La commission des affaires européennes s'est penchée sur les marchés publics mais n'a pas souhaité se prononcer sur les conflits d'intérêts, sujet qui a beaucoup occupé notre commission ces dernières années. La résolution établie par M. Piras concerne trois propositions de directives, l'une sur les concessions de service, les deux autres sur les conditions de passation des marchés publics en général et dans les domaines de l'eau, des transports, de l'énergie, etc.
La proposition de directive sur les concessions de service a suscité une réprobation et un refus général, car son cadre juridique est contraignant au point d'affaiblir la capacité de négociation des autorités concédantes. La directive serait en outre source d'ambiguïté quant aux concessions d'EDF.
De leur côté, les propositions de directive sur les marchés publics comportent des points positifs. Ainsi, les petites entreprises pourraient bénéficier de formalités allégées, comme la faculté de fournir certains documents non plus avant, mais après la sélection des offres. Nous voyons en outre apparaître des dispositions favorisant l'environnement, comme la possibilité de prendre en compte le coût du cycle de vie des services, produits ou travaux à acheter. Il sera également possible d'exclure du marché les soumissionnaires qui ne respecteraient pas les normes environnementales ou sociales de l'Union européenne. Mais d'autres dispositions sont insatisfaisantes, comme les difficultés induites pour les collectivités territoriales par l'encadrement des partenariats public-public entre collectivités.
J'en viens au coeur du sujet : les conflits d'intérêts. La Commission européenne veut définir cette notion et faire de l'absence de tels conflits une condition de régularité des marchés. À cette fin, la proposition de directive sur les marchés publics comporte une obligation de déclaration à charge de toute personne ayant une influence sur l'adjudication. Cette déclaration énumérerait tous les intérêts privés directs ou indirects, personnels, familiaux, sentimentaux ou politiques des intéressés. Cette formulation pose des problèmes quant au respect de la vie privée : déclarer une liaison extraconjugale intéresserait sans doute nos ex-Renseignements généraux, mais faut-il en faire une nécessité pour les marchés publics ? Par liens « sentimentaux », faut-il entendre aussi la simple amitié ? Les liens d'intérêt politique interdiraient-ils à un élu de signer un marché avec une entreprise dont un dirigeant serait membre du même parti ?
Il reste toutefois que cette approche du sujet a le mérite d'aborder ce que j'appellerai « le conflit perçu ». La réflexion sur ce sujet mérite d'être engagée, mais pas au détour de cette directive aboutissant à ce que les conflits d'intérêts apparents soient susceptibles d'avoir des conséquences sur la validité du contrat mais, dans l'intention de la commission, pas sur le plan pénal. En droit français, le conflit d'intérêts n'est pas défini ; notre code pénal reconnaît cependant la prise illégale d'intérêts, le favoritisme, la corruption... La directive comporte dès lors un risque de débordement du contentieux pénal dans les juridictions administratives. En outre, nous ne pouvons nous satisfaire de notions comme l'intérêt familial ou sentimental, qui sont floues et imprécises.
La proposition de directive dispose que, si un conflit d'intérêts était déclaré ou découvert, il faudrait saisir une autorité de contrôle, dont le rôle n'est d'ailleurs pas clairement défini : conseil, information, sanction avec transmission éventuelle à la justice ?
Pour ces raisons, je vous propose un amendement tendant à obtenir que les conflits d'intérêts soient définis d'une façon objective, claire et proportionnée.
Nous devrons reprendre la réflexion sur ces sujets, en prenant en compte, dans un projet ou une proposition de loi, les conflits directs ou indirects, apparents ou cachés. Veillons à ne pas nourrir la suspicion de nos concitoyens.