C'est tout à fait juste mais j'insiste sur le fait que cette tendance est malheureusement très ancienne. Dès les années 1920, des fonds d'investissement américains avaient déjà établi certaines règles prudentielles consistant à se fixer un minimum de 30 % de triple A dans un portefeuille et un maximum de 20 % d'obligations risquées -et ainsi de suite. Cela n'a pas changé. Ces mauvaises habitudes, prises il y a longtemps, se sont étendues à l'Europe, la plupart des fonds et des investisseurs institutionnels ayant intégré le même type de règles prudentielles. Ceci est très déresponsabilisant et constitue un réel problème.
Les gérants de fonds s'attachent avant tout à suivre les règles prudentielles. Le seul tort de l'agence qui a noté Enron est de l'avoir placée en catégorie « A » alors que cette entreprise aurait dû être en catégorie spéculative, étant tombée ensuite en défaut de paiement.
La notation financière est un avatar du capitalisme à l'américaine qui s'est développé au début du XIXème siècle et qui a consisté à segmenter les tâches de plus en plus. Il y a un siècle, à l'époque de Taylor, le système capitaliste avait pour objectif de confier à chacun une tâche bien précise, de faire en sorte que chacun se spécialise dans un domaine particulier et essaye d'être aussi performant que possible dans ce domaine précis. Le système s'est mis très rapidement en place dans les années 1920, avec les excès que l'on connaît. Les agences spécialisées dans l'analyse du risque de crédit n'avaient pas de capitaux -et c'est toujours le cas. Il s'agit d'acteurs des marchés financiers mais non d'acteurs capitalistes au sens propre et philosophique du terme. D'un autre côté, certains fonds recouraient à des règles prudentielles, les suivant aveuglément sans se poser de questions.
Il est bon, malgré tout, de responsabiliser à nouveau les investisseurs. Cela passe par une nouvelle internalisation du risque. On a subi depuis 1920 une externalisation du risque de plus en plus marquée, une forme de sous-traitance de l'analyse du risque de crédit. Cette internalisation existait dans le capitalisme britannique ou anglo-français du XIXème siècle. Au coeur des grandes banques -Rothschild, Barings, Crédit lyonnais- des départements étaient consacrés à l'analyse du risque souverain, du risque « corporate », etc.
La notation est malgré tout utile mais il est temps que les grands investisseurs institutionnels utilisent leurs propres notes et non plus celles de Standard and Poor's, Moody's et Fitch. Lorsque vous avez à gérer des centaines de milliards d'euros ou de dollars, il est assez délirant d'externaliser une fonction fondamentale qui est l'analyse du risque de crédit. C'est une aberration !
Je suis tout à fait d'accord avec votre remarque sur les services publics. On peut même considérer que la note est une sorte de bien public.
Ma proposition de taxe irait dans le sens d'un actionnariat éclaté et éviterait les conflits d'intérêt qu'on a connus ces dernières années et que l'on connaît toujours. J'insiste sur le fait qu'il existe encore aujourd'hui de grands fonds américains actionnaires de Moody's et de Mac Grow Hill, propriétaire de Standard and Poor's. C'est l'un des trois grands types de conflits d'intérêts. Je pense que nous aurons l'occasion de revenir plus tard sur ce sujet...