Le marché de la notation est effectivement depuis l'origine un marché oligopolistique. Il existait quatre agences dans l'entre-deux-guerres ; aujourd'hui, il n'y en a plus que trois. Les années 1980 à 1990 ont connu un certain accroissement de la concurrence mais les quelques petites agences américaines qui avaient alors percé ont toutes été rachetées dans les années 1990, à l'issue de fusions-acquisitions.
Le paysage, à la fin des années 1980, était assez diversifié et ce jusqu'au début 2000. Le problème est lié au fait que les agences de notation ont pris conscience que le marché de la notation était très profitable. Il était intéressant de détenir des parts de marché plus importantes et de procéder à des fusions-acquisitions. C'est ce qui a été fait au cours des années 1990, en particulier par Fitch qui, sous la houlette de Marc Ladreit de Lacharrière, qui en était le propriétaire via l'agence Fimalac, a procédé à un grand nombre d'achats d'agences concurrentes.
En second lieu, le marché de la notation peut être plus concurrentiel mais cela reste malgré tout difficile pour plusieurs raisons. Le problème réside dans la barrière de la réputation. De nombreux investisseurs, aujourd'hui, ne feraient pas confiance à une nouvelle agence et le disent clairement, tout nouvel acteur étant considéré comme peu crédible et son expérience largement insuffisante. Je rappelle que Fitch, Moody's et Standard and Poor's existent depuis quasiment un siècle. C'est la première raison invoquée par les investisseurs pour critiquer toute mesure visant à stimuler la concurrence.
Personnellement, je pense que l'on pourrait avoir une agence européenne spécialisée dans la notation souveraine. Il existe 193 Etats à l'ONU. On peut donc imaginer que la notation souveraine de l'ensemble des Etats du monde est relativement aisée mais si l'on devait noter l'ensemble des entreprises déjà notées, on multiplierait par cent le nombre d'émetteurs. On est là sur des ordres de grandeur très différents car ceci représenterait un investissement considérable. C'est pourquoi je pense que l'on peut avoir une alternative via la création d'une agence de notation européenne sur le segment souverain.
Certaines mesures peuvent stimuler la concurrence. J'avais ainsi suggéré de fixer une limite aux parts de marché des agences de notation au niveau européen, même si cela soulève des problèmes d'ordre juridique. La proposition avancée par la Commission et par Michel Barnier, qui consiste en un système de rotation, est relativement complexe à mettre en oeuvre et comporte malheureusement un risque d'effet pervers : au-delà de trois ans, une interdiction de notation pure et simple, y compris sous forme de note non-sollicitée, comporte un risque d'interruption du suivi de la qualité de solvabilité de l'émetteur. Au contraire, autoriser une agence à attribuer une note non-sollicitée risque de favoriser l'agence qui a la plus forte réputation sur le marché -Standard and Poor's, Moody's ou Fitch- et de lui permettre d'en tirer profit en faisant en sorte que sa notation devienne la référence pour beaucoup d'investisseurs.
Enfin, il est difficile de savoir si davantage de confiance permettrait ou non d'obtenir des notes de meilleure qualité. Certains travaux académiques ont démontré qu'il existait un risque d'inflation des notes et qu'un nouvel acteur risquait de noter plus haut que les autres. D'autres études ont également démontré l'inverse. Il existe donc un problème de légitimité dans le fait de lancer une mesure favorisant la concurrence.