Intervention de Philippe Errera

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion
Enjeux du prochain sommet de l'alliance atlantique — Audition de M. Philippe Errera ambassadeur représentant permanent de la france auprès de l'otan

Philippe Errera, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'OTAN :

Une éventuelle confrontation militaire avec l'Iran est un sujet dont on ne parle pas à l'OTAN, ni au sein du Conseil de l'Atlantique Nord, ni dans les différentes structures. Aucune planification pour en gérer les conséquences n'est menée ni même évoquée. Plus largement, dans la crise actuelle autour du nucléaire iranien, le plus important est d'assurer l'unité de la communauté internationale. Jusqu'à présent la communauté internationale s'est montrée assez unie, y compris la Chine et la Russie, comme nous avons pu le constater avec le renforcement des sanctions internationales aux Nations Unies visant à empêcher la poursuite du programme nucléaire militaire iranien. Mettre ce sujet à l'ordre du jour de l'OTAN donnerait inutilement des arguments au régime iranien, qui cherche à se présenter en victime de l'occident et non en pays qui viole ses engagements internationaux ; mettre en avant l'OTAN serait aussi mal compris par des acteurs clé au sein du Conseil de sécurité, et en somme fragiliserait le consensus de la communauté internationale, sans rien apporter. L'OTAN n'a aucun rôle à jouer dans la crise iranienne.

Il n'y a pas d'autre alternative que de réduire substantiellement le risque d'infiltration au sein des forces de sécurité afghanes, car il s'agit de protéger le mieux possible la vie de nos soldats. Le général Allen s'est montré très engagé sur ce sujet. Il comprend bien qu'on ne saurait minimiser le risque que cette menace fait peser sur la FIAS dans son ensemble, car il remet potentiellement en cause toute notre stratégie de transition, qui dépend d'une étroite coopération entre la FIAS et les forces afghanes.

Quelles seraient les conséquences d'une éventuelle victoire des républicains aux élections présidentielles aux Etats-Unis ? Vous me permettrez de m'en tenir à un commentaire général. Après dix ans d'interventions en Irak et en Afghanistan, il existe un réel courant isolationniste aux Etats-Unis, qui n'est pas spécifique à l'un ou l'autre parti. L'opinion publique américaine a le sentiment que les Etats-Unis ont beaucoup payé ces dernières années, tant sur le plan humain, qu'au niveau financier, ce qui pourrait conduire les Etats-Unis à réorienter leur action extérieure vers une posture plus isolationniste. Or, ce débat américain, qui figure à l'arrière plan de la préparation du Sommet de Chicago, est perçu avec anxiété par certains de nos alliés européens, qui ont tendance à considérer que la sécurité du continent européen est exclusivement tributaire de la présence américaine. Or, à nos yeux, la meilleure manière d'assurer la sécurité de l'Europe, et même d'établir un partenariat étroit et durable avec les Etats-Unis, est de faire en sorte que les Européens soient des partenaires crédibles en matière de sécurité et qu'ils contribuent donc activement à leur propre sécurité.

Il est vrai que la France a une position plus tranchée que d'autres alliés dans les discussions sur la revue de la posture de défense et de dissuasion, sans doute parce que notre pays a moins d'inhibition à défendre ses positions que d'autres pays, qui trouvent parfois commode de pouvoir s'abriter derrière nous, mais nous assumons entièrement cette position. S'agissant du Royaume Uni, nos consultations sont permanentes et très étroites. Même si notre coopération avec nos amis britanniques s'est beaucoup renforcée depuis la conclusion des accords de Lancaster House et l'intervention en Libye, il est vrai que le Royaume-Uni reste un peu plus en retrait sur ce dossier.

