Intervention de Robert del Picchia

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 février 2012 : 1ère réunion
Approbation des amendements à l'article 1er et à l'article 18 de l'accord portant création de la banque européenne pour la reconstruction et le développement — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia, rapporteur :

Le Sénat est saisi d'un projet de loi adopté par l'Assemblée nationale tendant à l'approbation de deux amendements à l'accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

En effet, le sommet du G8, réuni en mai 2011, a adopté le « Partenariat de Deauville » qui préconise un soutien important de la communauté internationale au bénéfice des pays dits « des printemps arabes » qui ont engagé une transition politique et économique.

Ce Partenariat repose « sur deux piliers : un processus politique destiné à soutenir la transition et un cadre économique ». Dans cet élan, le sommet du G8 a annoncé le déblocage de quelque 40 milliards de dollars de crédits de financements bilatéraux et multilatéraux. Ce montant serait réparti entre les banques multilatérales de développement, qui en prendraient 20 milliards à leur charge ; une dizaine de milliards correspondrait à des engagements bilatéraux, cependant que les pays du Golfe s'engageraient, de leur côté, sur une dizaine de milliards également.

Si la Tunisie et l'Égypte sont les premiers pays de la région à rejoindre le Partenariat de Deauville, d'autres se sont ensuite greffés sur l'initiative, comme la Jordanie et le Maroc.

Le schéma d'intervention des institutions multilatérales de développement a été tracé. Trois aspects étaient notamment identifiés sur le plan stratégique: « Nous devons nous appuyer sur des banques multilatérales de développement aux actions repositionnées et coordonnées, tirer profit de l'expérience de la BERD dans l'accompagnement des transitions économiques et renforcer l'intégration en matière de commerce et d'investissements », déclaraient les chefs d'État et de gouvernement.

Le modèle économique choisi a mis un accent particulier sur l'importance du soutien à apporter au secteur privé.

Dans ce schéma, le rôle de la BERD, qui a été « un instrument exceptionnel pour aider à transformer l'économie des pays de l'Europe centrale et orientale», prend un relief particulier. La BERD est, de fait, la seule institution financière internationale exclusivement dédiée à la transition.

En conséquence, les chefs d'État et de gouvernement ont logiquement appelé à une extension de son mandat géographique, étant entendu que la solidité financière de la banque permet cette extension sans incidence sur ses engagements stratégiques actuels dans les pays où elle intervient.

Son mandat n'a pas changé en vingt ans. Son capital est désormais détenu par 63 membres (61 pays, certains non régionaux, auxquels s'ajoutent la Commission européenne et la Banque européenne d'investissement).

Son champ d'intervention n'a cessé d'être étendu. Depuis sa création, le nombre de pays n'a cessé de croître, passant de 8, initialement, à 30 aujourd'hui, notamment du fait de l'éclatement des diverses entités de l'Europe centrale à l'Asie centrale. Le dernier pays ayant ainsi bénéficié des engagements de la BERD est la Turquie, depuis 2008.

L'entrée de ces nouveaux États parmi les bénéficiaires des opérations de la banque n'a pas justifié de modification de l'accord constitutif. En effet, l'article 3 de cet accord prévoit expressément que le Conseil des gouverneurs est fondé à admettre les États européens. L'entrée de la Mongolie en 2004 avait en revanche nécessité un premier amendement à l'Accord.

A la différence notable des autres institutions régionales de développement dont le mandat est plus large, la Banque prend divers types de mesures essentiellement orientées vers le soutien du secteur privé. Sur les deux premières décennies de son activité (1991-2010), le bilan cumulé de la BERD est conséquent. Ses engagements cumulés ont atteint en 2010 un total de près de 62 milliards d'euros.

Selon le dernier bilan disponible, la BERD a réalisé en 2010 un volume d'opérations de 9 milliards d'euros, supérieur de 13 % à celui de 2009, année exceptionnelle qui avait vu une progression de 55 % pour amortir les effets de la crise financière, la banque faisant, à cet égard, preuve de sa grande réactivité.

Compte tenu de l'urgence, un plan d'action immédiat a été décidé.

Par rapport aux déclarations de Deauville, les montants cumulés s'élèvent à un total de 38 milliards de US$ pour la période 2011-2013. Pour relativement modeste qu'elle paraisse en volume (2,5 Mds de $), l'intervention de la BERD devrait néanmoins apporter une valeur ajoutée à l'intervention de l'ensemble des bailleurs, pour plusieurs raisons qui tiennent à l'expérience qu'elle a acquise.

D'abord, la présence de la BERD induit un effet de levier non négligeable, -un euro BERD attire en moyenne 1,5 euro de financements privés-, elle est donc capable de mobiliser d'autres investisseurs autour des projets qu'elle soutient.

