La précarisation subjective est une conviction théorique qui s'est imposée à moi au cours de mes années de recherche. Elle ne doit toutefois pas être entendue comme un complot mais comme une stratégie jugée nécessaire par les employeurs pour répondre aux exigences imposées par la compétition économique avec une population jugée difficile. Comme tous les autres salariés, les managers se plaignent de l'écart entre leurs objectifs et les moyens, en l'occurrence humains, mis à leur disposition. Ceci est aussi vrai dans le secteur public où le modèle du fonctionnaire travaillant en son âme et conscience est remis en cause par une politique de changements destinés à les forcer à se remettre en cause.
Le drame de notre époque est de refuser de voir la dimension conflictuelle de cette réalité et de postuler le consensus plutôt que de s'engager dans la recherche d'un compromis. Tant que cela durera, les responsables des ressources humaines continueront à se tourner vers les psychologues ou même vers les militaires afin de recueillir leur expertise, faute de savoir comment agir.
Quant à l'impact pour la société de l'entrée massive des femmes sur le marché du travail, je suis frappée par la volonté des entreprises de prendre de plus en plus en charge des aspects de la vie privée : crèches d'entreprises, conciergeries, pressing, livraison de fleurs... En application du principe selon lequel il n'y a pas de changement de mode de production sans changement de société, l'entreprise s'intéresse à la vie familiale afin de la rendre compatible avec le travail. Les femmes peuvent d'ailleurs leur paraître mieux adaptées que les hommes aux exigences d'une flexibilité à laquelle elles sont déjà accoutumées. Certaines femmes cadres ne demandent par exemple qu'un peu de flexibilité en échange de quoi, elles acceptent de travailler 70 heures par semaine sinon plus.