Nous avons souhaité cette année rendre public le rapport un peu plus tôt que les années passées afin de placer les sujets dont il traite en dehors de toute polémique liée aux prochaines échéances électorales. Parmi les éléments de contexte, je voudrais indiquer que nous avons effectué au 31 décembre de l'année passée 151 visites, ce qui nous permet désormais d'accumuler une réelle expérience sur les lieux d'enfermement. Nous avons aussi, pour la première fois en 2011, procédé à des visites systématiques dans différents établissements sur un même thème de sorte de pouvoir établir des comparaisons, notamment s'agissant du travail pénitentiaire. S'agissant des saisines, nous avons reçu, en 2011, 3 800 lettres qui concernent pour l'essentiel des établissements pénitentiaires et proviennent pour les trois quarts des personnes détenues elles-mêmes -mais encore trop peu, je le regrette, de leurs avocats. Je suis également très soucieux de la transparence de notre institution et je signale à cet égard que les dépenses de communication représentent 0,5 % de notre budget.
Les personnes privées de liberté sont parfois soumises à un certain nombre de pressions ou de tentatives d'intimidation de la part des agents qui en ont la garde visant à les dissuader de nous saisir. Je note également un sentiment d'impatience au regard des attentes suscitées par nos interventions. J'indique également que depuis quelques jours nous sommes en rupture avec un des principaux syndicats de l'administration pénitentiaire. Le contexte institutionnel de notre action a été marqué par la signature d'une convention avec le Défenseur des droits afin d'articuler de la manière la plus harmonieuse nos actions respectives. Je rappelle enfin que 836 000 personnes prennent chaque année le chemin d'un lieu de privation de liberté.
Parmi les thèmes qu'il nous a paru nécessaire de traiter plus particulièrement dans le rapport, figure en premier lieu la traçabilité. Nous sommes préoccupés d'un côté de l'insuffisance de traçabilité de certaines mesures de contraintes telle que la mise à l'isolement des personnes dans les hôpitaux psychiatriques et, de l'autre, du développement d'outils comme les fichiers nominatifs auxquels les personnes privées de liberté n'ont accès que dans des conditions imparfaites. Ainsi, les personnes détenues pourront-elles avoir connaissance des données contenues dans le cahier électronique de liaison, qui les concernent ? Selon nos informations, seules des données expurgées pourraient leur être communiquées, ce qui est tout à fait contraire à la loi informatique et libertés du 6 juillet 1978.
Si les personnes privées de liberté conservent leurs droits sociaux, elles n'en ont pas toujours la garantie effective. Tel est le cas, en particulier, lorsqu'elles doivent justifier de leur identité auprès des caisses d'assurance maladie alors même qu'il est difficile d'établir des documents d'identité en détention. Par ailleurs, la reconnaissance de la qualité d'ayant-droit d'une personne privée de liberté implique le rapprochement, souvent difficile en pratique, des caisses primaires d'assurance maladie.
Nous nous sommes également intéressés au travail en détention. Selon nos estimations, 27,7 % des personnes détenues travaillent et seule la moitié d'entre elles est effectivement appelée chaque jour au travail. En outre, les rémunérations ne sont pas conformes à ce que prévoit la réglementation : au sein d'un centre de détention, 35 à 40 % de personnes perçoivent un salaire inférieur au minimum prévu, au sein d'une maison d'arrêt, cette proportion s'élève environ à 90 %.
J'en viens aux fouilles en détention. Si la loi pénitentiaire a subordonné l'organisation de fouilles intégrales à l'existence d'un risque particulier, la circulaire du 14 avril 2011 a procédé à un glissement contraire à l'esprit de la loi en retenant que certaines situations étaient risquées par nature. Il en est ainsi par exemple du retour en détention d'une personne après un parloir. Sans doute la personne détenue d'apparence la plus innocente est-elle susceptible de porter avec elle un produit illicite dans la mesure où elle peut faire l'objet de pressions de la part d'un codétenu. Néanmoins, dans ces conditions, la systématisation des fouilles apparaît comme un aveu de faiblesse d'une administration impuissante à mettre fin à ces rapports de force entre personnes détenues.
Parmi les facteurs de transformation de la politique pénitentiaire, je voudrais souligner la prévention de la récidive qui semble prévaloir sur l'objectif de réinsertion. J'en vois le témoignage dans la réduction des crédits affectés à la formation professionnelle et aux activités socioculturelles. J'observe également le déclin du travail social. La priorité donnée à l'évaluation de la dangerosité ainsi que la massification des conditions de détention contribuent, à mon sens, à l'affaiblissement des efforts en faveur de la réinsertion.
Je souhaiterais dire quelques mots des considérations finales du rapport. Vous verrez que l'un des chapitres de ce document est consacré à la « désinvolture administrative » : j'ai eu le regret de constater que certaines administrations avaient une fâcheuse inclination à jouer avec la réalité, d'une part, avec la loi, d'autre part. Cela est tout à fait regrettable : la loi s'impose avant tout aux administrations chargées de la faire appliquer !
S'agissant du suivi des recommandations que nous avons formulées au cours des années passées, nous constatons avec satisfaction qu'un certain nombre d'entre elles ont été suivies par le législateur : la loi sur la garde à vue a inclus des dispositions sur la dignité des personnes ; la loi sur les soins sans consentement a encadré les conditions de l'hospitalisation d'office ; j'ai également noté avec grand intérêt que l'Assemblée nationale avait voté une proposition de loi relative au rapprochement des détenus de leurs familles. S'agissant de l'administration centrale, les choses évoluent également : un rapport de l'IGAS sur les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) a repris un certain nombre de nos observations ; certaines préconisations concernant la détention et les biens des détenus ont été prises en compte. En revanche, un rapport de l'IGAS daté de février 2011 a recommandé, à propos des hôpitaux psychiatriques, un renforcement des dispositifs de sécurité de ces établissements qui nous paraît excessif par rapport à la réalité des risques encourus. S'agissant enfin du niveau local, de nombreux chefs d'établissements se sont appuyés sur nos recommandations pour réaliser des investissements ou obtenir des modifications de procédures : des cages grillagées ont disparu d'une maison d'arrêt ; un dortoir indigne a été fermé le soir même de notre visite ; le permis de construire du centre pénitentiaire de Nouméa a été enfin délivré, etc. D'autres sujets, en revanche, attendent toujours une issue, comme le statut de l'infirmerie de la préfecture de police de Paris.
En conclusion, je veux rappeler que, depuis l'origine, nous avons obtenu de l'ensemble des autorités - politiques comme administratives - un dialogue constant et transparent. Nous n'avons certes pas obtenu gain de cause sur tous les points, mais il est essentiel que ce dialogue se poursuive.