Intervention de Jean-Paul Costa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Paul Costa ancien président de la cour européenne des droits de l'homme

Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l'Homme :

Le nombre de recours à Strasbourg dépend aussi de la population de chaque pays. La Russie représente 27 % des requêtes : c'est aussi dû à ses 145 millions d'habitants. Il est vrai que plusieurs pays sont souvent condamnés : la Russie, l'Ukraine, la Turquie, la Roumanie...

Le pari du Conseil de l'Europe dans les années 1990 consistait à accepter ces États en les soumettant à la juridiction de la Cour pour améliorer l'état de droit interne. On a été très optimiste sur les délais. On pensait que les améliorations seraient plus rapides, mais il y a une grande résistance au changement, une inertie. Les nouvelles générations de juges, avocats, magistrats intègrent bien la Convention européenne des droits de l'Homme, heureusement. Tout de même, ce pari sera gagné à terme. Il serait regrettable de faire marche arrière. Seuls la Biélorussie et le Saint-Siège, pour des raisons différentes, ne sont pas membres du Conseil de l'Europe. C'est donc une cour paneuropéenne.

Je m'inscris en faux contre l'idée selon laquelle a Cour appliquerait de plus en plus les principes de la Common law. Certes, certaines pays ont imposé leurs droits et pratiques à Strasbourg ; d'autant plus facilement que notre pays n'a ratifié la convention qu'en 1974 et accepté le recours individuel qu'en 1981. L'arrêt Bosman contre France date de 1986 ! Il y avait alors déjà des acquis juridictionnels... Depuis lors, le melting pot se forme entre nos traditions juridiques différentes. Ainsi le droit au silence de l'accusé n'existait pas dans le droit continental, tandis que les pays de Common law n'attachaient pas la même importance que nous à la protection de la vie privée. La Cour est un peu une entreprise d'import-export de droit, dans le sens de la progression des libertés.

Les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme infléchissent les jurisprudences nationales. Nos trois plus hautes juridictions, la Cour de cassation, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, sont souvent réticentes devant ces remises en cause. Il nous faut donc améliorer encore nos relations avec les cours nationales. La première voie est le dialogue des juges, que nous pratiquons. Il est parfois assez vif dans les séminaires que nous organisons mais les jurisprudences tendent à s'harmoniser. Ainsi, sur le droit à l'image, la Cour de Karlsruhe a, au bout de plusieurs années, modifié sa position pour aller dans le sens de la CEDH. Celle-ci, autre exemple, a condamné les lois de validation rétroactive, sauf pour motif impérieux d'intérêt général. Les hautes juridictions françaises s'étaient prononcées différemment mais ont modifié leur jurisprudence en conséquence.

Une procédure peut aider à ce dialogue des juges : celle des avis consultatifs. Elle fera d'ailleurs l'objet de discussions à Brighton. Il n'y a pas encore de renvoi préjudiciel, comme cela se pratique à Luxembourg. Longtemps on a dit que cela chargerait encore notre barque, et puis on s'est rendu compte que cela préviendrait des contentieux nouveaux. On l'a vu en France en 1987 avec la réforme du contentieux administratif : les avis demandés par les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel au Conseil d'État sont utiles.

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