Intervention de Michel Aglietta

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 janvier 2012 : 2ème réunion
Régulation financière pour restaurer l'utilité sociale des marchés — Table ronde

Michel Aglietta, professeur à l'université Paris X - Nanterre, membre du Conseil d'analyse économique :

Étant le seul académique du panel, je m'efforcerai de placer mon intervention sous le signe de l'expérience de la crise que nous venons de vivre, celle-ci remettant en cause le paradigme fondamental de la finance, à savoir l'efficience du marché et la capacité de la finance à s'ajuster elle-même. Un tel changement de paradigme impose de trouver une nouvelle cohérence.

Ainsi, deux objectifs de la finance n'ont pas été atteints durant la période de libération financière exacerbée : tout d'abord, la stabilité globale du système financier n'a pas été assurée, alors qu'elle est un bien public en raison du risque systémique associé à la finance et qu'elle n'est pas capable d'éliminer par elle-même ; ensuite, nul ne peut aujourd'hui financer la croissance de long terme. Cette situation appelle une réforme de grande envergure.

La politique macro-prudentielle, récemment mise en place, incorpore la banque centrale et l'ensemble des régulateurs dans un Conseil européen du risque systémique. Comment cette instance pourra-t-elle détecter les germes de risque systémique suffisamment tôt ? La maîtrise du risque systémique est cruciale, mais le contexte européen est compliqué : tout le monde ignore où se trouve le pouvoir.

La deuxième question concerne la place des agences de notation dans un contexte marqué par l'imbrication inextricable du risque de crédit et du risque de liquidité.

Les agences de notation savent évaluer scientifiquement le risque de crédit associé à une entreprise, car elles sont à même d'apprécier la capacité intrinsèque d'une entreprise à maîtriser son bilan à travers le cycle. Ainsi, une simple récession ne saurait justifier de dégrader une entreprise.

Or le risque de crédit et le risque de liquidité ne peuvent être séparés dans le cadre de la dette souveraine. Aujourd'hui, les marchés révèlent surtout leur inquiétude sur la capacité de la zone euro à se gérer et à gérer la crise qu'elle traverse, ce qui n'a rien à voir avec la soutenabilité à long terme des dettes publiques. En se fondant sur les CDS, on pourrait en déduire que la probabilité d'une banqueroute italienne serait de 30 %. Cela n'a aucun sens ! Qu'est-ce qui justifierait au cours des six derniers mois une telle dégradation dans l'appréciation de la capacité italienne à gérer sa dette publique par rapport aux trente dernières années ?

La corrélation entre les notes données par les agences et les cours des CDS montre que les investisseurs sont sous influence. La responsabilité en incombe aux Etats et aux régulateurs, qui ont mis les agences de notation au coeur des contrats d'assurance, privant ainsi les investisseurs de leur libre arbitre. La seule solution consiste à banaliser les agences, pour en faire des acteurs parmi d'autres formulant une opinion. C'est aux régulateurs d'extraire toute référence à la notation dans les règlements pour que les agences redeviennent de simples acteurs privés.

J'en viens à l'innovation financière, qui pose un problème de sécurité analogue à celui observé en matière sanitaire. L'innovation financière n'est pas soumise à des tests de dangerosité, alors que si l'on avait testé les CDO sur les subprimes, on aurait vu qu'ils explosaient en cas de crise immobilière. Pourquoi toute innovation financière est-elle présupposée avoir une utilité sociale ? Par nature, une innovation est soumise à l'incertitude poppérienne : pour la lever, il faut faire des tests.

Le troisième élément concerne les normes comptables, un sujet crucial qui nous ramène au marché efficient. Que le prix spot corresponde à la juste valeur devrait être considéré comme une plaisanterie. Or c'est ce qu'affirment les prescriptions comptables, conduisant à incorporer toutes les fluctuations du marché dans les comptes d'exploitation. Cela incite les acteurs à ne détenir que des actifs sûrs, compromettant le financement à long terme.

Nous devons maintenant sortir du « too big to fail », ou plutôt du « too systemic to fail ». L'idée serait d'exiger des testaments ou « living wills ». Mais, songez à Lehman Brothers, qui disposait d'environ 3 000 véhicules hors bilan. Dès lors que l'on ignore l'ensemble des transactions sur l'ensemble des marchés, on ne peut décomposer une entité que l'on veut mettre en faillite.

Le capitalisme ne peut correctement fonctionner lorsqu'un secteur s'affranchissant de la contrainte de la faillite se sent immunisé au point d'influencer de façon rédhibitoire la régulation elle-même. En outre, cette situation est incompatible avec la démocratie !

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