Concernant le droit à l'image, et particulièrement la question de la diffusion du documentaire de Catherine Réchard intitulé « Le déménagement », laissez moi vous dire que le problème s'est posé, dans les mêmes termes, pour le film « À l'ombre de la République », qui suit les équipes du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous nous sommes heurtés, nous aussi, à l'administration pénitentiaire...
Alors que nous avions l'accord de toutes les personnes filmées pour une diffusion des images non-floutées, l'administration pénitentiaire a exigé que les visages soient brouillés, et ce, sans justification aucune. Or, la loi du 24 novembre 2009, qui pour moi n'appelle aucune critique, prévoit que l'administration pénitentiaire ne peut s'opposer à la diffusion d'images que si cela s'avère nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion de la personne concernée. En l'espèce, elle n'a apporté aucune justification de ce type. L'administration pénitentiaire a donc méconnu la loi.
Sur le sujet des nouvelles prisons, c'est surtout dans le rapport de 2010 que j'ai dénoncé ce que j'ai appelé « l'industrialisation de la captivité ». Pour les personnes détenues, cela signifie une prise en charge de moindre efficacité et un isolement accru du fait de l'absence de relations humaines, lié notamment à la difficulté de circuler dans ces établissements, en particulier pour les personnels. En effet, leur architecture empêche les surveillants des différents étages de se voir. Ils ne montent plus dans les coursives car ils craignent, à juste titre, d'y aller seuls. Ils ne répondent plus aux appels des détenus, ce qui conduit inévitablement à un renforcement de l'agressivité et de la violence. Si l'on compare, nous ne l'avons pas encore fait, les manifestations violentes dans les anciens et dans les nouveaux établissements, on sera frappé par les différences qui sautent aux yeux.
Nous nous sommes créé, à moyen et long terme, des problèmes de gestion dans ces prisons. J'ajoute que j'ai visité un établissement nouveau où aucun surveillant ne voulait être affecté. L'administration a dû mobiliser toute une promotion de l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) pour occuper les postes. Il a fallu gérer 800 détenus qui ne se connaissaient pas entre eux, et des surveillants sans expérience, qui ne se connaissaient pas davantage. Ça a été une année extrêmement difficile pour cet établissement pénitentiaire. Il faut renoncer à ce modèle de prison.
Sur la question de la rétention de sureté, on ne peut pas dire que la première prise en charge sur ce fondement, en décembre 2011, ait été une réussite... Il n'y a pas eu assez de préparation dans la prise en charge de cette personne. Une série de questions s'est posée en matière de soin, en matière de parloir éventuel... l'administration pénitentiaire y a répondu comme elle a pu, au coup par coup. Il y a donc encore beaucoup de progrès à faire en la matière. On peut d'ailleurs s'interroger sur le bien fondé même de cette mesure.
Quant à Mayotte, l'administration pénitentiaire vient de décider un élargissement substantiel de l'établissement pénitentiaire de Majicavo. Il devrait donc y avoir de sensibles améliorations, dans les prochains mois, pour cette maison d'arrêt construite, pardonnez-moi l'expression, « à la coloniale » avec les cellules donnant sur la cour.
Sur le centre de rétention administrative, en revanche, rien ne bouge. Il y a déjà plus de trois ans, en décembre 2008, il m'avait été assuré qu'un nouveau centre allait être construit. Or, pour l'instant, rien n'a été fait. Il s'agit pourtant d'un centre dans lequel, si la durée de rétention est brève, elle se déroule dans des conditions épouvantables.
Pour répondre ensuite à M. Lecerf, sur la transparence de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, la création du contrôleur des lieux de privation de liberté en 2007 a permis d'améliorer la transparence. Le seul fait que l'administration n'ait plus le monopole du savoir sur les établissements qu'elle gère marque déjà un recul de l'opacité.
Quant aux régimes de détention différenciés, ils sont l'expression du moindre intérêt porté à la réinsertion au profit de l'évaluation du risque de récidive et de la dangerosité des personnes détenues. À partir du moment où on cherche à identifier un profil de personnes, on justifie que leur traitement carcéral soit différent. Cette différenciation des régimes de détention va probablement s'accentuer.
Plus prosaïquement, il y a d'autres dangers. Le premier de ces dangers consiste à utiliser ces mesures comme sanctions disciplinaires, alors qu'elles ne présentent aucune garantie pour le détenu et relèvent de la seule responsabilité du chef d'établissement, sans consultation des commissions de discipline.
