Comment ne pas être sensible à la question du cumul des mandats ? C'est d'ailleurs un serpent de mer qui resurgit à chaque échéance électorale. Des sondages le montrent régulièrement, la population est largement opposée à cette pratique, considérée comme un obstacle à l'émergence de nouveaux visages en politique. Cela dit, parce que l'électeur ne tient pas toujours le même raisonnement que le citoyen, ce rejet ne se traduit pas forcément dans les urnes.
La faiblesse du cumul des mandats dans les démocraties étrangères s'explique non par une culture politique différente, comme on l'entend souvent en France, mais généralement par une réglementation qui est parfois drastique. Il en va ainsi, par exemple, en Espagne, dont mon département est limitrophe, où la Constitution elle-même contient des règles relatives à l'interdiction du cumul de certains mandats, telle celle qui interdit d'être à la fois député et membre d'une assemblée de communauté autonome.
Depuis 2002, une vingtaine de propositions de loi, dont la dernière, de juin 2011, est de François-Noël Buffet, ont visé à restreindre cette pratique en France. Elles ont peut-être été déposées avec d'autant plus d'enthousiasme que leurs auteurs, quelle que soit leur appartenance politique, savaient qu'elles ne seraient pas forcément adoptées... Idem pour les conclusions de la commission Mauroy qui, en 2000, avait appelé à un élargissement des règles de non-cumul, et celles du comité Balladur en 2007, dont il faut rappeler qu'il avait préconisé à l'unanimité de s'engager sur la voie du mandat parlementaire unique : ces conclusions n'ont jamais connu de traduction législative.
Il s'agit donc d'un sujet délicat, indissociable de la question du statut de l'élu, auquel notre délégation a consacré une table ronde, le 1er juin 2010, et un rapport rédigé par nos collègues Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet.
Avant 1985, aucune règle ne limitait le cumul de mandats locaux. Lorsque je me suis retrouvé suppléant d'André Labarrère au conseil régional d'Aquitaine, son président était également sénateur de Gironde, président du conseil général et maire de Carbon-Blanc. L'encadrement de cette pratique a suivi les grandes lois de décentralisation. Le Parlement a renforcé les deux lois du 30 décembre 1985 par les deux lois du 5 avril 2000, la première étant consacrée aux parlementaires nationaux, la seconde aux élus locaux, aux parlementaires européens ainsi qu'aux incompatibilités entre fonctions exécutives locales.
Le cumul des mandats de député et de sénateur est interdit au nom du bicamérisme, de même que le mandat de parlementaire est devenu incompatible avec celui de représentant au Parlement européen - ce n'est pas si ancien - et l'exercice de plus d'un mandat local parmi les suivants : conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants. En revanche, un parlementaire peut toujours présider un conseil régional ou général, le conseil exécutif de Corse, et remplir la fonction de maire et maire d'arrondissement. Il y a là une petite anomalie, qui autorise mon collègue Jean Lassalle à remplir les fonctions de maire, de conseiller général et de député.
Le cumul horizontal est interdit pour chacun des mandats locaux, ce qui signifie, par exemple, que l'on ne peut être élu municipal dans deux communes. Et nul ne peut exercer plus de deux mandats parmi ceux de conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse ou membre du conseil exécutif de Corse, conseil général, conseiller de Paris et conseiller municipal.
Malgré cette législation contraignante, le cumul des mandats demeure la règle : 84% des députés le pratiquent, contre 72% des sénateurs - sans doute sont-ils plus sages... Le phénomène s'est même accentué : en 1973, 30% des députés ne détenaient aucun autre mandat, contre seulement 15% aujourd'hui. De surcroît, les fonctions de président d'EPCI n'entrent pas dans le champ des lois du 5 avril 2000. Malgré l'étendue des compétences des communautés, et donc de la charge de travail qui incombe à leurs présidents, ces derniers sont très souvent en situation de cumul. Ainsi, 86% d'entre eux exercent au moins un autre mandat électif que celui de conseiller municipal. Et on constate que les responsables des intercommunalités les plus importantes sont ceux qui cumulent le plus de mandats : 10 des 16 présidents de communautés urbaines, et 48 des 60 présidents de communautés d'agglomération.
Pour conclure, je voudrais faire une remarque sur la situation particulière des ministres. Si l'article 23 de la Constitution prévoit désormais le retour au Parlement d'un ministre ayant cessé ses fonctions ministérielles, il n'interdit pas le cumul entre cette fonction et la détention d'un mandat d'exécutif territorial. La commission Balladur préconisait de mettre fin à cette situation. C'est pourquoi nous nous interrogeons sur l'opportunité d'instaurer une règle stricte de non-cumul entre les fonctions ministérielles et les fonctions exécutives territoriales.