La réforme Bâle III, nécessaire, comporte des enjeux importants pour le financement de l'économie. Sa mise en oeuvre doit donc se faire en tenant compte des impacts qu'elle peut avoir sur l'activité économique. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de faire un point d'étape sur cette réforme et de présenter les principaux points d'attention de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP). Après un bref rappel du dispositif Bâle III lui-même, je reviendrai sur le « calibrage » de la réforme ainsi que les conséquences possibles de cette dernière sur l'économie, avant de terminer par les questions liées au « deleveraging », c'est-à-dire à la réduction par les banques de leurs engagements financiers et au « shadow banking », c'est-à-dire la finance non régulée, dite « de l'ombre ».
Bâle III est une réponse indispensable à la crise financière. Celle-ci, qui a été déclenchée en 2007 par l'effondrement de la pyramide des subprimes aux Etats-Unis, a mis en péril le système financier mondial. Un renforcement en profondeur de la réglementation était indispensable. Sous l'impulsion du G 20, le comité de Bâle a rapidement proposé un large éventail de mesures à la fois quantitatives et qualitatives.
En 2009, il a développé une première série de mesures visant à assurer une surveillance plus étroite et une meilleure couverture en fonds propres des activités de marché des banques. Ce dispositif, appelé « Bâle 2,5 », est entré en vigueur en Europe et en France depuis la fin de l'année 2011, comme s'y étaient engagés les chefs d'Etat et de Gouvernement au G 20.
A la fin de l'année 2010, le Comité de Bâle a finalisé un ensemble de nouvelles mesures constituant le dispositif Bâle III. Je rappelle en quelques mots que, sur le plan quantitatif, Bâle III va d'abord se traduire par un relèvement des exigences de solvabilité des banques, qui - sous la forme d'un ratio - rapportent les fonds propres qu'elles détiennent aux risques qu'elles prennent :
- au numérateur de ce ratio, la quantité ainsi que la qualité des fonds propres qu'elles devront détenir seront renforcées ;
- au dénominateur, les exigences de fonds propres relatives à leurs activités de marché, de titrisation et sur instruments dérivés seront nettement accrues.
Par ailleurs, les banques les plus importantes, c'est-à-dire celles jugées d'importance systémique, seront soumises à une charge en capital supplémentaire.
Outre un ratio de capital renforcé, Bâle III imposera aux banques de respecter des ratios de liquidité et de levier :
- deux ratios de liquidité, l'un à un mois (le liquidity coverage ratio - LCR) et visant à assurer que chaque banque puisse faire face à un choc de liquidité soudain ; l'autre à un an (le net stable funding ratio - NSFR) et visant à s'assurer que son activité de transformation est maîtrisée ;
- un ratio de levier (ou leverage ratio), destiné à limiter le total des engagements financiers globaux d'une banque, indépendamment de leur nature, au regard de ses fonds propres.
Bâle III ne se limite pas au renforcement ou à l'introduction de normes quantitatives de gestion. La réforme comporte des exigences accrues en matière de gouvernance, notamment une implication plus forte des organes dirigeants dans le dispositif de contrôle interne des banques, de mesure et de gestion des risques ainsi que de transparence financière.
En Europe, la mise en oeuvre de Bâle III sera effectuée via un règlement, d'application directe dans les Etats-membres, et via une directive dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2013. Ces deux textes permettront de renforcer encore l'harmonisation du marché unique des services financiers, grâce à la mise en place d'un corpus de règles unique. Par ailleurs, ils confient à l'ABE la charge de rédiger des standards techniques qui faciliteront une mise en oeuvre totalement homogène des nouvelles règles.
Le « calibrage » de la réforme doit être compatible avec le financement de l'économie.
La mise en oeuvre de Bâle III a été voulue progressive, s'échelonnant jusqu'en 2019, afin de renforcer la solidité des banques tout en continuant d'assurer le financement de l'économie.
Mais l'histoire s'est rapidement accélérée. Les incertitudes sur la capacité de certains Etats à maîtriser leurs équilibres budgétaires se sont, par effet de contagion, diffusées au système bancaire, notamment en Europe. Restaurer la croissance impose un pilotage fin, auquel le Système européen des banques centrales prend une part importante, en coordination étroite avec les superviseurs bancaires nationaux et les organismes européens et internationaux. Je pense à cet égard aux mesures de soutien décidées en décembre 2011 par le Conseil des gouverneurs de la BCE : opérations de refinancement d'une durée de 36 mois, réduction du taux des réserves obligatoires et mesures visant à accroître la disponibilité des garanties.