La deuxième dérive découle du fait qu'il y a, dans ces régimes fermés, un véritable mélange des genres. Elles sont demandées par certains détenus pour être protégés des agressions des autres détenus, mais elles sont aussi de véritables mesures de punition. Dans certains établissements, on met systématiquement en régime fermé, les détenus qui sortent de quartier disciplinaire.
J'ai vu des établissements où ces mesures ne dépassaient pas 15 jours et servaient d'avertissement « ante disciplinaire » mais c'est l'exception. J'ai surtout vu des régimes fermés « post disciplinaires » ou « para disciplinaires ». Finalement, on peut se demander ce que recouvre ce régime et quelles sont ses conditions de mise en oeuvre, d'autant que le juge administratif s'est déclaré incompétent pour connaitre des décisions de placement, ce que je regrette énormément.
Le principal problème est donc celui du passage entre les divers régimes de détention, marqués par différents degrés d'ouverture, au sein de chaque établissement.
Concernant le problème de la maladie mentale en prison, l'administration pénitentiaire peut le traiter de cinq manières différentes : le traitement médicamenteux, dont bénéficient 15 % à 20 % du total des détenus ; le transfèrement dans l'un des services médico-psychiatriques régionaux, qui ne peuvent accueillir que 20 à 30 volontaires ; l'hospitalisation d'office destinée aux personnes les plus gravement malades ou ayant fait une tentative de suicide - elle est en hausse de 50% sur quatre ans et peut constituer pour l'administration pénitentiaire une manière de se défausser de sa mission de prévention du suicide ; l'internement dans l'établissement de Château-Thierry : à cet égard je suis favorable à la création d'un deuxième établissement de ce genre, bien que nous n'ayons pas de garantie que sa direction et son personnel adopte les pratiques qui, selon moi, font le succès du premier ; les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), dont la deuxième vient d'ouvrir à Nancy. Ces solutions sont largement insuffisantes et le problème des 17 000 malades mentaux en prison subsiste.
Concernant le travail carcéral, certains investissements remarquables ont été accomplis, notamment par le MEDEF. Toutefois, les entreprises offrant de moins en moins de travail faiblement qualifié, on observe globalement une diminution très dommageable du travail en détention.
Je regrette que la circulaire relative aux fouilles corporelles n'ait pas été attaquée. Seule une exception d'illégalité pourra être soulevée à son encontre à l'occasion d'un recours d'un détenu contre un acte de fouille. La solution la plus simple serait de reconnaître que cette circulaire est contraire à la loi.
Par ailleurs, il convient de souligner qu'il y a, en détention, davantage de souffrance « existentielle » chez les femmes que chez les hommes, notamment parce qu'il y a de nombreuses mères séparées de leurs enfants. Les femmes détenues travaillent également moins souvent que les hommes : dans la mesure où elles constituent une minorité dans les établissements, ce sont en général les hommes qui bénéficient de l'implantation d'un atelier. En revanche, les tensions, les violences et les agressions, quoique réelles, sont moins prégnantes chez les femmes. Je mène actuellement une étude sur la répartition par sexe des permis de visite. Il semble que les deux tiers des visiteurs autorisés soient des femmes. Au-delà d'une simple corrélation avec le nombre supérieur d'hommes en détention, il est patent que les femmes sont plus nombreuses à prendre en charge leurs hommes incarcérés que l'inverse.
S'agissant des mineurs, soulignons d'abord qu'il n'y a pas de quartiers mineurs pour femmes, les femmes mineures étant détenues dans le quartier des majeures, ce qui pose d'ailleurs certains problèmes. De manière plus générale, je rappelle que je partage les conclusions du rapport de MM. Peyronnet et Pillet sur les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs.
Pour répondre à Mme Catherine Tasca, je constate une tendance forte du législateur, au cours des vingt dernières années, à mettre l'accent sur la dangerosité des détenus, dans l'espoir de mettre fin à la souffrance engendrée par certains crimes abominables. Pour m'exprimer franchement, je crois qu'il s'agit d'une illusion, dans la mesure où aucune analyse psychiatrique de la personnalité ne revêt véritablement de caractère prédictif. Ainsi, si environ 2% des violeurs récidivent, il est tout-à-fait impossible de repérer par avance deux récidivistes parmi cent condamnés. J'estime que nous abandonnerons cette optique lorsque nous nous rendrons compte que nous vendons des illusions à l'opinion publique.
Concernant les établissements nouveaux, les personnels sont du même avis que les détenus : bien que leur vétusté soit réelle, les anciennes prisons sont familiales alors que les nouvelles sont totalement anonymes.
Sur les maladies de longue durée, nous avons constaté que les soins d'urgence sont convenablement assurés, tout comme le traitement des maladies bénignes, nonobstant l'utilisation peut-être systématique du doliprane...
