Intervention de Jean-Jacques Lozach

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion
Responsabilité civile du fait des choses des pratiquants sportifs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach, rapporteur :

La présente proposition de loi va conduire la commission à aborder des questions quasiment philosophiques sur l'engagement des responsabilités de chacun pour des dommages liés à l'exercice d'une activité en commun, sur le risque acceptable lorsque l'on participe à une manifestation sportive et sur la place que doivent avoir les assurances dans le monde du sport, voire dans la vie de tous les jours. Peut-on indemniser tous les risques ? Qui doit le faire ? Telles sont les questions que nous sommes amenés à nous poser.

Si ces enjeux sont d'importance, ne nous y trompons pas, la disposition qui nous est proposée aujourd'hui par l'Assemblée nationale n'est pas un bouleversement copernicien. Il s'agit d'un ajustement, destiné à alléger le poids financier qui menace certaines fédérations sportives ou organisateurs d'événements depuis un revirement jurisprudentiel de novembre 2010. Il faut être modeste, le dispositif sur lequel je vous apporterai des éclairages dans quelques instants règle un problème spécifique, et je vous proposerai plutôt d'y adhérer, mais ne met pas un point final au débat, sur lequel nous reviendrons assurément dans les prochaines années.

Si cette proposition de loi n'est pas une réponse définitive à la question de la prise en charge des risques dans le sport, elle est en revanche un support utile afin de régler quelques problématiques ponctuelles, mais urgentes, en cette fin de législature.

En outre, un enjeu important a été identifié à l'Assemblée nationale, celui de la revente illicite de billets pour les manifestations culturelles.

La loi relative à l'éthique du sport et aux droits des sportifs a créé, à l'initiative de notre commission, un délit pénal de revente de billets pour des manifestations sportives afin d'éviter à la fois les risques liés aux mouvements de supporters mal placés dans les stades du fait de l'achat illicite de billets et celui de la spéculation sur l'accès aux stades, avec l'intervention d'intermédiaires qui achètent et revendent des places au détriment des spectateurs et des organisateurs.

L'Assemblée nationale a repris la disposition quasiment dans les mêmes termes en l'étendant aux billets pour les manifestations culturelles et commerciales, estimant que des agissements similaires étaient constatés au détriment de l'accès de tous à la culture. Elle a ainsi supprimé la disposition introduite dans le code du sport, afin de proposer un dispositif global dans le code pénal applicable à tous les types de manifestations.

L'article 2, qui fait l'objet de cette disposition, pourrait certainement être encore amélioré. On pourrait débattre à l'infini des mots et terminologies utilisés. Je crois cependant que cette question mérite d'être définitivement tranchée. La revente habituelle de billets a une visée forcément spéculative et nuit grandement à l'image du sport et de la culture. Cette nouvelle infraction pénale est claire et aura, à n'en point, douter son utilité. Je vous propose d'adopter l'article conforme. Je vous proposerai seulement de simplifier l'intitulé de la proposition de loi tout en conservant l'idée qu'elle concerne également les manifestations culturelles.

L'un des autres enjeux qui mérite, à mon sens, que l'on légifère est celui du dopage. Il n'est bien évidemment pas question d'insérer dans ce texte des dispositions qui modifieraient trop profondément le visage de la lutte antidopage. On ne peut, à mon avis, qu'apporter de légères retouches à notre architecture juridique. Certains petits aménagements sont cependant importants, et notamment celui qui concerne le passeport biologique. Le code mondial antidopage permet aujourd'hui aux laboratoires accrédités d'établir à des fins d'antidopage le profil des paramètres urinaires ou sanguins des sportifs. Concrètement, il s'agit de détecter la prise de produits dopants grâce au caractère anormal de l'évolution des paramètres suivis. Le dopage est ainsi démontré non par la détection d'un dépassement de limites standard applicables à tous les athlètes, mais par la détection d'un dépassement des limites individuelles de chacun.

L'Union cycliste internationale (UCI) a déjà sanctionné des sportifs sur cette base. Des pays comme l'Allemagne et la Suisse l'utilisent aussi, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a validé également cette méthode. Il s'agit d'une des pistes les plus intéressantes pour améliorer l'efficacité de la lutte antidopage et je crois que la France devrait s'y engager. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement visant à autoriser l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) à effectuer des prélèvements en vue d'établir le passeport biologique des sportifs de haut niveau, des sportifs espoirs et des sportifs professionnels.

Cela permettra, dans un premier temps, de réaliser les contrôles de manière mieux ciblée.

Revenons maintenant sur l'article 1er, qui mérite une attention particulière du fait de sa technicité et sur lequel devrait avoir lieu le principal des débats, notamment du fait des amendements de notre collègue Ambroise Dupont.

Quelle était la situation en matière de responsabilité civile dans le domaine sportif il y a un peu plus d'un an ?

Notons immédiatement que l'on ne parle dans cette proposition de loi que de l'article 1384 du code civil relatif à la responsabilité du fait des choses : il s'agit donc des accidents de voiture dans la pratique du sport automobile, mais aussi d'un dommage lié à une arme en escrime, voire à un ballon dans un sport collectif. En revanche, on ne parlera pas des accidents liés à un contact physique direct entre sportifs, lesquels ne sont pas concernés par la proposition de loi.

