Intervention de Hervé de Villeroché

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 janvier 2012 : 2ème réunion
Régulation financière pour restaurer l'utilité sociale des marchés — Table ronde

Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor :

Je partage largement les constats formulés par M. Jouyet.

La régulation comporte quatre enjeux principaux. Quelle est la bonne régulation face à la fragmentation des marchés ? Comment prendre en compte les pratiques liées au système de cotation, comme le trading algorithmique ? Comment prendre en compte la finance de l'ombre ou shadow banking ? Comment réguler les marchés dérivés ?

Les marchés financiers, lorsqu'ils assurent correctement le financement à long terme des entreprises sont un atout de compétitivité ; ils deviennent un handicap s'ils fonctionnent mal. Ils évoluent très vite. C'est pourquoi, la régulation doit être efficace au niveau international et européen, avant de l'être au plan national. L'un entraîne l'autre.

La directive MIF est entrée en vigueur en novembre 2007 et les marchés réglementés se sont trouvés mis en concurrence par les SMN. Il en est résulté une moindre transparence pré-négociation et un développement des opérations de gré à gré, hors marché. Le prix des transactions a certes baissé, l'accès aux valeurs étrangères s'est élargi, mais la concurrence ne saurait s'exercer au détriment de l'efficacité ni de la régulation. Or, la fragmentation a augmenté, l'efficacité dans la formation des prix a diminué et l'opacité a favorisé les intermédiaires plutôt que les utilisateurs finaux. La révision de la directive doit donc être l'occasion d'améliorer la transparence pré-négociation. En particulier, veillons à limiter les dérogations - pour des blocs de titres très importants, elles peuvent être de mise, mais gardons-nous de multiplier les exceptions ! Je crains, si celles-ci sont laissées à l'appréciation de chaque Etat membre, qu'il en résulte une concurrence féroce pour attirer la liquidité. A notre sens, il pourrait relever de l'AEMF d'accorder ou non les dérogations.

La Commission européenne propose de créer une nouvelle catégorie de modalités pour les opérations de marché : les OTF. Si la conséquence est de remonter vers les plateformes de négociation plus transparentes des transactions auparavant conclues hors marché, ce sera très bien ; si les transactions des marchés réglementés descendent sur ces plateformes, ce sera un échec.

Quant au trading haute fréquence, il est mondialement développé et la régulation doit donc être mondiale, européenne, avant d'être française. La liquidité est très mobile. Comprenons bien son utilité sociale, qui n'est pas évidente au premier abord. Sur des marchés fragmentés, le trading algorithmique sert à équilibrer le prix entre plateformes. L'activité d'arbitrage a toujours existé, c'est son développement massif qui pose problème. Nous avons beaucoup insisté, lors du G 20, pour qu'une réflexion soit engagée au plan international. La liquidité peut se retirer très vite, comme l'a montré le « flash crash » de mai 2010 aux Etats-Unis. Le trading haute fréquence pose également des questions sur l'intégrité lors de la formation des prix. Lorsqu'un intervenant envoie des milliers d'ordres avant de les annuler quelques millisecondes plus tard, quel est l'objectif qu'il poursuit réellement ? Il peut s'agir d'une volonté d'influer les prix, ce qui serait constitutif d'un abus de marché. La révision de la directive « Abus de marché » sera l'occasion d'encadrer ces pratiques.

La facilité serait de d'interdire purement et simplement le trading haute fréquence. Mais il assure au jour le jour un volume conséquent de transactions. Mieux vaut retenir une approche régulatrice au plan européen, afin que la liquidité n'émigre pas ailleurs. Le lieu de concentration de la liquidité emporte un enjeu majeur sur le régulateur responsable. Je rappelle que l'AMF est compétente parce que la liquidité, à titre principale, se situe sur la plate-forme que nous autorisons. Le jour où la liquidité se déplace, l'AMF perd sa capacité d'intervention.

Le shadow banking se développe à mesure que les exigences de solvabilité, de ratios de fonds propres et de liquidité qui s'imposent aux banques augmentent. La régulation du seul secteur bancaire est une incitation aux arbitrages en faveur d'institutions moins régulées.

Le risque est mondial et non franco-français. Il convient de travailler à l'échelon international sur la titrisation, les fonds monétaires, les activités de prêt-emprunt de titres, les hedge funds pour leurs activités proches du crédit. Le Conseil de stabilité financière a été mandaté par le G 20 pour faire des propositions dans ce domaine et j'espère que nous progresserons sur l'ensemble de ces sujets dans le courant de l'année 2012. Nous souhaitons également que la Commission européenne puisse y travailler.

Dés la faillite de Lehman Brothers, on a compris la nécessité d'une meilleure régulation des marchés dérivés et le règlement EMIR est un enjeu essentiel de la sécurité du système. C'est par la compensation des dérivés, en effet, que l'on peut arrêter les accidents. Lors de la récente faillite du courtier MF Global, le risque a été absorbé sans contagion. Il faut à présent aller plus loin dans le champ et dans la définition des produits soumis à compensation : ils doivent être standardisés, donc faciles à compenser. Il faut aussi que les chambres soient solides, qu'elles ne pratiquent pas d'autres activités et qu'elles aient accès à la monnaie centrale.

La France est partisane d'une régulation équilibrée entre activités bancaires et activités de marché. La crise est arrivée dans une large mesure par les banques et il est désormais indispensable de renforcer la réglementation bancaire, mais en tenant compte des effets sur le financement de l'économie. Mais nous n'oublions pas la régulation des marchés. Il faut réguler les activités et non pas seulement les entités porteuses de risques.

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