Intervention de Bruno Sido

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 15 décembre 2011 : 1ère réunion
La sécurité nucléaire la place de la filière et son avenir — Examen des conclusions du rapport

Photo de Bruno SidoBruno Sido, sénateur, rapporteur :

Je vais évoquer les développements nécessaires dans le domaine du stockage et des réseaux intelligents.

Le degré de maturation des technologies d'exploitation des énergies renouvelables ne permet aujourd'hui d'envisager qu'une substitution limitée à l'énergie nucléaire. La substituabilité de ces deux types d'énergie pourrait toutefois s'accroître, à l'avenir, à condition de progresser dans deux directions : d'une part, la mise en place de réseaux intelligents ; d'autre part, le stockage de l'énergie.

On constate que les énergies renouvelables rencontrent plusieurs freins à leur développement. Ainsi, en dépit d'un effort de recherche important, elles se heurtent toujours à des obstacles technologiques et connaissent des degrés de maturité divers. Les filières matures que sont l'hydroélectricité et l'éolien terrestre ont un coût moins élevé que les technologies en développement telles que le solaire photovoltaïque, la géothermie et l'éolien en mer. Même si certaines technologies progressent et si leur coût décroît rapidement, il n'en faudra pas moins quelques décennies pour développer de véritables filières industrielles.

Par ailleurs, l'approvisionnement en matières premières, notamment en métaux rares, peut représenter à terme une contrainte.

Les infrastructures posent aussi des questions d'acceptabilité sociale et de conflits d'usage de la ressource. On le voit par exemple dans le cas des éoliennes marines en raison de la proximité d'activités de pêche et de tourisme. Le déploiement des énergies renouvelables passe donc par une large concertation avec les acteurs locaux.

De plus, la déconnexion entre lieux de production et lieux de consommation peut rendre problématique un développement massif et rapide des infrastructures d'exploitation d'énergies renouvelables. Celles-ci sont en effet implantées en fonction de la géographie et du climat : c'est le cas des énergies de la mer, de la géothermie, de la ressource hydroélectrique, qui satisfont des besoins de proximité. Bien que les systèmes fonctionnant avec le vent ou avec l'énergie solaire soient les plus répandus, les moyens de production de ces systèmes demeurent très concentrés et largement déconnectés des lieux de consommation. Cette situation implique de développer les réseaux afin d'améliorer l'acheminement de l'électricité. La question n'est pas accessoire, car les délais de construction de lignes à très haute tension sont d'environ dix ans, soit une durée très supérieure aux délais de mise en route des infrastructures, qui sont de trois à quatre ans.

Au problème de l'acheminement s'ajoute celui de l'intermittence, qui entraîne une production fluctuante, c'est-à-dire un risque de pénurie, ou, au contraire, de congestion. Certes, une compensation partielle peut être, à l'échelle d'un territoire, assurée par un effet de moyenne permettant de lisser la production globale. Toutefois, ce mécanisme, dit de foisonnement, est insuffisant car il est lui-même aléatoire : la production demeure difficilement prévisible, y compris au niveau agrégé d'un pays. Même si la prévisibilité était accrue, cela ne résoudrait pas complètement le problème du décalage entre la production et la consommation. Le risque est de devoir interrompre l'approvisionnement électrique, ou, au contraire, de devoir arrêter les moyens de production. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont ainsi fait l'expérience d'arrêts forcés de leurs éoliennes. Le risque de décalage est encore plus évident dans le cas de l'utilisation d'énergie solaire puisque celle-ci fonctionne mieux l'été et le jour, alors qu'en France, le pic de consommation se situe l'hiver en soirée.

L'intégration des énergies éolienne et solaire dans le système électrique suppose donc l'existence de sources de secours rapidement mobilisables pour compenser les fluctuations de production. Or les centrales à énergies fossiles sont les équipements susceptibles de monter le plus rapidement en charge et sont utilisées en priorité pour compléter l'apport des énergies renouvelables. C'est le cas en Allemagne, où l'on constate un effort d'investissement dans des centrales au gaz à cycle combiné de dernière génération, très performantes, caractérisées par un fort rendement et une grande flexibilité. Paradoxalement, l'essor des énergies renouvelables peut s'accompagner d'un surcroît d'émissions de gaz à effet de serre.

Dans un pays comme la France qui tire l'essentiel de son électricité de l'énergie nucléaire, l'intérêt de développer les technologies de gestion de l'intermittence est grand si l'on veut éviter que le développement des énergies renouvelables ne s'accompagne d'un recours à des capacités supplémentaires de centrales thermiques à flamme.

Quelles sont donc ces technologies de gestion de l'intermittence ?

En premier lieu, grâce aux technologies de l'information et de la communication, les réseaux intelligents - qui le sont déjà selon M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE - peuvent contribuer à compenser les fluctuations de la fourniture d'électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours. En France, elles s'appuient sur le compteur Linky, qui dote les réseaux d'une capacité de pilotage très fin, et dont le gouvernement a d'ores et déjà décidé la généralisation.

Les réseaux intelligents visent une optimisation des flux électriques entre clients et producteurs, avec des modulations possibles en fonction des besoins et de la tarification. Les expérimentations en cours permettront d'évaluer jusqu'à quel point ces dispositifs sont susceptibles d'absorber l'intermittence des sources décentralisées d'énergies renouvelables. Il ne faut toutefois pas en attendre de miracle : certes, les réseaux intelligents favoriseront, à production centralisée constante, la capacité d'adaptation à des fluctuations d'approvisionnement d'ampleur limitée, mais ils ne permettront pas de s'affranchir des centrales thermiques à flamme ou des dispositifs de stockage massif en cas de variations plus importantes. C'est pourquoi il faut engager dès à présent un effort de recherche et de développement soutenu dans le domaine des dispositifs de stockage d'énergie. À ce titre, nos auditions ont permis de dégager deux pistes paraissant répondre aux besoins de stockage massif d'énergie.

Il s'agit, en premier lieu, des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), lesquelles retiennent l'eau dans des réservoirs pour, le moment voulu, déverser celle-ci dans des turbines. Elles sont capables de délivrer des puissances de plusieurs gigawatts. Ce type d'infrastructure s'avère particulièrement utile dans des contextes insulaires, non interconnectés et où, malgré un potentiel parfois considérable, le taux d'insertion des énergies renouvelables est volontairement limité afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement - ce pourrait être le cas dans des zones comme les Antilles. Ainsi, le dénivelé des falaises favorise le stockage et donc l'insertion d'une part supplémentaire d'énergies renouvelables dans le bouquet électrique des régions considérées. Il n'existe aujourd'hui qu'une seule STEP marine au monde, à Okinawa au Japon, mais un consortium français piloté par EDF étudie un projet de même nature en Guadeloupe, dans le cadre des investissements d'avenir.

En second lieu, le stockage d'énergie dans des hydrocarbures de synthèse constitue une piste qui présenterait le triple avantage de résoudre la question de l'intermittence, de permettre un recyclage du carbone et de sécuriser l'approvisionnement énergétique des pays qui en maîtriseront la technologie. Plusieurs procédés sont à l'étude, notamment celui dit de « méthanation », consistant à produire du méthane par un mélange d'hydrogène et de gaz carbonique en présence d'un catalyseur. Le gaz obtenu peut alors être stocké ou distribué sur le réseau. La France doit s'engager, comme le fait déjà l'Allemagne, dans cette voie d'avenir qui intéressera aussi les pays émergents fortement émetteurs de CO2.

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