Le droit était relativement clair : s'il arrivait un accident du fait d'une chose à un pratiquant sportif, deux situations étaient distinguées.

Première situation : on était seulement à l'entraînement et le sportif n'avait donc pas accepté de risque particulier. Le sportif devait être indemnisé du dommage subi. La faute n'avait pas besoin d'être prouvée, la responsabilité de celui qui est gardien de la chose était « de plein droit » dit-on en droit civil, ou « sans faute » dirait-on en droit public. Celui ayant subi le dommage se retournait donc vers le gardien de la chose pour obtenir réparation des dommages subis, qu'ils soient matériels ou corporels. Le plus souvent, cette personne était assurée via l'existence d'une licence fédérale qui prenait en charge l'indemnisation. Toutefois, la personne n'était pas forcément détentrice d'une licence, ce qui pouvait rendre la mise en cause du gardien de la chose injuste et l'indemnisation difficile.

Deuxième situation : on était en compétition, et le sportif avait donc accepté un risque lié à la pratique de son activité sportive. La responsabilité de plein droit du fait des choses n'était pas acceptée par le juge et aucune indemnisation n'était prévue en cas de dommage.

Cette situation était très compréhensible du point de vue théorique : il peut paraître étrange qu'un sportif, qui n'a commis aucune faute, doive indemniser un dommage provoqué par une chose dont il a la garde alors qu'il ne doit pas, en revanche, indemniser un dommage qu'il a provoqué directement.

Du point de vue de l'indemnisation des victimes, les choses étaient différentes : en effet, l'indemnisation des dommages corporels va dans le sens de l'Histoire et il semble compliqué de ne pas indemniser une personne devenue paralysée en lui disant qu'elle a accepté ce risque.

Certes, c'est la solution qui est maintenue dans le cas des activités qui ne mettent en jeu aucun objet, ou bien sûr lorsqu'une personne se blesse elle-même dans le cadre d'une activité sportive. Mais le juge a profité de l'existence d'une responsabilité de plein droit du fait des choses prévue à l'article 1384 du code civil pour trouver une base à l'indemnisation de la victime.

La Cour de cassation a donc opéré un revirement dans le but de répondre à une demande sociale d'indemnisation des dommages corporels. On peut le comprendre.

Toutefois, animée par un souci légitime d'assurer une indemnisation des victimes, la décision de la Cour a aussi des conséquences pernicieuses :

- les dommages matériels devront également être indemnisés, ce qui n'était clairement pas l'objectif recherché ;

- les risques de fraude sont fortement augmentés. Je vous rappelle que les fédérations sportives sont soumises à l'obligation de garantir la responsabilité civile de leurs pratiquants. Ainsi, pour obtenir sans frais des réparations matérielles, il serait très facile pour un sportif de s'arranger avec un autre sportif déclarant être à l'origine du dommage pour déclencher l'indemnisation par l'assurance de la fédération ;

- les fédérations de sports mécaniques et de nautisme, dans un premier temps, sont et seront confrontées à un risque d'inassurabilité parce qu'elles ont l'obligation légale d'assurer la responsabilité civile de leurs pratiquants ;

- enfin, plus profondément, nous assistons là à un risque de judiciarisation croissant des rapports entre les pratiquants d'une activité sportive, au détriment de ses valeurs profondes. L'objet du sport est, en effet, de participer à une activité de manière conviviale et solidaire et non pas de se quereller juridiquement autour de dommages occasionnés par sa pratique.

Que propose le présent article 1er ?

Tout simplement de définir un nouvel équilibre permettant de maintenir des garanties pour les victimes tout en évitant une explosion des primes d'assurance des fédérations, grâce à l'exclusion de l'indemnisation des dommages matériels.

L'atteinte aux personnes serait donc indemnisée mais la voiture abîmée pendant une course automobile ou les lunettes cassées pendant un match de football ne seraient pas indemnisées par l'auteur du dommage.

Les pratiquants exonérés de responsabilité seront ceux qui font du sport sur un terrain dédié, l'idée étant que la victime présente sur un terrain de jeu a accepté les risques matériels liés à l'exercice de son activité.

J'estime que cet équilibre est satisfaisant et vous proposerai d'adopter cet article sous réserve de l'adoption de l'un des amendements de M. Dupont qui apporte une précision utile.

Cet article, comme je pense l'avoir montré, ne règle cependant pas tous les problèmes liés à l'application de la responsabilité civile de droit commun en matière sportive, loin s'en faut. Le Gouvernement a déclaré à l'Assemblée nationale qu'il réfléchirait à la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour les dommages corporels. Je vous proposerai d'adopter un amendement portant article additionnel imposant au Gouvernement de mener une réflexion globale sur ce sujet et d'y associer le mouvement sportif.

Sous réserve de l'adoption des amendements que j'ai évoqués, je vous proposerai en conclusion de voter la présente proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion