert chargée de mission responsable du projet « genre et conditions de travail »

Florence Chappert, responsable du projet « Genre et conditions de travail » :

Il serait souhaitable de mener plus d'investigations et de définir des politiques de prévention plus adaptées sur quatre types d'emplois particulièrement exposés : les emplois à horaires atypiques, les emplois émotionnellement exigeants (les emplois en relation avec le public), les emplois répétitifs et pénibles, comme ceux comportant le port de charge - qui concernent aussi les hommes - et les emplois sans perspective d'évolution professionnelle.

La différence d'exposition des hommes et des femmes à la tension au travail a été mise en lumière par l'enquête SUMER 2003. Celle-ci a évalué qu'une femme sur trois était exposée à la tension au travail contre un homme sur cinq. Nous expliquons cet écart par la typologie des emplois occupés, le déficit de parcours et de reconnaissance des femmes et le cumul vie professionnelle-vie familiale.

L'enquête SUMER 2010, dont les résultats seront sexués, fera l'objet d'une publication par la DARES, et permettra ainsi d'examiner la composante genrée des différences dans les atteintes à la santé et dans l'exposition au stress. Elle ne permettra toutefois pas encore de faire le lien entre les indicateurs de santé sexués et le poids des charges familiales ou personnelles. Il faudra pour cela attendre l'enquête « conditions de travail » dont les premiers résultats ne seront publiés qu'en 2013, et pour l'analyse sexuée, qu'en 2014-2015.

Je souhaiterais aborder maintenant l'environnement réglementaire, conventionnel qui me paraît témoigner d'une forme de déni du genre.

Les seules dispositions du code du travail relatives aux femmes, si l'on met à part les quelques restrictions relatives au port de charges et à l'exposition au plomb ou au radium, concernent principalement la femme enceinte ou allaitante et sont inspirées par le souci de protéger sa santé ou de lutter contre le risque de discrimination.

Le Document Unique d'Évaluation des Risques ne prévoit pas une revue systématique des risques pour les femmes enceintes ou allaitantes ni, de manière plus générale, des risques pour la santé reproductive.

A ce propos, il faut d'ailleurs savoir que les premières investigations réalisées par l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) sur ces questions montrent que les hommes seraient peut-être plus touchés que les femmes par des effets induits par leur milieu de travail sur leur santé reproductive.

Les accords d'entreprise relatifs aux risques psychosociaux font l'impasse sur la composante genrée : les enquêtes réalisées ne comportent pas de statistiques sexuées et les facteurs de risques spécifiques aux femmes et aux hommes dans leurs emplois respectifs ne sont pas étudiés, en particulier, la tension issue de l'articulation des temps professionnels et personnels comme facteur de risque.

Or, la commission des experts des risques psychosociaux pilotée par Michel Gaulac a très bien montré que les hommes et les femmes ne sont pas exposés aux mêmes facteurs de risques, les femmes étant plus exposées aux risques relations publiques (patients, clients) alors que les hommes sont plus exposés à la peur au travail ou aux injonctions contradictoires.

Par ailleurs, ces accords, s'ils mentionnent les violences racistes et homophobes, omettent systématiquement le qualificatif de « sexiste » alors qu'il existe dans l'accord national interprofessionnel sur le stress au travail (LANI) ; cela témoigne d'une forme d'aveuglement sur ces questions.

Les directions d'entreprises et les organisations syndicales font montre d'une grande frilosité à engager une réflexion genrée sur les questions de santé et de conditions de travail, par crainte de s'engager dans une voie qui pourrait conduire à de la discrimination positive.

Les entreprises à dominante féminine, qui sont dans l'obligation de négocier cette année un accord égalité, peinent à identifier les questions de genre en leur sein qu'il s'agisse de temps partiel imposé, d'articulation des temps, de pénibilité ou encore de risques d'épuisement et de « burn-out » dans un certain nombre d'emplois.

L'absentéisme des femmes qui était jusqu'alors similaire à celui des hommes commence à s'en distinguer, non par la durée, mais par la fréquence qui augmente.

