Intervention de Xavier Pintat

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 janvier 2012 : 1ère réunion
Forum transatlantique — Communication

Photo de Xavier PintatXavier Pintat, membre de la délégation du Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN :

Les 5 et 6 décembre derniers, nous nous sommes rendus, avec mes collègues Mme Nathalie Goulet et M. Didier Boulaud, à Washington, pour participer au Forum transatlantique.

Institué en 2001, afin de rapprocher les points de vue et éviter l'apparition de divergences ou d'incompréhensions dans les relations transatlantiques, le Forum transatlantique se tient chaque année, généralement en décembre, aux Etats-Unis.

Organisé par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, en coopération avec le Conseil de l'Atlantique des Etats-Unis et la National Defense University, il permet aux parlementaires des pays membres de l'OTAN de débattre avec les parlementaires du Congrès et des représentants de l'administration des Etats-Unis, mais aussi avec des experts de think tanks américains, de toutes les questions concernant l'Alliance atlantique.

Ces rencontres constituent donc un moment privilégié pour confronter et rapprocher les points de vue des deux côtés de l'Atlantique.

Elles représentent aussi une importante source d'information sur la perception américaine, les débats au sein de la classe politique et parmi les experts, ainsi que sur les priorités de la politique étrangère des Etats-Unis à l'égard de l'OTAN et, plus généralement, sur les grands dossiers internationaux.

Lors du dernier Forum, qui s'est tenu à Washington, 22 pays membres de l'OTAN étaient représentés.

Outre la délégation du Sénat, la France était représentée par nos collègues députés MM. Loïc Bouvard, Jean-Michel Boucheron, Philippe Vitel, Michel Lefait et Jean-Luc Reitzer.

Après une présentation des priorités de la politique étrangère et de sécurité des Etats-Unis, par l'ambassadeur Alexander Vershbow, adjoint du secrétaire d'Etat américain à la défense, nous avons eu des échanges sur l'état et les perspectives des relations transatlantiques, lors d'une table ronde avec des experts américains de think tanks spécialisés sur ces questions.

Nous avons également entendu une intervention de la directrice générale de la Banque Mondiale, sur les liens entre sécurité et développement.

Plusieurs séances ont été ensuite organisées, avec des représentants de l'administration Obama et des experts américains, sur le « printemps arabe », les réponses de l'administration Obama et les enseignements pour l'Alliance atlantique de ces révolutions.

Nous avons aussi eu des échanges sur le dialogue stratégique avec la Russie, sur la transition en Afghanistan et les relations avec le Pakistan.

Enfin, nous avons conclu nos travaux par un débat sur la politique étrangère américaine, dans l'optique des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis.

Que faut-il retenir de ces échanges particulièrement denses ?

Pour ma part, je retiendrai essentiellement deux enseignements.

Premièrement, nous avons eu la confirmation, lors de ce Forum transatlantique, de la nette détermination des Etats-Unis, toutes tendances politiques confondues, de se désengager progressivement de l'Europe pour se concentrer davantage sur l'Asie.

Dans l'esprit de nos partenaires américains, il est clair que l'Europe n'apparaît plus aujourd'hui comme une priorité du point de vue de la sécurité, mais que leur principale préoccupation se porte désormais sur la montée en puissance de la Chine, qui apparaît désormais comme un rival potentiel et une menace, en particulier dans le Pacifique et en Asie.

Dans un contexte marqué par la forte réduction du budget de la défense aux Etats-Unis dans les dix prochaines années (on parle d'une réduction de l'ordre de 400 à 1000 milliards de dollars), pour enrayer le déficit abyssal du budget, et au regard de l'expérience des interventions en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis estiment qu'ils n'auront plus les moyens d'assumer seuls à l'avenir la sécurité de l'ensemble de leurs alliés.

Dans la lignée des discours de l'ancien secrétaire d'Etat à la défense Robert Gates, et de son successeur Leon Panetta, les Etats-Unis considèrent que les Européens doivent prendre davantage leurs responsabilités pour assurer leur propre sécurité et « partager le fardeau ».

Ils estiment que la sécurité de l'Europe et de son proche voisinage, notamment au sud de la Méditerranée, doit reposer principalement sur les Européens.

Cela ne signifie pas pour autant que les Etats-Unis vont abandonner du jour au lendemain leurs alliés européens, qui demeurent leurs plus proches alliés, et que la garantie de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord sera moins effective à l'avenir.

Simplement, les Etats-Unis ne sont plus disposés aujourd'hui à assumer seuls le coût financier et humain de la sécurité de l'Europe.