S'agissant de la défense anti-missiles et du système de commandement et de contrôle (C2), il faut distinguer entre les aspects matériels, c'est-à-dire la construction du centre, et la question des règles d'engagement et du contrôle politique des Nations, c'est-à-dire pour schématiser qui décide d'appuyer sur le bouton et dans quelles conditions. C'est sur cette question du contrôle politique que nous menons actuellement des discussions délicates, car nous y attachons une grande importance, contrairement à certains alliés qui ont tendance à privilégier uniquement l'efficacité et la dimension militaire. Or, pour nous la question du contrôle politique des Nations est fondamentale. Concernant le système de commandement et de contrôle, il a été convenu que l'OTAN ne se doterait d'un C2 en propre que plus tard et que dans un premier temps le C2 utiliserait des moyens essentiellement américains. C'est la raison pour laquelle nous avons d'ailleurs insisté pour que l'on parle d'une « capacité intérimaire » et non de « capacité initiale » lors du prochain Sommet de Chicago.

A cet égard, comme elle s'y était engagée à Lisbonne, la France devrait apporter une contribution au système de défense anti-missiles de l'OTAN, grâce à son système d'alerte avancée, qui est d'ailleurs également utile à la dissuasion. A ce stade, et en l'état actuel de notre programmation budgétaire, il n'est pas envisagé d'autre contribution, portant par exemple sur les intercepteurs. Mais il s'agit d'un débat qui doit se poser davantage à Paris qu'à l'OTAN.

Comme vous l'avez souligné, la Russie reste un partenaire essentiel pour l'OTAN et nous souhaitons arriver à un accord sur la défense anti-missiles, comme cela avait été indiqué lors du Sommet de Lisbonne. Malgré les difficultés et les tensions actuelles, et un contexte électoral russe peu propice à des avancées d'ici le Sommet de Chicago, nous pensons, avec d'autres pays, qu'il est important de faire preuve de patience stratégique, de poursuivre le dialogue et de ne pas fermer la porte à la Russie, car il n'est dans l'intérêt de personne d'isoler la Russie.

Concernant l'Afghanistan, et même si je connais sans doute moins bien la situation sur le terrain que la plupart d'entre vous, qui ont eu l'occasion d'effectuer plusieurs déplacements dans ce pays, mais en m'appuyant sur les enseignements de l'expérience des troupes françaises en Kapisa et en Surobi, je constate que de plus en plus d'opérations sont préparées, conduites et même planifiées par les forces de sécurité afghanes, avec notre soutien, et donc que la stratégie de transition fonctionne dans le secteur dont nous avons la responsabilité.

Aujourd'hui, le financement des forces de sécurité afghanes représente un coût de 12 milliards de dollars par an, assuré à plus de 95 % par les Etats-Unis, ce qui en fait l'un des principaux postes de dépenses du budget fédéral des Etats-Unis, et représente un montant plus élevé que le soutien bilatéral à Israël ou encore le programme du Joint Strike Fighter (JSF). Un tel montant n'est pas soutenable sur le long terme. Les discussions menées actuellement au sein de l'OTAN portent donc sur le format futur des forces de sécurité afghanes, leur financement et la répartition de l'effort entre les alliés ou la communauté internationale. Pour la France, il est clair que l'effort ne doit pas être supporté uniquement par les pays de l'alliance ou ceux de la FIAS qui ont participé aux opérations de combat, mais qu'il devrait être assumé par l'ensemble de la communauté internationale, comme cela a été agréé lors de la Conférence de Bonn en décembre dernier.

Il est vrai que l'Allemagne a décidé de ne pas participer à l'intervention en Libye et même de s'abstenir, avec la Chine et la Russie, lors du vote de la résolution 1973 au Conseil de sécurité des Nations Unies, ce qui a d'ailleurs provoqué certains remous au sein de la coalition, mais il faut aussi souligner que l'Allemagne ne s'est pas opposée, comme elle aurait pu le faire, à l'intervention de l'OTAN en Libye et qu'elle n'a pas cherché à compliquer la tâche des pays participant à cette opération.

Par ailleurs, il faut également rappeler que l'Allemagne est le premier pays contributeur à l'opération de la KFOR au Kosovo, avec le premier contingent et le commandement, et que l'Allemagne et l'Autriche ont renforcé leur contingent lors des affrontements de l'été dernier autour des postes-frontières avec la Serbie.

Il existe un débat en Allemagne entre ceux qui considèrent que l'Allemagne devrait prendre davantage ses responsabilités sur le plan international, à la mesure de son poids économique, et ceux qui restent réticents à cette évolution. Ce n'est pas nouveau.

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