Intervention de Marc-Etienne Lavergne

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er février 2012 : 1ère réunion
Situation dans la corne de l'afrique — Audition de M. Marc Etienne lavergne géopolitologue directeur de recherche au cnrs

Marc-Etienne Lavergne :

S'agissant des liens entre la piraterie et Al Qaïda, on présume qu'il y a bien des relations. La piraterie moderne exige des investissements importants, génère des revenus également conséquents qui circulent dans la région et se réinvestissent dans la galaxie financière internationale. Les pirates ne sont, dans ce phénomène, généralement que des exécutants. Toutefois, on ne connaît pas très bien la nature précise de ces relations. Par nature, la circulation de l'argent lié à la piraterie est très opaque. On sait que la Somalie est une plaque tournante de circuits financiers illicites, par le système des hawala-s, mais c'est un domaine dans lequel il existe un déficit de renseignement et d'analyse.

Les limites géographiques de la Corne de l'Afrique sont par nature conventionnelles. Tout dépend du poids respectif que l'on accorde aux données liées à la géographie, à l'histoire et à la culture. Si l'on prend le cas des Ethiopiens et celui des Soudanais et des Somaliens, les premiers sont chrétiens, les seconds sont majoritairement musulmans, mais ils sont, en définitive, très proches d'un point de vue culturel ; ils partagent les mêmes valeurs, les mêmes goûts culinaires ou musicaux, les mêmes conceptions de la bienséance et de la politesse. Il y a, de ce point de vue, une unité culturelle qu'on ne retrouve pas, par exemple, entre les Soudanais et les Egyptiens, qui ont pourtant en commun la même religion musulmane. A mon sens, on ne peut pas inclure dans la Corne de l'Afrique, l'Afrique des grands lacs, qui est un autre monde. En revanche, il me semble que le bassin du Nil moyen, avec les deux Soudans, appartient à la même aire géographique que l'Ethiopie et la Somalie et c'est pour cela que je les inclus dans la Corne de l'Afrique. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de concurrence entre ces deux pays, et notamment entre le Soudan et l'Ethiopie. Ces deux pays entretiennent des stratégies d'encerclement l'un vis-à-vis de l'autre ; la présence économique (et stratégique) érythréenne et éthiopienne est ainsi très forte au Sud-Soudan aux côtés des intérêts kenyans et ougandais tandis que le régime de Khartoum comme celui d'Asmara sont eux-mêmes très présents du côté des rebelles dans les conflits internes de la Somalie et de l'Ethiopie.

S'agissant de l'efficacité de l'action humanitaire, nous devons être bien conscients des limites de notre action. Il y a des limites financières, nous ne pouvons malheureusement pas secourir toute la misère du monde ; il y a des limites logistiques qui sont liées à l'accès aux populations en danger. C'est notamment la raison qui conduit à regrouper des populations dans des camps proches des aéroports ou des ports d'accès, voire au-delà des frontières, comme à Daadab, au détriment de leur maintien sur place. Mais, en réalité, sur le long terme, il est sans doute plus important de former les jeunes de ces pays que de nourrir les populations. Il reste que, d'un point de vue humanitaire, l'instabilité et l'insécurité de la région constituent un obstacle important. De ce point de vue, il importe de trouver la solution politique aux relations avec les shababs. Beaucoup des membres de ces milices font la guerre faute de reconnaissance et de possibilités alternatives. Comme dans d'autres régions du monde, la guerre nourrit plus que la terre. C'est à cette problématique là qu'il faut s'attaquer.

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