Ensuite, conformément à son mandat, l'action de la Banque dans ses pays d'opérations est orientée vers le soutien à l'initiative privée et aux entreprises, bien davantage que vers les investissements directs des États ou des collectivités publiques. Aujourd'hui, prés de 85 % de son portefeuille sont constitués de prêts ou autres prises de participations dirigés vers le secteur privé. Cette expertise unique parmi les institutions financières internationales rend son intervention particulièrement bienvenue.

Les modalités d'action de la Banque prévoient, en outre, une assistance technique importante aux entreprises bénéficiaires de son aide. A l'instar d'autres institutions, elle assure un suivi de ses prêts dans toutes les phases du déboursement, notamment par l'intermédiaire d'ingénieurs spécialisés ou de consultants.

Enfin, l'implication de la BERD devrait permettre la création de synergies et la montée en puissance d'autres acteurs traditionnels qui pourront bénéficier, en tant que partenaire, de son expertise pour développer leurs propres compétences, comme la Banque africaine de développement.

En premier lieu, le Partenariat de Deauville a prévu « la création d'un fonds de transition dédié qui permet à la Banque de lancer ses opérations dès que possible, au profit des pays bénéficiaires prévus ». Sur la base de cette décision de principe et sans qu'il soit besoin d'attendre les modifications à l'Accord, une première phase d'assistance technique a démarré. Son budget, d'un montant de 60 millions d'euros, est financé pour un tiers par la BERD.

Dès que la ratification à la majorité qualifiée de l'amendement de l'article 18 de l'accord sera effective, une seconde phase, transitoire, permettra de financer les premiers projets d'investissements sur Fonds spéciaux. L'ordre de grandeur des moyens qui pourraient être affectés par la BERD à de tels fonds serait de 1 milliard d'euros.

Enfin, une troisième phase permettant de financer les projets d'investissement sur ressources ordinaires débutera dès que l'amendement à l'article 1er de l'accord aura été ratifié à l'unanimité. Le volume d'opérations-cible est estimé à 2,5 milliards d'euros par an pour la nouvelle région d'intervention. Il s'agit d'une estimation globale du volume d'opérations annuel pouvant être réalisé dans la nouvelle zone à moyen terme sans compromettre les ratios prudentiels de l'institution. En outre, l'activité de la BERD est étroitement liée à la demande du secteur privé, qu'il est très difficile d'estimer à ce stade.

En complément de ces aspects, d'importants mécanismes de coordination sont prévus entre tous les intervenants. Des règles de coordination ont donc été nécessaires pour éviter toute contradiction entre les interventions de uns et des autres. Une plateforme de coordination dédiée à la région Méditerranée a ainsi été décidée. Son secrétariat est assuré par la Banque africaine de développement.

J'en viens au dispositif qui nous est soumis. Le 27 juillet 2011, le conseil d'administration de la BERD a approuvé le principe d'une intervention de la banque selon les trois phases décrites dans le plan d'action élaboré lors du sommet du G8 de Deauville. En conséquence, il a soumis au Conseil des gouverneurs trois projets de résolutions correspondant à chacune de ces phases :

- une première résolution a proposé de modifier l'article 1er de l'accord portant création de la BERD pour étendre son champ géographique d'intervention ;

- une deuxième a proposé la modification de l'article 18 de l'accord pour permettre l'intervention anticipée par voie de « fonds spéciaux » ;

- enfin, une dernière résolution a validé l'interprétation de l'accord permettant les interventions préliminaires restreintes dans la région.

Si les résolutions ont été adoptées par le Conseil des gouverneurs le 30 septembre 2011, les amendements au texte fondateur doivent être ratifiés par les pays membres.

L'amendement à l'article 1er propose :

- d'une part, d'étendre le périmètre géographique des opérations de la BERD, en ajoutant aux pays d'Europe centrale et orientale et à la Mongolie «les pays membres de la partie méridionale et orientale du Bassin méditerranéen», sans plus de précision, étant entendu que ce périmètre inclut la Jordanie, qui en avait exprimé le souhait;

- d'autre part, de formaliser les modalités d'acceptation d'un pays de ce périmètre comme pays d'opération par un « vote affirmatif des deux tiers au moins du nombre des gouverneurs, représentant au moins les trois quarts du nombre total des voix attribuées aux membres ».

