Je vous remercie madame la présidente, j'ai toujours grand plaisir à venir débattre devant votre commission.
Quelle est la logique d'enseignement à l'oeuvre, à l'heure actuelle, au sein de Sciences Po ? Après deux ans d'expérimentation, des ateliers artistiques ont été rendus obligatoires sur trois semestres successifs au cours des deux premières années d'études, et couvrent des domaines qui rejoignent le champ de compétences de votre commission : musique, théâtre, écriture, cinéma, etc. Nous constatons que tous les élèves participent avec enthousiasme à ces ateliers artistiques.
Quel établissement d'enseignement supérieur accorde, aujourd'hui, une place aussi significative aux humanités aussi bien « classiques » que scientifiques, pendant les premières années d'études supérieures ? Les enseignements obligatoires dispensés à Sciences Po à tous les élèves de première et deuxième années comprennent des disciplines dites « classiques » qui participent toutes de l'enrichissement de leur culture générale telles que l'histoire et la sociologie, indispensables pour mieux comprendre le monde contemporain, l'économie (à l'heure où on s'émeut qu'une proportion significative de notre jeunesse ne dispose pas du minimum de culture économique qui lui permette de comprendre le débat public voire de voter), mais aussi le droit, dans des sociétés développées au sein desquelles les relations juridiques se sont considérablement complexifiées et la connaissance du contrat et de la responsabilité est devenue incontournable.
Vient ensuite le master qui doit conduire nos étudiants à se spécialiser. A la différence des autres établissements d'enseignement supérieur, les enseignements de spécialisation ne remplissent que 80 % de l'obligation de formation au sein de Sciences Po. J'ai toujours eu, en effet, la ferme conviction que les enseignements fondamentaux et généraux constituent le meilleur terreau pour faciliter et consolider l'acquisition de connaissances spécialisées en master.
Nous revendiquons donc fermement l'apprentissage de la culture à Sciences Po. Au travers de notre carte des formations et de nos cursus, nous mettons tout en oeuvre afin d'offrir à nos étudiants la possibilité de développer, diversifier et consolider leur bagage culturel tout au long de leur formation universitaire.
Nous ne nous limitons pas, du reste, à la seule culture française : tous nos étudiants ont l'obligation d'effectuer leur troisième année hors de France. La confrontation à d'autres cultures est de plus encouragée par l'enseignement, en particulier sur nos sites délocalisés, de 17 langues étrangères (dont l'hindi, le mandarin, l'indonésien, l'arabe, etc.).
Comme vous avez pu le constater, j'ai pris soin de souligner dans mon propos liminaire la place centrale qu'occupe la culture au sein des enseignements de Sciences Po, avant d'en venir précisément au sujet de la suppression de l'épreuve de culture générale au concours d'entrée à l'IEP. Conformément au programme des épreuves d'admission à Sciences Po tel qu'il sera mis en oeuvre à partir de la rentrée 2013, tous les candidats devront rédiger une dissertation d'histoire. L'histoire est, à mon sens, un pilier fondamental de la culture, car sans épaisseur historique on en est réduit à voir le monde à plat, et c'est à ce titre que cette discipline constituera la clé de la réussite au concours. Il a semblé au conseil d'administration de l'IEP qu'il était d'autant plus nécessaire de mettre l'accent sur l'histoire que les jeunes générations vivent aujourd'hui dans un monde d'immédiateté qui engage rarement à répondre aux questionnements avec un minimum de recul historique.
J'en veux pour illustration le traitement de l'intervention militaire en Libye par les médias : il aura fallu attendre quatre mois après le début de l'intervention pour rappeler que la Libye était un État à la construction relativement artificielle, et qu'elle devait, à ce titre, être distinguée des logiques à l'oeuvre en Tunisie ou encore en Syrie.
La deuxième épreuve obligatoire pour les candidats à l'entrée à Sciences Po consistera soit en une dissertation ou un commentaire de texte en littérature ou en philosophie, soit en une dissertation ou une analyse de dossier en économie ou en sociologie. La possibilité sera également offerte de se consacrer à une épreuve de mathématiques, car il est indispensable de vérifier que les grandes percées scientifiques et technologiques ont bien été intégrées. Il faut tenir compte du caractère fortement transversal des grands sujets de notre temps. La problématique des cellules souches est ainsi, par exemple, à la fois un sujet de philosophie morale, de recherche scientifique et de science politique.
L'organisation des études au sein du lycée français a alimenté une distinction entre des élèves, principalement en série L, qui craignent de plus en plus les sciences dures et des élèves qui ont opté pour la série S avec l'ambition de poursuivre des études de philosophie ou de sciences sociales. C'est pourquoi nous n'imposons aucune obligation liée au parcours de l'élève au lycée dans choix de la deuxième épreuve.
La troisième épreuve écrite porte sur la maîtrise d'une langue étrangère. Plusieurs observateurs avaient fait remarquer que certains candidats n'avaient appris de langue vivante que dans le strict cadre scolaire, c'est pourquoi nous avons fait le choix, avec la nouvelle réforme, de lui appliquer un coefficient deux fois moins élevé que celui des deux premières épreuves écrites, sans l'assortir de note éliminatoire.
Les membres du jury sont également appelés à examiner le dossier du candidat, afin de tenir compte d'expériences s'écartant du cursus scolaire, tels que des événements culturels ou des engagements associatifs divers. L'entretien oral d'admission devant le jury est consacré à l'examen de la curiosité intellectuelle du candidat, de ses centres d'intérêt, de son sens du discernement et de sa capacité à argumenter une position, étant entendu qu'on n'attend pas d'un élève de 17-18 ans qu'il ait une idée précise de son projet professionnel.
Les épreuves orales comprennent une épreuve de langue sans caractère éliminatoire, car force est de constater que les générations actuelles sont souvent plus à l'aise à l'oral qu'à l'écrit, ne serait-ce qu'en raison de leur goût pour la musique internationale. Il s'agit, en outre, d'envoyer un signal supplémentaire en direction des lycées qui privilégient encore trop l'évaluation des bacheliers dans le cadre d'épreuves linguistiques écrites.
Nous avons eu une épreuve de culture générale qui a formidablement bien rempli ses objectifs pendant très longtemps. Pour autant, il faut être suffisamment honnête pour reconnaître que, dans la France du début des années 2010, les lycéens forment un groupe moins homogène que dans les années 1980 et 1990. Le lycée, qu'il soit privé ou public, n'enseigne pas la culture générale, en partant du postulat qu'au travers des différentes disciplines enseignées, les jeunes commencent à se bâtir une culture qui s'approfondira avec le temps. Il n'existe pas plus de professeurs de culture générale à l'université.
Où se trouve donc cette culture générale à l'heure actuelle ? Dans des manuels qui multiplient les fiches techniques sur des grands thèmes. Il existe, en effet, une industrie de la culture générale qui s'est développée en dehors du cadre scolaire. Pourquoi les décisions du conseil d'administration de l'IEP devraient-elles être dictées par les intérêts économiques de la Documentation française ? Quelle que soit mon indifférence à l'égard des entreprises de préparation du concours à côté du lycée, je n'entends pas laisser cette industrie nous dicter la nature de nos épreuves de sélection.