Intervention de Dominique Plihon

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion
Régulation bancaire et financement de l'économie — Table ronde

Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII) :

Mon propos n'ira pas autant dans le détail, mais aura pour objectif de donner une perspective plus critique et sans doute moins optimiste que celle des interventions qui viennent d'être faites.

Je commencerai par dire que l'inadaptation, voire certains effets pervers de la régulation ont une part de responsabilité dans la crise que nous connaissons depuis 2007. Or les régulateurs n'ont que partiellement tiré les leçons de ces carences : les réformes en cours montrent des progrès évidents, mais ils sont insuffisants, et parfois même contreproductifs.

Ainsi, il y a eu des avancées en matière de régulation macroprudentielle. Alors que la régulation était essentiellement microprudentielle et que plusieurs économistes, notamment M. de Larosière, s'en émouvaient, il y a eu progrès au niveau européen à travers la mise en place du Conseil européen du risque systémique. Mais ses prérogatives demeurent floues, à la différence de celles de son homologue américain.

De même, la procyclicité des banques et des régulations, terme qui était encore tabou il y a quelques années, est aujourd'hui prise en compte, en particulier à travers le coussin contracyclique. L'idée est bonne, même s'il constituera sans doute une usine à gaz.

On a également introduit deux outils essentiels avec les ratios de liquidité. C'était une grande carence dans le système, et le vide est désormais comblé, et harmonisé à l'échelle internationale.

Enfin, on introduit à juste titre un ratio pour limiter l'effet de levier des établissements bancaires. Cependant, on peut penser que ce ratio, qui est un ratio de fonds propres durs sur actifs, fixé à seulement 3 %, est trop limité.

De façon générale, je voudrais insister sur trois points concernant la régulation bancaire.

Tout d'abord, l'accent mis par Bâle III sur les ratios de fonds propres constitue selon moi un problème fondamental. En effet, la recherche de fonds propres à laquelle les banques sont ainsi contraintes les met encore davantage sous la dépendance des marchés, et encore davantage dans une logique actionnariale de recherche de bénéfices. De plus, cela induit une désintermédiation, ainsi que l'a souligné M. Pérol, c'est-à-dire que cela distend les relations entre les prêteurs et les emprunteurs ; je ne suis pas certain que cela soit bon pour une économie.

Il faut donc voir plus loin que les dispositifs mis en place. J'ai participé à un rapport pour le Conseil d'analyse économique, intitulé « Banques centrales et stabilité financière », avec Jean-Paul Betbèze et Jézabel Couppey-Soubeyran. Nous y avons écrit que la régulation devrait être davantage centrée sur le crédit des banques. En effet, comme l'a rappelé M. Pérol, le crédit est le principal canal du financement de notre économie ; mais c'est aussi un canal du risque, car c'est par l'emballement du crédit que se forment les bulles et l'instabilité financière.

Notre proposition est que, pour réguler le crédit des banques, il faut repenser les modalités de refinancement par les banques centrales. Il faudrait passer d'un refinancement global à un refinancement individualisé, évalué, groupe bancaire par groupe bancaire, selon que les banques se conforment aux règles, ou selon qu'elles financent les secteurs considérés comme stratégiques. En un mot, il s'agirait d'un refinancement sélectif. J'ajoute qu'il faut que la sélectivité soit aussi géographique : il était évident, avant la crise, qu'il fallait limiter la distribution de crédit en Irlande et en Espagne.

Pour que fonctionne un tel refinancement, il faut un système de réserve obligatoire de crédit. Lorsque le crédit progresse, les réserves augmenteraient à due proportion. Ainsi, on aurait un véritable frein à l'emballement du crédit.

J'ai conscience qu'il s'agit là d'une proposition iconoclaste, d'autant plus qu'elle remet en cause le principe du « level playing field », principe selon lequel les acteurs européens doivent jouer à armes égales, sans différence de traitement entre les uns et les autres. Mais le marché est incapable de réaliser seul l'allocation optimale, c'est pourquoi il faut que le régulateur intervienne.

Ma deuxième observation concerne le périmètre de la régulation bancaire. Il devrait être élargi pour intégrer le « shadow banking ». C'est dans ce cadre non règlementé que se sont déroulées, aux Etats-Unis, les opérations et les prises de risque qui ont conduit à la crise. Dans le « shadow banking », il y a la banque d'investissement, les fonds spéculatifs, les opérations de hors bilan. Certes, à travers la nouvelle réglementation, il y a des avancées. Mais il est nécessaire de prendre une réglementation beaucoup plus contraignante : ainsi la directive européenne sur les fonds spéculatifs n'est pas du tout de nature à modifier le comportement de ces fonds.

Enfin, mon troisième point concerne le modèle économique des banques. Il faut en effet que les banques se recentrent sur leur coeur de métier, qui est de financer l'économie par les crédits, collecter et gérer l'épargne des ménages, et gérer le risque sans le transférer à d'autres acteurs. Or les innovations financières sont mal utilisées et éloignent les banques de leur coeur de métier. Par exemple, les banques ont eu tendance à transférer le risque à d'autres acteurs non régulés, à travers la titrisation.

Je voudrais citer deux économistes, J. M. Keynes et P. Krugman. Ils disent qu'il faut que le métier de banquier redevienne ennuyeux. Par exemple, il faut également poser la question des rémunérations. Le niveau des salaires des cadres de la finance est 40 % supérieur à celui des cadres de l'industrie. Cela explique en partie la désindustrialisation de la France.

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