Monsieur le président, plus généralement, je voudrais revenir sur la création d'un fonds agricole, qui est l'élément déterminant de ce projet de loi.
Si ce fonds peut apparaître comme une idée intéressante, je puis vous dire, étant élu d'une région agricole, que se pratique, depuis des décennies, le dessous-de-table, que certains appellent chapeau, fumure ou arrière fumure. C'est ainsi que je connais des reprises de terre qui coûtent parfois plus cher que le prix de la terre elle-même !
Telle est la réalité vécue dans ma région. Ce n'est pas une argutie juridique ou formelle, c'est le quotidien d'agriculteurs jeunes ou moins jeunes qui s'arrachent les terres en se livrant à une surenchère qui pénalise les jeunes et qui échappe parfois à la fiscalité.
Certes, ce fonds permettra peut-être corriger de tels errements qui ne sont pas le fait de toutes les régions agricoles de France. C'est bien là le problème.
La définition de ce fonds me semble imprécise, notamment lorsqu'il est fait référence aux fonds de commerce. En effet, chacun sait parfaitement qu'un cafetier, par exemple, qui veut céder son fonds de commerce le fait selon un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'année précédente. La règle est donc très claire.
Or, dans le cas qui nous occupe, on va se retrouver concrètement dans la même situation qu'avec le chapeau, la fumure ou l'arrière fumure. Le dispositif prévu n'étant pas assez précis, on va assister à une surenchère et, que vous le vouliez ou non, monsieur le ministre, les reprises d'exploitations seront rendues plus difficiles, obéissant en cela tout simplement à la loi du marché !
Je suis donc pour le moins perplexe sur ce point et je pense que la définition juridique de ce fonds devrait être plus rigoureuse afin d'éviter certaines dérives.
Je me pose une autre question à laquelle je ne puis pas apporter une réponse certaine. Le fonds agricole peut-il préserver l'unité de l'exploitation et éviter ce qui se passe dans la plupart des reprises, à savoir le démantèlement de l'exploitation ? A l'heure où l'on parle de succession, souvent l'exploitation n'est pas reprise dans son unité ; elle est démantelée, une partie des terres étant cédée à l'un, une partie à l'autre, afin d'agrandir les exploitations voisines, qui parfois ne sont pas si voisines, car certains exploitants n'hésitent pas à reprendre des terres se situant à dix, vingt ou trente kilomètres de leur siège d'exploitation !
Par conséquent, si le fonds agricole permettait de préserver l'unité de l'exploitation pour que celle-ci soit cédée aux jeunes, il aurait au moins un effet positif. Je n'en suis pas aussi sûr.
La situation actuelle est telle que, dans la pratique, les exploitants sont surmécanisés et ne cessent de vouloir s'agrandir pour rentabiliser le capital ainsi investi en matériel coûteux.
Entre le père, qui conduisait son petit d 22 et sa charrue à un soc, et le petit-fils, qui, lui, dispose d'un tracteur de 120 chevaux et d'une charrue à sept socs, le nombre d'hectares labouré à l'heure n'est pas le même !
De même, un exploitant de betteraves sucrières qui, il y a trente ans, procédé à un arrachement sur quelques ares dans la journée peut, aujourd'hui, avec un bon matériel, le faire sur sept, huit ou dix hectares dans le même temps. La situation est donc totalement différente !
De fait, chaque exploitant souhaite rentabiliser le capital qu'il a investi et cherche de toutes ses forces à s'agrandir et à reprendre des terres dont le prix n'est pas toujours rentable pour son exploitation.
Voilà où j'en suis de mes réflexions, monsieur le ministre. Si le fonds agricole est une belle idée intellectuelle, je crains que, dans la pratique, elle ne conduise à un surenchérissement des reprises d'exploitations.
Enfin, monsieur le ministre, si vous nous proposez la création d'un fonds agricole, l'Assemblée nationale a considéré que ce dernier sera facultatif. Alors nous sommes en présence d'un scénario qui se répète souvent dans notre pays. Après avoir eu une belle idée, on fait deux pas en avant et un pas en arrière et on attend de voir ce que cela donnera par la suite !
En fait, nous nous préparons à un bel embrouillamini juridique ! Il était déjà difficile de gérer les exploitations, de s'y retrouver dans l'imbroglio des textes et on en remet une couche !
Ainsi, dans un même village, alors que certains mettront en place ce fonds agricole, d'autres ne le feront pas ! Nous ne savons pas en fonction de qui, de quoi, cela se fera.
Personnellement, je plains les notaires et les agriculteurs qui auront à gérer cette situation, car ce fonds est lié au bail cessible prévoyant l'autorisation d'augmenter les loyers de 50 %.
Dès lors, certains bailleurs diront oui, d'autres non, et il leur faudra ensuite se présenter à l'hôtel des impôts pour expliquer leur situation. Il en résultera un surplus de contrôles, donc un nombre encore plus important de fonctionnaires dont le rôle sera de vérifier que ce texte sera bien mis en oeuvre !
Ce faisant, monsieur le ministre, vous compliquez au lieu de simplifier parce que vous n'osez pas aller jusqu'au bout. Avec ce que je pourrais appeler un lâche soulagement, vous pensez avoir avancé en proposant la création d'un fonds agricole, alors qu'elle ne sera que facultative. Cela ne me paraît pas très correct !