Les modifications proposées par l'amendement n'identifient pas nommément les possibles bénéficiaires des interventions de la BERD. Il faut par conséquent entendre que pourraient éventuellement être concernés dans le futur, outre les quatre pays - Maroc, Tunisie, Égypte et Jordanie -, d'ores et déjà membres, les autres pays riverains de la Méditerranée. Je comprends que le bénéfice des dispositions de l'accord doit pouvoir être rapidement mis en oeuvre au profit d'un nouveau pays de la région entrant en transition démocratique. On peut craindre toutefois que l'imprécision de la rédaction, puisse entraîner des difficultés le jour où certains États actuels ou à créer dans cette zone conflictuelle demanderont à adhérer ou à bénéficier du statut de pays d'opération.

Néanmoins, les conditions de double majorité offrent aux principaux actionnaires que sont les États membres de l'Union européenne et les membres du G8, la capacité de régler ces difficultés éventuelles au sein du Conseil des gouverneurs, à un niveau politique approprié, les titulaires étant, dans la plupart des cas, les ministres de l'économie et des finances des pays membres.

En outre, l'orientation des instruments vers le secteur privé et les facilités offertes aux populations civiles rendent moins problématique l'élargissement du périmètre des pays d'opérations.

Il convient également de préciser que l'article 8 de l'accord insiste sur le fait que les États bénéficiaires sont invités à promouvoir « l'initiative privée et l'esprit d'entreprise » et à « appliquer, grâce à des mesures concrètes ou autres moyens les principes énoncés à l'article 1er ». Autant d'éléments que le conseil d'administration examine pour éventuellement suspendre ou modifier l'accès aux ressources de la banque d'un État qui « mettrait en oeuvre une politique incompatible avec l'article 1er ».

Selon le rapport annuel de la BERD, dans les pays où l'application des principes de l'article 1er est préoccupante, la Banque a adopté une « approche stratégique graduée ». Des mesures de limitation des engagements peuvent être décidés, notamment lorsqu'il s'agit de soutenir des projets gouvernementaux ou d'entreprises liés au pouvoir en place, comme cela a été décidé à l'encontre de l'Ouzbékistan à une date récente. La Biélorussie et le Turkménistan font l'objet d'une surveillance particulière.

L'amendement proposé à l'article 18 vise à permettre l'intervention anticipée, mais partielle de la banque, dans des pays qui ont vocation, à terme, à être pays bénéficiaire, au sens de l'article 1er, par le biais de « Fonds spéciaux », dont les procédures de mise en oeuvre sont plus rapide. Il prévoit notamment que « le Conseil des gouverneurs peut, à la demande d'un membre qui n'est pas un pays bénéficiaire, décider que ledit membre se qualifie comme pays bénéficiaire potentiel pour une période limitée et selon des conditions à déterminer.

Les conditions de vote prévues sont identiques à celles introduites à l'article 1er dans l'amendement précédent. Il est toutefois précisé que « la décision de permettre à un membre de se qualifier comme pays bénéficiaire potentiel ne peut être prise que si ce membre est en mesure de répondre aux conditions requises pour devenir pays bénéficiaire », lesdites conditions étant celles, politiques et économiques, énumérées à l'article 1er.

La proposition d'amendement prévoit également la situation d'un pays bénéficiaire potentiel qui ne se serait pas vu reconnaître la qualité de pays d'opération à la fin de la période considérée. Dans ce cas, la BERD cessera immédiatement toute opération spéciale, à l'exclusion de celles « découlant de la liquidation, de la conservation et de la préservation des actifs du Fonds spécial et de l'accomplissement des obligations apparues à cet égard ». En d'autres termes, cet amendement traduit un souci de pragmatisme et d'efficacité pour permettre à la BERD d'intervenir sans tarder. A la différence du précédent, portant sur l'article 1er de l'accord, qui requiert l'unanimité des membres, celui-ci entrera en vigueur lorsqu'il aura été approuvé par les trois quarts des membres représentant les quatre cinquièmes des voix, selon les termes du 1er alinéa de l'article 56. Le blocage éventuel de certains membres n'aura donc pas d'incidence sur l'engagement de la réforme.

En conclusion : dans la mesure où il permet de conforter la transition démocratique en assurant leur stabilité économique, des pays du printemps arabes, dans un cadre multilatéral, l'élargissement du périmètre d'intervention de la BERD me paraît une bonne initiative et une garantie d'efficacité. Il conviendra toutefois d'être attentif à l'évolution politique de ces pays et à leur progression vers un renforcement du pluralisme et de la démocratie. On voit bien aujourd'hui que ces processus sont soumis à de multiples tensions.

Sous réserve de cet appel à une attention vigilante du conseil des gouverneurs de la BERD et de nos représentants à ce conseil, je vous propose d'adopter ce projet de loi. Il me semble, en outre, comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale qu'il pourrait être soumis au Sénat selon la procédure simplifiée.

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