Dans mon propos introductif, monsieur Legendre, je crois que je n'ai pas utilisé les mots « discrimination » et « élite ». C'était volontaire. J'ai voulu montrer que dans notre esprit, la réforme des conditions d'entrée à Sciences Po avait pour objectif de mieux se caler sur ce qui est effectivement enseigné en première et en terminale et de s'assurer que le concours d'entrée ne soit qu'un moment, qu'un passage vers une formation de trois années où la pratique artistique est obligatoire et où les cinq grandes disciplines traditionnelles sont enseignées à tous. Malheureusement, le débat s'est brutalement posé sur le thème : Sciences Po étend la discrimination positive en supprimant l'épreuve de culture générale au concours d'entrée. Or, je ne suis jamais parti du postulat que l'épreuve de culture générale était discriminante.
Je n'accepte pas, et le conseil d'administration de l'IEP le refuserait tout aussi catégoriquement, qu'au nom de l'égalité des chances on nivelle par le bas la culture générale des étudiants de Sciences Po. Plus on enrichit culturellement, plus le débat d'idées et la capacité à prendre de la distance se renforcent. Ce serait précisément aller contre l'égalité que de rétrécir l'éventail culturel.
A M. Antiste, je répondrai que 40 % des étudiants de Sciences Po n'ont pas la nationalité française. A leur contact, nos élèves français disposent d'une ouverture exceptionnelle sur le monde. En outre, près de 1 500 étudiants partent chaque année pour une année hors de France. Sur le site délocalisé de Nancy, les cours sont dispensés à égalité en allemand et en français. A Dijon, les élèves apprennent le polonais, le tchèque, le magyar, etc., et au Havre, le hindi, le mandarin, l'indonésien ou encore le japonais.
En ce qui concerne la nature des élites françaises, il est vrai que celles-ci ont été pendant très longtemps des élites essentiellement « normaliennes » : l'école de la rue d'Ulm a introduit un esprit de culture très développé au sein de nos élites politiques. Cela dit, nous faisons en sorte, à Sciences Po, qu'il y ait du temps obligatoire aménagé pour que les jeunes demeurent confrontés à de grandes oeuvres de l'esprit, afin que précisément le façonnement de leur culture ne transite pas uniquement par le droit. A mon sens, la croissance significative du nombre de candidats à l'entrée à Sciences Po s'explique en partie par l'envie d'enrichir et d'élargir sa culture au cours des trois premières années d'études.
Les résultats des admis des quatre dernières promotions montrent que la série dans laquelle nous avons recruté le plus de bacheliers est la série ES, à hauteur de 45 %, la série S venant derrière et la série L ne dépassant pas 10 %. La question des déséquilibres entre baccalauréats s'est donc posée bien avant ce débat sur la culture générale.
Toute décision du conseil d'administration de l'IEP ne vaut qu'à travers son effectivité et son application intelligente par les membres du jury : c'est pourquoi la sélection d'un groupe de personnes qui partagent les mêmes ambitions intellectuelles et appliquent de façon cohérente les décisions de la direction est fondamentale.
Nous avons profondément modifié les épreuves du concours et son calendrier afin de nous inscrire dans le système national d'admissions post-bac. Autrefois, la communication des résultats à la fin du mois de juillet conduisait plusieurs milliers de bacheliers à s'inscrire en classes préparatoires s'ils n'étaient pas sûrs d'être reçus à Sciences Po. Or, une fois admis à l'IEP, ils n'informaient pas les institutions concernées de leur choix, ce qui privait un grand nombre d'étudiants de très bon niveau d'intégrer des classes préparatoires. C'est pourquoi nos épreuves écrites de sélection sont désormais ramassées dans le temps, au mois de mars. Les résultats des oraux d'admission sont, eux, communiqués au début du mois de juin. C'est aussi un progrès pour les familles d'étudiants venant de province, pour la recherche d'un logement à Paris.
Ce calendrier nous offre un avantage par rapport au programme d'histoire retenu pour la préparation de la première épreuve, qui porte donc sur le programme de première. Nous ne pénalisons ainsi pas les élèves de terminale S.
Jusqu'il y a dix ans, les épreuves ne se déroulaient qu'à Paris. L'année dernière, un centre a été ouvert à Nancy, et cette année, Poitiers accueillera un nouveau centre d'examens. Les étudiants issus de l'outre-mer ont, eux, le choix entre la procédure traditionnelle et la procédure internationale, qui se déroule sur dossier et par entretiens, pour lesquels une équipe de Sciences Po se déplace dans le territoire concerné.
Il y aura toujours du bachotage, on ne peut qu'en limiter les effets. A titre personnel, cela ne me gêne pas que les candidats bachotent en histoire.
Enfin, s'agissant des langues, je souhaiterais que les candidats aient le réflexe de regarder les séries télévisées en version originale. Visionner la série « West Wing » en version originale est encore le meilleur moyen de se frotter au droit constitutionnel américain dans la langue de Shakespeare. En tout état de cause, nous sommes très exigeants sur le niveau de maîtrise de la langue étrangère au moment du diplôme, à la sortie de l'école, d'autant plus que l'élève aura passé une année à l'étranger. Nous sommes naturellement moins exigeants à l'entrée.