Comme vous le savez, l'Afghanistan représente la plus importante opération de l'OTAN. Alors que ce pays se prépare à assumer l'entière responsabilité de sa sécurité, d'ici la fin de l'année 2014, il semblait particulièrement utile de faire le point sur les priorités de l'opération conduite par l'OTAN (FIAS) et les différents aspects du processus de transition, dont la montée en puissance des forces de sécurité afghanes, la gouvernance et l'état de droit, la réconciliation et la réinsertion, la reconstruction et le développement économique ou encore la coopération régionale.
Les travaux du séminaire de Londres ont été ouverts par le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, M. William Hague, qui a indiqué que des avancées avaient été obtenues au prix d'efforts conséquents dans de nombreux domaines en Afghanistan, mais que celles-ci demeuraient précaires. Il a souligné que le passage à une réappropriation intégrale par les Afghans était la bonne stratégie, qui offrait une perspective claire, engageant le pays sur la voie de l'autodépendance selon un calendrier crédible. Il a toutefois rappelé qu'un engagement international dans la durée et une bonne dose de patience stratégique seraient essentiels et que les forces internationales devraient affronter l'insurrection jusqu'à la dernière minute de leur mission de combat.
Les récents évènements dramatiques, avec l'assassinat de quatre de nos soldats et les blessures infligées à une vingtaine d'autres de nos militaires par un militaire afghan, ont malheureusement confirmé ce propos.
Dans son allocution d'ouverture, le président de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, M. Karl Lamers, a déclaré que les parlementaires avaient à cet égard un rôle et une responsabilité majeurs : il leur revient notamment d'expliquer à leurs concitoyens les raisons de l'intervention de l'Alliance en Afghanistan et les exigences qui lui sont inhérentes, et aussi de veiller à ce que la transition se fasse de manière coordonnée et responsable.
A cet égard, les intervenants ont mis en garde les alliés concernant les conséquences d'un éventuel retrait anticipé de tel ou tel pays, qui risquerait de déstabiliser l'ensemble du processus de transition.
Le Secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les opérations, M. Stephen Evans, a confirmé que « la transition était bien engagée et que la voie à suivre était claire, mais que le processus ne serait pas sans difficulté ». Selon les plans actuels, le transfert des diverses régions afghanes se ferait en cinq tranches. Le transfert de la première tranche, qui représente quelque 20 % de la population, est désormais achevé et l'OTAN a commencé au début de 2012 le transfert de la deuxième tranche, qui devrait placer au total 50 % de la population et un certain nombre de zones plus difficiles sous le contrôle des forces de sécurité afghanes. Les autorités afghanes devraient assurer pleinement la sécurité dans l'ensemble du pays d'ici au 31 décembre 2014, date à laquelle la mission de combat de la FIAS prendra fin.
Si les insurgés restent capables de mener des attaques et de faire la « une » des journaux, les responsables de l'OTAN et de pays alliés qui se sont exprimés lors de ce séminaire ont dit avoir la certitude que le changement de tactique des insurgés, qui sont passés de la guerre de guérilla au terrorisme à la sauvette, avec notamment une multiplication des attentats à l'engin explosif improvisé et des attentats-suicides, montre qu'ils sont de moins en moins capables de l'emporter sur le champ de bataille. Par ailleurs, les effectifs des forces de sécurité afghanes continuent à augmenter et ces forces se montrent de plus en plus capables d'assurer la sécurité. Néanmoins, il sera essentiel de synchroniser leur montée en puissance avec l'allègement progressif des effectifs de la FIAS.
Je rappelle que, comme vous le savez, la France est engagée en Afghanistan depuis 2001 dans les opérations de la coalition. Environ 3 800 militaires français restent engagés dans les opérations en Afghanistan, ce qui fait de notre pays le quatrième contingent de l'OTAN. Ils participent, en soutien des forces de sécurité afghanes, à la sécurisation de la Surobi et de la Kapisa et soutiennent la montée en puissance de l'armée nationale afghane en conduisant des missions de formation, principalement à Kaboul, et en accompagnant les unités afghanes sur le terrain.
Les progrès accomplis par les soldats afghans, qui sont accompagnés par les soldats français depuis 2008, et de la situation sécuritaire en Surobi ont permis de commencer à désengager les forces françaises pour que les soldats afghans prennent progressivement en main la sécurité de la zone.
Il reste aujourd'hui environ 450 militaires français déployés en Surobi, principalement sur la base opérationnelle avancée à Tora, aux côtés d'environ 1 000 militaires afghans déployés sur la base de Tora et les postes de Naghlu et Uzbeen.
Notre dispositif se concentre désormais sur la Kapisa. Si la situation dans le Nord et dans le centre de cette province est relativement stable, la situation est en revanche plus délicate au Sud, où se trouve le principal axe d'approvisionnement stratégique permettant de relier la capitale Kaboul au Pakistan et qui fait l'objet d'une forte pression des insurgés talibans, notamment sur la base de Tagab, où s'est déroulée la récente fusillade provoquée par un taliban infiltré au sein de l'armée afghane.
Il est ressorti clairement des discussions lors du séminaire que, si des progrès considérables ont été accomplis, des difficultés sérieuses subsistent et qu'il est vital de faire le lien entre les niveaux opérationnel et stratégique.
