Intervention de Christian Bataille

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 15 décembre 2011 : 1ère réunion
La sécurité nucléaire la place de la filière et son avenir — Examen des conclusions du rapport

Christian Bataille, député, rapporteur :

Je vais maintenant vous présenter les différents scénarios évoqués dans le rapport.

En dépit de la difficulté de l'exercice, nous avons étudié trois scénarios possibles pour l'avenir de la production électrique dans notre pays. Le premier envisage le maintien de la part de la production électronucléaire au niveau actuel. Le deuxième prend en compte une sortie totale du nucléaire selon différentes modalités. Le troisième scénario est celui d'une « trajectoire raisonnée » reposant sur un renouvellement partiel du parc en ne remplaçant qu'un réacteur sur deux et ce exclusivement au profit de la troisième génération de réacteurs à eau pressurisée EPR.

Le premier scénario consiste donc à camper sur notre acquis en prolongeant la durée de vie des réacteurs existants puis en les remplaçant progressivement par des modèles de troisième génération. La filière nucléaire resterait alors un atout pour notre économie, avec une contribution de 2 % à la valeur ajoutée et à l'emploi, et un impact à long terme sur la croissance - de l'ordre de 1,5 % - par le maintien d'un prix de l'électricité réduit. Toutefois, cet immobilisme risquerait de nous exposer au syndrome japonais, dont nous avons pu mesurer la fragilité, en nous contraignant à une sortie accélérée du nucléaire, non seulement dans l'hypothèse d'un accident majeur mais aussi dans celle de défauts techniques pouvant se répercuter sur toute une série de réacteurs du même modèle.

Le deuxième scénario, celui d'une sortie totale du nucléaire, que certains préconisent, peut être admis si l'on cède à l'impression que le temps politique est le même que le temps énergétique, faisant donc abstraction des réalités industrielles et économiques. On pourrait l'envisager, sinon en claquant des doigts, du moins dans un délai de cinq ans, durée d'une législature, alors que l'industrie et la science vivent selon des phases beaucoup plus longues, de l'ordre de 50 ans. Nous avons donc cherché à évaluer les conséquences de la posture volontariste d'une sortie précipitée du nucléaire. Cela reviendrait à gérer l'impact d'une perte de 450 TWh de production électrique, au regard d'une consommation nationale de 500 TWh.

À cette fin, plusieurs formules pourraient se combiner : la restriction de la consommation, selon le degré d'acceptation sociale, entre zéro et 450 TWh ; des importations plus ou moins massives de gaz ou encore d'électricité, cette formule pouvant alourdir de 25 milliards d'euros le déficit de notre balance commerciale, sinon davantage si la tension ainsi provoquée sur les marchés pousse les prix d'importation à la hausse. Un tel schéma de sortie du nucléaire induirait des pertes économiques sévères : la suppression de 400.000 emplois directs et indirects dans la filière nucléaire ; des faillites et des délocalisations d'entreprises victimes du surenchérissement et de la dégradation de la qualité de l'électricité, au premier rang desquelles on trouverait les industries électro-intensives; enfin, l'arrêt des recherches sur la transmutation des déchets.

À ces pertes s'ajouteraient des coûts d'ajustement correspondant au démantèlement anticipé de 59 réacteurs, ainsi que des installations en aval et en amont de la filière, à hauteur de dizaines de milliards d'euros. Il convient d'intégrer aussi la nécessité de créer une capacité de 63 GWh de production à flamme, pour un coût de près de 60 milliards d'euros, ainsi qu'une capacité renouvelable représentant 30 % du parc thermique, pour un investissement de l'ordre de 150 milliards d'euros sur 50 ans, en comptant le renouvellement des équipements éoliens et solaires en fin de vie.

Enfin, nos émissions de CO2 passeraient de 90 à 210 grammes par kWh, approchant ainsi le taux du « grand modèle allemand », ce qui correspond à un doublement des émissions du secteur de l'énergie.

Le troisième scénario, celui d'une trajectoire raisonnée, répond aux données exposées par Bruno Sido concernant la maturation des technologies de stockage d'énergie.

En prenant en considération le délai indispensable pour passer du concept scientifique à la maturité industrielle et le besoin de caler le bouquet d'approvisionnement électrique sur un socle énergétique solide, on peut estimer que les énergies renouvelables ne pourront prendre une place véritablement conséquente au sein du mixe énergétique qu'au terme d'un processus de plusieurs dizaines d'années. À partir de là, on estime que la période s'étendant jusqu'au milieu du XXIe siècle devrait voir se déployer progressivement, et dans des conditions de coût de plus en plus favorables, à la fois les énergies renouvelables et les réacteurs de troisième génération, actuellement en phase de mise au point.

Le remplacement en fin de vie des centrales nucléaires actuelles se ferait au rythme d'un réacteur sur deux, au bénéfice exclusif de la technologie des EPR, c'est-à-dire de réacteurs plus sûrs. Nous avons pris pour hypothèse que l'arrivée en fin de vie, qui relève de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire, serait prononcée, en moyenne, au moment de la cinquième visite décennale. On obtiendrait ainsi, en 2036, une production d'électricité nucléaire équivalente aux deux tiers de la production actuelle totale d'électricité avec une vingtaine d'EPR. En poursuivant ce remplacement jusqu'en 2052, année du cinquantième anniversaire des deux derniers réacteurs mis en service en France, ceux de Civaux en 2002, la part de production nucléaire dans l'électricité pourrait, grâce aux progrès parallèles des technologies de stockage inter saisonnier d'énergie, être abaissée à 50 % de la production totale actuelle, avec une trentaine d'EPR. Ce scénario permettrait de préserver tous les atouts du dynamisme de la filière nucléaire : renforcement de la sûreté du parc par le simple jeu de la mise en service des réacteurs de troisième génération ; conservation d'une compétence d'ingénierie grâce aux constructions ; crédibilité à l'exportation par l'entretien d'un parc français conséquent ; poursuite des recherches sur la transmutation des déchets.

Le remplacement des derniers réacteurs de deuxième génération par des EPR, vers 2050, pourrait en outre coïncider, si la recherche le permet, avec les mises en chantier des réacteurs de quatrième génération, appelées à s'intensifier dans la seconde partie du siècle. Les EPR parvenus en fin de vie, peut-être au bout de 60 ans, pourraient être remplacés par ces réacteurs « rapides », également au rythme d'un sur deux. La « trajectoire raisonnée » ainsi proposée, en prenant en considération le délai historiquement plausible de maturation industrielle des solutions technologiques dans le secteur de l'énergie, ramènerait l'énergie nucléaire à 50 % de la production totale actuelle vers 2050, et peut-être à 30 % vers 2100. Mais nous parlons là d'un futur aux contours encore flous, d'où émergeront peut-être la fusion, avec le réacteur ITER, ainsi que la maîtrise de l'hydrogène et du solaire - nous approchons là de la science-fiction.

À la fin du siècle, ce parc réduit serait alors constitué majoritairement de réacteurs rapides qui serviraient de socle à tout le système de production d'électricité, notamment pour alimenter les dispositifs de stockage d'énergie qui permettront l'exploitation sans intermittence des énergies renouvelables. De ce point de vue, nos stocks d'uranium appauvri et de plutonium, constitués grâce à notre maîtrise du cycle du combustible, notamment à travers le retraitement effectué à La Hague, nous procureront une continuité énergétique équivalente à celle de l'Allemagne et ses 350 années de réserve de lignite.

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