Nous sommes aujourd'hui saisis, en toute urgence, d'une proposition de loi déposée le 20 décembre, adoptée hier soir à l'Assemblée nationale et inscrite à notre ordre du jour mardi prochain.
L'autorisation d'exercer en France les professions de médecin, de chirurgien-dentiste, de pharmacien et de sage-femme est soumise à trois conditions : être titulaire du diplôme français ou d'un diplôme européen équivalent ; être ressortissant français, d'un Etat membre de l'Union européenne, de l'Islande, du Lichtenstein, de la Norvège ou d'un pays avec lequel la France a un accord ; être inscrit à l'ordre correspondant.
A partir de là, les choses se compliquent. Depuis le début des années 70, les établissements de santé ont recruté, dans des conditions juridiques contestables, des professionnels diplômés hors de l'Union européenne. Ces praticiens relevaient au départ d'un statut étudiant, grâce à une inscription dans une formation de spécialisation, mais le cursus tendait à perdurer plus que de raison. Cette démarche n'était pas véritablement choisie ; elle était dictée par la pression financière, ces professionnels percevant des rémunérations moins élevées que leurs homologues diplômés en France mais surtout par les difficultés de recrutement : ne pouvant pourvoir les postes vacants avec des praticiens diplômés en France ou dans l'Union européenne, les hôpitaux ont dû jongler avec le droit pour assurer le fonctionnement des services, notamment les gardes.
Nous nous sommes donc retrouvés dans les années 90 avec une situation complexe : de nombreux professionnels - principalement des médecins - exerçaient dans nos établissements sans y être véritablement autorisés. Quatre lois, adoptées en 1972, 1995, 1999 et, dernièrement, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, ont tenté de fixer un cadre juridique adapté et de trouver une solution pérenne pour les personnes en poste.
Aujourd'hui, les professionnels titulaires d'un diplôme obtenu hors de l'Union européenne, quelle que soit leur nationalité, peuvent être autorisés à exercer par le ministre de la santé, au terme d'une procédure spécifique en trois étapes. Ils doivent d'abord satisfaire à des épreuves théoriques, pratiques et justifier d'une maîtrise suffisante du français. Les candidats ne peuvent pas se soumettre à ces épreuves plus de trois fois. Il leur faut ensuite justifier d'une période d'exercice, par exemple de trois ans pour les médecins. On m'a d'ailleurs signalé que trouver un stage n'était pas facile pour certaines professions ou spécialités, notamment pour les chirurgiens dentistes, mais cela relève plutôt du pouvoir réglementaire. Enfin, les intéressés déposent un dossier devant une commission comprenant notamment des délégués des conseils nationaux des ordres et des organisations nationales des professions intéressées.
Le nombre de places offertes chaque année aux épreuves de vérification des connaissances est fixé par le ministre de la santé ; il s'agit donc d'un concours. Ce nombre est très faible, de l'ordre de deux cents par an, toutes professions et spécialités confondues.
Parallèlement, deux dérogations exemptent de quota les réfugiés et apatrides, d'une part, les professionnels en poste avant le 10 juin 2004, d'autre part. Pour eux, le concours devient un examen, mais l'ensemble de la procédure reste la même, les épreuves de vérification des connaissances sont identiques et chacune est soumise à une note éliminatoire.
Il s'agissait donc de régulariser la situation des praticiens en poste au moment de la réforme, tout en maintenant la vérification des connaissances. En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a autorisé les intéressés à poursuivre leur activité jusqu'au 31 décembre 2011 au plus tard. Or, de nombreuses personnes n'avaient pas épuisé leurs droits à passer les épreuves à cette date et n'ont pas régularisé leur situation, alors qu'elles constituent, selon l'expression de la fédération hospitalière de France (FHF), la « cheville ouvrière » de nombreux établissements, notamment pour assurer la continuité et la permanence des soins, et dans des secteurs en déficit médical. Les personnes que nous avons auditionnées pratiquent d'ailleurs toutes dans des zones à recrutement difficile.