Le renforcement de la gouvernance et du sentiment d'allégeance de la population à l'égard des institutions afghanes reste l'un des problèmes majeurs. Les Afghans doivent croire en l'aptitude de leurs autorités à fournir les services élémentaires, à imposer l'Etat de droit et à offrir des possibilités de développement économique. De récents sondages montrent que la confiance est à la hausse, mais d'importants progrès restent à réaliser dans des domaines tels que la lutte contre la corruption, la justice, la gouvernance locale et les rapports entre les autorités centrales et locales.
Un changement graduel du mode d'intervention des équipes de reconstruction provinciales devrait déboucher sur un transfert progressif aux autorités afghanes de la responsabilité pour la gestion des services élémentaires. Ce processus devrait contribuer à une appropriation accrue de la part de celles-ci et consolider les liens entre la population locale et les institutions.
Les intervenants ont toutefois souligné à quel point il était important de replacer la situation en Afghanistan dans son contexte, afin de s'assurer que les attentes et objectifs soient réalistes. L'Afghanistan occupe dans l'Indice de développement humain de l'ONU la 181e place sur 182 ; il continuera à affronter une pauvreté extrême et très répandue. A supposer que les taux de croissance actuels demeurent tels quels, l'énorme écart entre recettes et dépenses publiques ne sera pas comblé avant 2024 au plus tôt. Il sera donc nécessaire de maintenir l'aide économique actuelle au-delà de 2014, notamment pour contribuer au financement des forces de sécurité afghanes.
Les participants ont été unanimes à estimer que les tentatives de règlement politique avec des éléments de l'insurrection étaient une condition indispensable à l'instauration de la stabilité. Il est cependant ressorti des discussions du séminaire que les contacts établis jusqu'ici avec les talibans avaient donné des résultats limités et que l'attachement du camp adverse à une éventuelle réconciliation restait plus que douteux.
La stabilité à long terme exigera aussi des pays de la région - et, notamment, du Pakistan - qu'ils soutiennent davantage l'Afghanistan et intensifient leur coopération avec lui. L'existence, dans des zones voisines du territoire afghan, de sanctuaires où les insurgés peuvent se réfugier a été présentée comme un problème majeur. Certes, les pays limitrophes se sont engagés à plusieurs reprises à contribuer à la stabilisation de l'Afghanistan, mais les discussions du séminaire ont montré que les relations demeuraient difficiles, empreintes de méfiance et de suspicion. Des responsables gouvernementaux afghans et pakistanais ont toutefois souligné que des efforts sans précédent étaient actuellement déployés pour améliorer ces relations, éliminer le « déficit de confiance » qui subsistait et faire en sorte que les deux pays cessent de se rejeter mutuellement la faute. Les participants ont appris que des opportunités commerciales et économiques accrues pouvaient encourager la coopération régionale, et la Conférence d'Istanbul est apparue comme un premier pas prometteur sur la voie de l'édification possible de structures régionales.
Les interventions ont souligné la nécessité pour l'Alliance, ses partenaires et les Afghans eux-mêmes de poursuivre leurs efforts afin de rendre les progrès irréversibles. L'Afghanistan reste vital pour la sécurité euro-atlantique et les gains engrangés jusqu'ici seraient compromis si la communauté internationale et les pays de l'OTAN ne voulaient ou ne pouvaient pas fournir une aide suffisante jusqu'à la fin de 2014 et au-delà, ont estimé de nombreux intervenants.
« La fin de la transition ne doit pas signifier la fin de la coopération », a déclaré M. Zia Nezam, premier conseiller au ministère des Affaires étrangères de l'Afghanistan. L'intervenant a fait observer que les autorités de Kaboul étaient déterminées à sceller des partenariats stratégiques avec l'OTAN et les pays alliés, objectif auquel a souscrit la Loya Jirga (Grande Assemblée traditionnelle), qui s'était réunie la semaine précédente du séminaire.
Comme vous le savez, le Président afghan Hamid Karzai doit d'ailleurs se rendre en visite en France la semaine prochaine, au cours de laquelle il devrait s'entretenir avec le Président de la République et signer un accord d'amitié et de coopération avec la France.
« L'OTAN n'abandonnera pas l'Afghanistan », a assuré M. Evans lors du séminaire, mais son rôle changera. Après 2014, l'Alliance se concentrera sur la formation, l'encadrement et le conseil des forces de sécurité afghanes ; le cas échéant, elle apportera aussi le soutien nécessaire. On pense notamment à l'appui aérien, au soutien logistique ou au renseignement.
Reste toutefois la question du financement des forces de sécurité afghanes après 2014.
Aujourd'hui, la part du budget du gouvernement afghan consacré à la sécurité est de l'ordre de 2 milliards de dollars, alors qu'on estime à 12 milliards de dollars par an le coût du financement des forces de sécurité.
En conclusion, les participants ont estimé que la conférence internationale sur l'Afghanistan, qui s'est tenue à Bonn en décembre, et le prochain sommet de l'OTAN, qui se tiendra à Chicago en 2012, fourniraient deux occasions de confirmer l'engagement à long terme de la communauté internationale à l'égard de l'Afghanistan.
Enfin, lors de notre séjour à Londres, nous avons eu un entretien très intéressant avec notre ambassadeur de France au Royaume-Uni, M. Bernard Emié, qui nous a notamment présenté l'état et les perspectives de la coopération franco-britannique en matière de défense.