C'est une question fondamentale. En termes de valeur ajoutée, l'intérêt de la notation financière réside dans le fait de fournir une indication aux investisseurs sur la solvabilité des titres, dans un marché très profond et très large. Les émetteurs de dettes y sont très sensibles. J'ai eu l'occasion d'en discuter il y a quelques semaines avec le directeur financier d'une entreprise française de taille importante, notée en bas de la catégorie « investissements », en « BBB » (triple B).
Cet émetteur de dettes défendait la notation financière, estimant que si l'on empêchait les agences de faire leur travail, un groupe comme le sien en pâtirait énormément ; aucun autre signal ne pourrait parvenir au marché et les investisseurs ne seraient pas incités à acheter les titres de dettes de cette entreprise. Je suis malgré tout d'accord avec le fait qu'il existe des alternatives -FMI, OCDE, banques centrales- mais on n'est pas à l'abri, en particulier dans le cadre du FMI, de conflits d'intérêts importants. Les Etats-Unis, actionnaires à hauteur de 17 % du FMI, devraient ainsi accepter une dégradation de leur note alors qu'ils sont les premiers actionnaires. Dans un tel cas, des pressions seraient préalablement exercées pour éviter que le FMI, agence de notation, ne dégrade les Etats-Unis...
Qu'il s'agisse de notation souveraine ou d'autres secteurs, il est difficile, de trouver des alternatives. On dispose malgré tout d'un outil essentiel qui permet selon moi d'offrir une alternative crédible, celui que constituent les banques centrales. La Banque de France développe ainsi des « scorings » d'une douzaine de notes qui ne concernent pas seulement les grandes entreprises ou les entreprises de taille intermédiaire mais l'ensemble du tissu industriel de services. On pourrait donc imaginer que les banques centrales publient ces notes -ce qui n'est pas le cas actuellement puisqu'elles ne sont rendues publiques que pour l'entreprise elle-même ou pour un banquier. On changerait certes la philosophie des « scorings » des banques centrales mais ceci reste envisageable.
Si ce peut être une alternative à la notation financière, il existe néanmoins un problème de tropisme. On pourrait systématiquement considérer qu'avec ce nouveau système, la Banque de France pourrait surnoter les entreprises françaises, surtout lorsqu'elles désirent accéder à un marché plus large que l'hexagone. Il en va de même pour la Banque d'Angleterre, etc.
Malgré tout, parmi les agences de notation, on trouve des acteurs internationaux, même s'il y a un biais occidental. On l'a vu avec la surnotation des pays occidentaux au cours des années 2000 alors que leur niveau de dettes augmentait fortement. Bien évidemment, étant donné le niveau de dettes, la dégradation des Etats-Unis est intervenue en août 2011 et de la France et de l'Autriche en janvier 2012. Toutefois, si l'on étudie les fondamentaux macroéconomiques, les pays occidentaux sont selon moi plutôt surnotés par les grandes agences.
Quant à l'aspect monétaire, on trouve également un biais lorsqu'on l'analyse de près les rapports de Moody's et de Standard and Poor's : le fait que la BCE ne fasse pas de « quantitative easing » comme la Federal Reserve pénalise les pays européens. C'est l'une des raisons qui explique les dégradations de notes ou les mises sous perspective négative de ces derniers mois.
On ne peut toutefois « jeter le bébé avec l'eau du bain » et je pense que les agences ont une réelle utilité, l'important étant l'usage que l'on fait de leurs notes. On est allé beaucoup trop loin en acceptant la sous-traitance des agences, qui a complètement déresponsabilisé les acteurs de marché, en particulier les grands investisseurs. Il est troublant de constater que ceux-ci ne disposent pas de leur propre système de notation, qu'il soit public ou privé, afin de favoriser une réinternalisation du risque, quitte à vérifier ensuite que les « ratings » internes sont fiables, surveillance que serait chargé d'appliquer le régulateur national ou européen.