ministre auprès du ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération - C'est toujours un plaisir de venir devant une commission qui suit aussi attentivement ces dossiers qui sont le quotidien du ministre de la coopération. Nous avions des inquiétudes. Nous étions en contact permanent avec le président ATT. Mais tout le monde a été surpris par la transformation très rapide de cette mutinerie en coup d'Etat. La junte menée par le capitaine Sanogo n'a pas semblé elle-même savoir comment gérer une prise du pouvoir aussi rapide, qui a suscité, il est vrai, une condamnation unanime de la communauté internationale. Je dois souligner que la CEDEAO, présidée par le président Ouattara, a fait preuve d'une grande clarté, d'une grande fermeté et d'un sens des responsabilités qu'il faut saluer. Le 2 avril, en marge de l'investiture de M. Macky Sall à la présidence du Sénégal, les chefs d'Etat de la CEDEAO ont, en effet, décidé un embargo total sur le Mali ainsi que des sanctions individuelles jusqu'au retour de l'ordre constitutionnel.
Cette fermeté ainsi que la médiation du président Compaoré a favorisé la signature d'un accord cadre dans la nuit du 6 au 7 avril. Cet accord prévoit un retour immédiat à la normalité constitutionnelle, la nomination du président de l'Assemblée nationale à la présidence de la République, la nomination d'un premier ministre de consensus doté des pleins pouvoirs et la mise en place d'un gouvernement d'union nationale. Le président ATT a donné son aval à cet accord et a démissionné, officiellement le 8 avril.
Cet accord est une véritable avancée même si le calendrier précis de sa mise en oeuvre n'a pas été fixé. Cependant, la junte n'est pas désarmée et n'est pas rentrée dans les casernes. Le capitaine Sanogo compte peser sur la nomination du premier ministre ainsi que sur celle des ministres de la défense, de la sécurité intérieure et des finances. J'observe de même que pour l'instant toutes les personnalités politiques incarcérées n'ont pas été libérées (elles l'ont été depuis). Cette avancée a néanmoins permis la levée des sanctions de la CEDEAO.
Parallèlement, la situation dans le Nord Mali reste très préoccupante. Alors que la junte a motivé son coup de force par la passivité de l'armée dans le Nord, la zone est désormais contrôlée les groupes islamistes. On observe que le MNLA avec ses 2 000 hommes perd progressivement du terrain au profit des groupes islamistes qui seraient composés de 500 hommes liés à l'AQMI et de 200 hommes relevant de Ansar Dine. Le 5 avril, le MNLA a proclamé l'indépendance de l'AZAWAD. Cette indépendance est considérée comme nulle et non avenue par l'ensemble de la communauté internationale. Dans ce contexte, les contacts et les efforts pour la libération de nos otages sont rendus difficiles, mais elle reste une préoccupation de tous les instants.
Vous avez évoqué le principe d'une opération militaire, celle-ci a en effet été décidée par les chefs d'Etat lors de la réunion de la CEDEAO le 2 avril en cas d'échec des négociations, mais les contours de cette opération restent flous. S'agit-il de sécuriser le Sud ou de combattre les groupes islamistes au Nord ? Toute cela reste à préciser et ne fait pas encore l'unanimité comme le montrent les conclusions de la réunion qui s'est tenue à Nouakchott en présence de représentants de l'Algérie, de Mauritanie et du Niger.
En tout état de cause, chacun est convaincu qu'il faut aller vite et saisir « l'occasion » pour régler durablement les problèmes du Nord. Le médiateur de la CEDEAO envisagerait un déploiement rapide d'unités de police et de gendarmerie ainsi qu'un déploiement d'une force pour bloquer la descente vers le Sud des différents groupes rebelles. D'un point de vue logistique, le déploiement de tels contingents pourrait prendre plusieurs mois. Par ailleurs, le théâtre du Nord Mali demande des troupes aguerries à une intervention dans le désert par fortes températures. Je tiens à souligner que dans tous les cas de figure la France n'interviendra pas militairement, mais est prête à apporter son appui logistique.
Ce conflit a de nombreuses conséquences humanitaires et pourrait déstabiliser les pays voisins.
Après la chute de Kidal, Gao et Tombouctou, les déplacements de population s'intensifient : on recense actuellement entre 72 000 et 92 000 déplacés internes. Ces déplacés seraient concentrés dans les régions de Tombouctou (35 500), Gao (29 500), Tessalit (27 800) et Léré (500). Nombre de Maliens et de ressortissants sahéliens ont également franchi les frontières du Mali : entre 117 000 et 130 000, selon les sources : 30 000 en Algérie ; entre 40 et 48 000 en Mauritanie ; entre 27 et 32 000 au Niger; entre 20 et 23 000 au Burkina-Faso.
L'insécurité alimentaire s'est nettement aggravée. On constate des difficultés d'approvisionnement supplémentaires parce que les acteurs humanitaires ont été contraints, pour le moment, de suspendre leurs opérations dans le Nord.
Des conséquences politiques et sécuritaires ne sont pas à exclure. Il faut rappeler que Gao est à 300 km du Niger, Tombouctou est proche de la Mauritanie. Cela explique la nécessaire implication de ces deux pays mais aussi de l'Algérie dans le processus de sortie de crise.
Depuis la fin de l'intervention en Libye et le début des flux de nigériens, maliens, venant de ce pays, le Niger comme la Mauritanie ont pris les mesures nécessaires pour surveiller leur territoire et désarmer les migrants. Le Mali n'a pas pris les mêmes précautions et a laissé passer des hommes lourdement armés qui ont puisé dans le stock d'armement laissé à la chute de Kadhafi.
Dans ce contexte, quel est le rôle et la réaction de la France ? Nous avons d'abord pris des mesures pour sécuriser les ressortissants. Nous avons conseillé aux Français de quitter provisoirement la zone rouge étendue jusqu'à Mopti, et nous avons fermé provisoirement le Lycée français à Bamako. Nous avons pris des mesures pour sécuriser nos emprises avec le déploiement de personnels supplémentaires, le renforcement de la sécurité des emprises et la constitution de stocks alimentaires.
Nous avons par ailleurs entrepris un intense travail diplomatique afin de resserrer les liens avec d'une part les Algériens qui ont un rôle historique majeur dans la région et les pays africains de la CEDEAO afin d'unir nos efforts.
Nous entendons promouvoir une solution pacifique, respectueuse de l'intégrité territoriale du Mali et du processus démocratique de cette république. Nous avons longtemps souffert d'une absence de perception commune des dangers de l'implantation au Sahel de mouvements islamistes. Cette crise est malheureusement l'occasion de favoriser un consensus plus large sur la nécessité de ne pas laisser AQMI s'implanter dans cette zone.