C'est le sens du « leadership from behind » évoqué par le Président Barack Obama lors de l'intervention de l'OTAN en Libye, où, pour la première fois, les Etats-Unis sont restés en retrait d'une opération militaire de l'OTAN, tout en apportant un soutien indispensable aux pays participants.

Cette nouvelle attitude des Etats-Unis suscite de fortes inquiétudes chez la plupart de nos partenaires européens, en particulier des pays baltes ou d'Europe centrale et orientale, pour lesquels l'Alliance atlantique et les Etats-Unis restent la meilleure garantie de leur sécurité, notamment à l'égard de la Russie.

Elle constitue toutefois une réelle opportunité pour l'émergence, sinon d'une défense européenne, du moins d'un pôle européen au sein de l'Alliance atlantique, dont nous avons pu voir les prémices en Libye.

Lors du Forum transatlantique, je suis d'ailleurs intervenu pour plaider en ce sens auprès de mes collègues et défendre l'idée d'un rééquilibrage entre Européens et américains au sein de l'Alliance, en appelant les Européens à ne pas relâcher leur effort en matière de défense, mais à développer la coopération, sur le modèle de la coopération franco-britannique. J'ai aussi souligné tout l'intérêt de renforcer la politique de sécurité et de défense commune et les liens entre l'OTAN et l'Union européenne.

Toutefois, dans un contexte marqué par la forte diminution des budgets de la défense chez la plupart de nos partenaires européens, en raison de la crise économique et financière, d'une lassitude des opinions publiques et d'un refus de s'engager militairement, comme nous avons pu le voir en Allemagne, il n'est pas certain que les Européens soient aujourd'hui disposés à saisir cette opportunité et à consacrer davantage d'efforts pour assurer leur propre sécurité.

Concernant les relations entre l'OTAN et la Russie, de forts désaccords subsistent entre les Etats-Unis et la Russie sur le futur système de défense anti-missiles de l'OTAN de défense du territoire et des populations. Malgré le souhait de l'OTAN d'aboutir à une coopération étroite avec la Russie sur ce sujet, qui avait été exprimé lors du dernier Sommet de l'Alliance de Lisbonne, à l'initiative notamment de la France, peu de progrès semblent avoir été réalisés dans les discussions et les responsables américains ne semblent pas disposés à faire des compromis avec les Russes, en particulier au regard des dernières évolutions de la politique intérieure en Russie.

Le deuxième enseignement que je retire de nos discussions est que la question de l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran fait actuellement l'objet de nombreux débats aux Etats-Unis.

Si les responsables américains demeurent fortement préoccupés par la menace que représente, à leurs yeux, le développement du programme nucléaire iranien, l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran ne fait pas l'objet d'un accord mais suscite au contraire de nombreuses discussions parmi les experts, et même au sein de l'administration présidentielle.

La menace que représente le développement du programme nucléaire iranien, comme cela a été confirmé par le dernier rapport de l'AIEA, constitue une forte préoccupation aux Etats-Unis. Un responsable américain a comparé la situation actuelle avec la crise de Cuba à propos des missiles soviétiques.

La plupart des responsables ou des experts américains s'accordent à considérer qu'une éventuelle intervention militaire israélienne serait désastreuse, puisqu'elle ne parviendrait sans doute pas à détruire entièrement l'ensemble des installations et qu'elle ne réussirait donc pas à interrompre durablement le développement de ce programme.

Il est aussi évident qu'une telle intervention consoliderait le pouvoir en place, qu'elle renforcerait les extrémistes et qu'elle provoquerait des répercussions dans toute la région, notamment au Liban ou dans le Golfe.

Toutefois, on trouve aussi, notamment dans le camp républicain, d'ardents partisans d'une intervention militaire préventive.

Dans le même temps, tout le monde s'accorde à reconnaître que la politique d'ouverture vis-à-vis de l'Iran, qui a été tentée par Barack Obama au début de son mandat, ne s'est pas traduite par des avancées.

Entre ces deux extrêmes, on trouve toute une panoplie d'opinions concernant l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran.

Certains prônent un renforcement des sanctions, notamment à l'égard des hydrocarbures, comme le propose la France

D'autres souhaitent adopter une attitude plus conciliante, en s'en tenant aux sanctions actuelles, voire même en pratiquant une politique de « main tendue », ce qui pourrait aussi apporter des avantages par exemple dans le cadre de la transition en Afghanistan.

En définitive, si les responsables américains s'accordent sur l'idée que le développement du programme nucléaire iranien représente une grave menace pour la sécurité internationale, ils ne sont pas d'accord entre eux sur la réponse à apporter à cette menace et sur l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran.

Voilà les quelques enseignements que je retire de ce Forum, mais mes collègues auront certainement d'autres éléments à ajouter.

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