Si ces actions ont permis de relativement dégripper le marché interbancaire, quelques points de Bâle III méritent d'être revus compte tenu de leurs conséquences inattendues et/ou indésirables. Il en est ainsi de certains aspects du ratio de liquidité à court terme (le LCR). Avant de les évoquer, je souhaite d'abord souligner que la mise en oeuvre de standards quantitatifs de liquidité harmonisés au niveau international constitue une avancée incontestable. J'ajouterais même, pour ne parler que du LCR, qu'il réaffirme quelques évidences que certains établissements ont pu oublier, la première étant que le métier d'une banque est avant tout de collecter des dépôts et d'octroyer des crédits. Le LCR présente encore néanmoins, dans son calibrage, des imperfections tant au niveau de la définition, trop étroite, des actifs liquides qu'il retient, que dans son traitement, parfois trop conservateur, des flux de trésorerie des banques. Il est donc important de revoir ce calibrage car les conséquences de ce ratio sont considérables sur certains financements comme celui des entreprises et des collectivités locales. Les discussions internationales se poursuivent en la matière.
Les conséquences de Bâle III sur le financement de l'économie sont, à juste titre, surveillées.
L'analyse des conséquences possibles de Bâle III sur le financement de l'économie a fait l'objet d'études approfondies sous l'égide du comité de Bâle et de la Banque des règlements internationaux (BRI). C'est un sujet complexe que je souhaite évoquer concrètement en prenant deux exemples : le financement des petites et moyennes entreprises (PME) et celui des collectivités locales.
S'agissant des PME, il est important de souligner qu'elles reçoivent déjà actuellement, au titre du risque de crédit, un traitement plus favorable que les grandes entreprises. Ce traitement favorable est conservé dans Bâle III. En pratique d'ailleurs, les statistiques de la Banque de France montrent que les PME dans leur ensemble n'ont pas subi un resserrement de l'accès au crédit pendant la crise. À fin novembre 2011, les encours de crédits accordés aux PME avaient progressé de + 5 % par rapport à novembre 2010, soit un rythme supérieur à celui du PIB.
En ce qui concerne le financement des collectivités locales, l'impact de Bâle III est une question particulièrement prégnante. Leur traitement au titre du risque de crédit, qui leur est très favorable, restera inchangé. En revanche, la mise en oeuvre des ratios de liquidité et de levier pourrait avoir un impact négatif sur leur financement. Cependant, ces nouvelles normes, et notamment leur calibrage, sont encore en cours de discussion et il serait donc prématuré de conclure définitivement sur les conséquences de leur mise en oeuvre.
Le « deleveraging » et le « shadow banking » font l'objet d'une attention particulière.
Dans un effort pour restaurer la confiance, les banques françaises, qui ont déjà renforcé de manière considérable leurs fonds propres ces dernières années, ont annoncé, avant même la mise en oeuvre complète de Bâle III, diverses mesures destinées à accroître encore leur solvabilité, notamment en réduisant le niveau de leurs engagements financiers. Ceci a fait craindre, ou peut faire craindre, un rationnement du crédit. Les plans présentés par les établissements français montrent à cet égard que ce sont principalement les activités de marché et le financement des activités en dollars qui supporteront le plus gros de cet effort de réduction.
L'ACP est en contact permanent avec les dirigeants des établissements de crédit et suit naturellement avec vigilance leur activité de crédit. Sur le marché des entreprises, globalement, c'est plutôt une baisse de la demande qui paraît être observée, les décisions d'investissement étant parfois repoussées par manque de visibilité sur les perspectives de l'activité économique. S'agissant des crédits immobiliers aux ménages, un tassement de la production peut être observé en raison notamment du niveau élevé des prix. Les activités de financement spécialisés, tels que le crédit à la consommation ou le crédit-bail, font quant à eux l'objet d'une revue stratégique par certains groupes, notamment dans les implantations à l'étranger où ceux-ci n'ont pas la taille critique nécessaire.
A cette occasion, il convient également de noter que la règlementation européenne transposant Bâle III en Europe devrait avoir des conséquences importantes pour les sociétés financières, qui exercent notamment des activités d'affacturage ou de financement de l'équipement des entreprises. Le règlement européen, d'application directe, devrait en effet modifier en profondeur la réglementation française existante en remettant en cause leur statut et donc en partie leur modèle économique. L'ACP les accompagne dans les réflexions qu'ils ont à mener à ce sujet.
La mise en oeuvre de Bâle III conduira à une distribution plus attentive du crédit et peut-être à un relèvement de son coût, mais elle permettra surtout à l'économie, française notamment, de pouvoir compter sur des banques solides, à même de résister à des chocs violents tout en continuant de financer les ménages et les entreprises. Cet objectif d'un secteur bancaire toujours plus robuste, notamment via une réglementation renforcée, ne doit cependant pas conduire à se désintéresser d'autres acteurs peu ou non régulés. Il est essentiel que la mise en oeuvre des nouvelles normes n'ait pas pour effet secondaire un développement des activités de la finance de l'ombre qui pourrait se faire au détriment de la stabilité financière et des consommateurs.