En revanche, la prise en charge des affections de longue durée, de plus en plus fréquentes à mesure du vieillissement progressif de la population carcérale et de la formation, dans chaque établissement, d'un noyau de personnes très âgées, est très défaillante. Ainsi, il est impossible d'avoir des dates précises d'extraction pour les séances de chimiothérapie, qui exigent pourtant une telle précision. Pour les lombalgies, il faut plusieurs mois pour obtenir un matelas supplémentaire. Les personnes se sentent souvent abandonnées.
S'agissant des fouilles, ce n'est pas pour des raisons de sécurité mais parce qu'elles sont essentielles pour maintenir leur autorité sur les détenus, que les surveillants sont très attachés aux fouilles systématiques. D'ailleurs, ces fouilles n'empêchent pas les règlements de compte ou le racket entre détenus. Lorsque la prison n'est pas en mesure de faire régner l'ordre public, il y a lieu de s'inquiéter.
Pour répondre à M. Patrice Gélard, je rappelle que les crédits de la formation professionnelle sont en baisse et que l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) s'est retirée l'année dernière des établissements pénitentiaires à cause d'une agression dont a été victime l'un de ses agents, ce que je regrette vivement. Par ailleurs, nous n'avons pas encore fait de bilan des unités d'enseignement. En revanche, il convient de souligner l'effet très positif des cours de Français « langue étrangère », qui apportent une indispensable connaissance de la langue à des détenus étrangers. Il existe toutefois globalement un déficit dommageable de formation.
Quant à l'avenir de l'institution du contrôleur général, c'est vous qui en déciderez. Je crois vous avoir dit, avant ma nomination en mai 2008, qu'il faudrait reconsidérer tôt ou tard son existence à l'aune des résultats obtenus. Pour les personnes en détention, il est difficile de s'adresser au défenseur des droits et l'un des grands intérêts de mon institution est de pouvoir effectuer des visites préventives, sans attendre les plaintes. C'est pourquoi je crois souhaitable de conserver cette institution.
Il n'existe pas d'étude sur la concurrence entre le travail pénitentiaire et le travail protégé. A l'évidence, il s'agit exactement du même genre de travail : façonnage, conditionnement, etc. L'implantation d'un établissement de très forte capacité dans un bassin d'emploi est problématique non seulement pour le travail protégé, mais pour le bassin d'emploi lui-même. Ou bien en effet le travail pénitentiaire est pleinement développé, et, s'agissant d'une région faiblement industrialisée, l'établissement affectera fortement le bassin d'emploi, ou bien le travail pénitentiaire ne fait pas concurrence mais alors il n'y aura pas de travail en prison. L'administration pénitentiaire devrait ainsi inventorier au préalable le bassin d'emploi dans lequel un nouvel établissement est implanté.
Le rapport présente les chiffres de l'hospitalisation d'office. Si celle des détenus a augmenté de moitié en quatre ans, celle des autres personnes a augmenté du tiers dans le même temps. L'hospitalisation à la demande d'un tiers est stable sur la période, mais l'hospitalisation d'office à la demande de l'autorité publique est en très forte augmentation depuis quelques années.
Notre appréciation des CEF est nuancée du fait de la grande diversité des situations que nous avons rencontrées : ils peuvent être un bon instrument s'il y a des éducateurs de qualité, si le projet éducatif est bien élaboré et si le soutien de la médecine de ville, des entreprises, des enseignants, etc., est réel. Ces conditions sont loin d'être toujours réunies. Ainsi, le CEF visité par le Président de la République le 9 septembre dernier a dû fermer quelques semaines plus tard. En revanche, certains CEF fonctionnent parfaitement bien. Je pense que le pari des CEF peut être gagné si la protection judiciaire de la jeunesse est très sévère sur les critères d'ouverture de ces établissements.
Pour répondre à Jean-Jacques Hyest, à chaque fois que nous rentrons dans un établissement, nous procédons désormais à un relevé systématique des prix de cantine, que nous comparons aux prix pratiqués dans les supermarchés des environs. Depuis le 1er janvier 2010, l'administration pénitentiaire veille à ce que ces prix, en particulier ceux des gestionnaires privés, présentent en moyenne un écart maximal de 10 % avec ceux du supermarché voisin. Toutefois, les prix varient également selon qu'il s'agit de la cantine des produits ordinaires, de la cantine d'urgence, de la cantine de Noël et du ramadan ou de celle permettant l'achat d'un ordinateur. Il reste que le prix d'un ordinateur en prison reste le double de celui du même ordinateur vendu à l'extérieur.