Il est légitime de reconnaître pleinement le travail que ces professionnels accomplissent dans des conditions statutaires et financières précaires.
Face à cette situation connue, le Gouvernement a précipitamment présenté aux députés un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Celui-ci a été adopté à l'Assemblée nationale puis au Sénat, mais le Conseil constitutionnel a considéré que cette mesure manquait d'un effet suffisamment direct sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement pour figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale. Pour mémoire, l'article censuré modifiait l'article 83 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 ; à l'époque, le Conseil constitutionnel, saisi de ce texte, n'avait rien trouvé à redire, alors qu'il avait censuré neuf articles considérés comme des cavaliers sociaux. La jurisprudence évolue...
Avec la proposition de loi, les médecins et chirurgiens-dentistes titulaires d'un diplôme obtenu hors de l'Union européenne, de l'Islande, du Lichtenstein ou de la Norvège et recrutés avant le 3 août 2010 dans un hôpital ou dans un établissement privé d'intérêt collectif (Espic) pourraient continuer d'exercer leurs fonctions jusqu'au 31 décembre 2014. Ceux ayant exercé certaines fonctions rémunérées pendant au moins deux mois entre le 3 août 2010 et le 31 décembre 2011 et qui ont travaillé au moins trois ans pourront passer une épreuve de vérification des connaissances. Cette épreuve sera différente de celles instituées dans le cadre général : consistant à évaluer le cursus des candidats, leur expérience professionnelle et leurs compétences, plus que leurs connaissances théoriques, elle sera fondée notamment sur des études de cas cliniques et sur un entretien avec un jury. La mesure est adaptée aux spécificités des pharmaciens et sages-femmes.
Les praticiens des quatre professions ayant satisfait à l'épreuve de vérification des connaissances devront exercer durant une année probatoire dans un hôpital ou un Espic, l'établissement où ils exercent aujourd'hui ayant vocation à valider cette année probatoire. Enfin, le ministre de la santé pourra leur accorder l'autorisation d'exercice, après avis de la commission compétente.
Outre quelques précisions rédactionnelles, l'Assemblée nationale a surtout reporté le terme du dispositif transitoire à 2016. Avec mon homologue député, Jean-Pierre Door, nous avons souhaité assainir complètement la situation et régulariser tous ceux qui veulent et peuvent l'être, sous réserve de réussite à l'épreuve de vérification des connaissances. Or, les professionnels recrutés en 2009 ou 2010 ne pourront se présenter aux épreuves qu'à partir de 2012 ou 2013, puisqu'ils devront avoir exercé durant trois ans. Conserver l'échéance initiale de 2014 ne leur permettrait qu'une ou deux tentatives au maximum et pourrait écarter des professionnels travaillant à temps partiel. En outre, la procédure prend beaucoup de temps. Retenir la date de 2016 nous a donc semblé plus sage.
Sur la forme, je regrette vivement que nous devions traiter ce sujet dans une telle précipitation, alors que de nombreuses alertes avaient été émises depuis plus d'un an par les établissements, les professionnels, la FHF et les agences régionales de santé, qui avaient anticipé l'impasse dans laquelle l'inertie du gouvernement mettait notre système de santé. Impasse, mais aussi risque réel et grave de ne plus pouvoir accueillir les malades dans certains services hospitaliers dont le fonctionnement repose sur ces professionnels.
Cette faute, au minimum cette désinvolture, ne doit cependant pas masquer la gravité du problème. Il faut adopter ce texte le plus rapidement possible pour sécuriser les établissements, les professionnels et les patients. Depuis le 31 décembre, ce régime ne tient que sur le fondement d'une instruction succincte du ministre de la santé, à la portée juridique contestable, même si elle devrait au moins permettre aux établissements de payer ces professionnels à la fin du mois de janvier ! Que se passerait-il si la responsabilité médicale de l'un d'eux était mise en cause ? Théoriquement, chacun exerce sous la responsabilité d'un médecin qui dispose de l'autorisation d'exercice pleine et entière.