Certaines entreprises pratiquent l'approche « business case » selon laquelle, féminiser les effectifs concourrait à augmenter les performances de l'entreprise ; mais ces résultats ne sont pas convaincants.

Quant à la recherche, elle comporte de nombreux points aveugles : les questions liant genre et exposition aux risques ne font l'objet d'aucuns travaux en France (genre et exposition aux risques, genre et risques psychosociaux, genre et violences au travail, genre et méthodes de prévention, genre et stratégies de préservation de sa santé, travail et santé reproductive des femmes et des hommes, genre et seniors, genre et temps de travail, genre et métiers monosexe).

Le CNRS n'a dénombré que cinq à six chercheurs travaillant sur les questions de genre sur des questions d'épidémiologie de la santé des femmes et des hommes, essentiellement sur le champ de la santé reproductive, le champ de la santé au travail n'étant en revanche pas étudié.

Cette approche genrée du travail remet en cause les approches traditionnelles qui, tout en posant pour postulat de départ la neutralité de genre du travailleur, prenaient en réalité et de façon implicite le travailleur masculin comme référent. Contrairement à l'approche « égalitaire » qui nie les différences, elle permet de mieux prendre en compte la situation respective des hommes et des femmes tant dans le champ du travail que dans celui du hors travail, tout en conservant pour objectif l'amélioration des conditions de travail des uns et des autres.

Cette approche doit toutefois être mise en oeuvre avec certaines précautions, de façon à se garder des interprétations dites « essentialistes », qui font aujourd'hui un retour en force, et prétendent expliquer par les différences biologiques les problèmes de santé au travail. On constate ainsi, aujourd'hui, que certaines entreprises sont tentées de résoudre leurs problèmes de pénibilité au travail en recrutant préférentiellement des hommes.

J'en viens aux deux séries de propositions que nous voudrions vous soumettre.

La première porte sur les politiques et les actions visant la santé et la sécurité au travail. Pour mieux asseoir cette approche genrée, nous avons besoin de statistiques sexuées : pour cela, il faut inciter les institutions en charge de la santé, de la prévention et de la gestion des travailleurs salariés à établir ces statistiques par sexe ; il faut aussi promouvoir les recherches sur la santé, le travail et le genre ; il faut également faire preuve de vigilance pour que les concepteurs de machines et de processus de travail prennent en compte la nécessité d'en garantir l'accès aux travailleurs des deux sexes, ce qui est encore trop peu le cas aujourd'hui ; il faut également mettre en place un dispositif de prévention des risques pour les emplois à prédominance féminine les plus exposés.

Notre seconde série de propositions s'organise autour de l'objectif d'égalité professionnelle, dans la mesure où celui-ci a beaucoup à gagner à prendre en compte l'organisation du travail, les conditions de travail et la santé au travail ; nous recommandons une meilleure mixité des emplois et des activités ; je souhaite à ce propos citer une étude de Annie Thébaud Mony sur les cancers professionnels des femmes qui sont régulièrement sous-évalués, sauf dans les secteurs mixtes où l'origine professionnelle de la maladie est davantage reconnue ; cette mixité permet aussi de mieux évaluer la pénibilité du travail des femmes dans la mesure où les campagnes de prévention sont plus axées sur les emplois et le travail des hommes, jugés toujours plus pénibles que celui des femmes.

Il faut aussi intégrer l'objectif d'articulation des temps dans l'aménagement des temps de travail, notamment en limitant les horaires atypiques et le temps partiel subi ; réduire les contraintes stressantes des emplois à prédominance féminine tels que les emplois émotionnellement exigeants ou répétitifs ; revoir les critères de mobilité basés sur la disponibilité et l'ancienneté.

Des indicateurs santé devraient être associés aux indicateurs sur l'emploi dans le rapport de situation comparé pour avoir une approche globale de cette question de l'égalité.

Il faut aussi qu'évoluent les rapports sociaux de sexe qui imposent de mauvaises conditions de travail, en limitant la prévalence d'exposition des femmes aux situations de précarité, aux contraintes, aux risques et aux violences dans leur travail.

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