Intervention de Nicole Bricq

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 décembre 2011 : 1ère réunion
Exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement — Examen du rapport

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, rapporteure :

Cette proposition de règlement de la Commission européenne forme avec une proposition de directive le dispositif communément appelé « CRD 4 », présenté le 20 juillet 2011. Ce « paquet » CRD 4 constitue la pièce maîtresse de la transposition des nouvelles normes prudentielles adoptées le 16 décembre 2010 par le Comité de Bâle, dites « Bâle III ». Son adoption est espérée pour le printemps 2012.

Cette proposition de règlement est d'harmonisation maximale. Dans la continuité de Bâle II, le dispositif de Bâle III comporte toutefois un « deuxième pilier » de surveillance prudentielle de l'ensemble des risques bancaires, intégrant notamment ceux hors-bilan. Dans le cadre de ce pilier, les autorités nationales peuvent imposer des exigences supplémentaires en capital aux banques relevant de leur champ de supervision, en fonction de leur situation et caractéristiques propres.

En application du 3 de l'article 73 octies du règlement du Sénat, la proposition de résolution a été renvoyée à la commission des finances. Nous sommes donc conduits à statuer sur son adoption ou son rejet.

Cette proposition de résolution porte plus particulièrement sur l'article 443 de la proposition de règlement de la Commission, qui habilite cette dernière à prendre des actes délégués sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit. Cette habilitation peut « notamment » être conférée sur recommandation ou avis du Comité européen du risque systémique (CERS), et s'inscrit dans une procédure d'urgence définie par les articles 445 et 446.

L'article 443 dispose ainsi que « la Commission est habilitée, notamment sur recommandation ou avis du CERS, à adopter des actes délégués conformément à l'article 445 pour imposer, pour un laps de temps limité, des exigences prudentielles plus strictes pour toutes les expositions ou pour celles sur un ou plusieurs secteurs, régions ou Etats membres, dans la mesure nécessaire pour réagir à d'éventuelles variations d'intensité des risques micro- et macroprudentiels dues à l'évolution du marché ». Il établit une liste des exigences prudentielles sur lesquelles peuvent porter les actes délégués.

Cette délégation de pouvoir à la Commission européenne est très large, ce qui conduit nos collègues de la commission des affaires européennes à considérer que, dans sa rédaction actuelle, l'article 443 n'est pas conforme au principe de subsidiarité prévu par l'article 5 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et ce à quatre titres :

Il tend à excéder la nature même d'un acte délégué au regard des dispositions de l'article 290 du Traité, qui prévoit que la Commission peut adopter un tel acte non législatif pour compléter ou modifier « certains éléments non essentiels » d'un acte législatif.

Son champ d'application est défini de manière imprécise et est potentiellement très étendu si l'on considère tant l'objectif énoncé (« réagir à d'éventuelles variations d'intensité des risques micro- et macroprudentiels dues à l'évolution du marché ») que la liste des exigences prudentielles explicitement visées. De même, la durée d'application de l'acte délégué, définie comme « un laps de temps limité », apparaît insuffisamment encadrée, même si l'article 445 dispose que « la délégation de pouvoir (...) peut être révoquée à tout moment par le Parlement européen ou le Conseil ».

Il s'articule mal avec - voire tend à « concurrencer » - le subtil partage de compétences prévu lors de situations d'urgence dans le cadre du système européen de surveillance financière (SESF), qui associe le Conseil, le CERS, la Commission européenne et les trois autorités européennes de surveillance, en l'espèce l'Autorité bancaire européenne (ABE). L'article 443 crée, à tout le moins, une ambiguïté puisqu'il a vocation à traiter des situations proches de celles régies par cette répartition des compétences, tout en octroyant à la Commission de larges pouvoirs décisionnels.

Enfin, la commission des affaires européennes a constaté le défaut de motivation de l'article 443, en particulier au titre du respect du principe de subsidiarité. Le point 4.2 de l'exposé des motifs de la proposition de règlement traite de la subsidiarité, mais dans une perspective très générale, motivée par l'exigence légitime d'harmonisation des règles prudentielles.

J'estime que ces objections sont fondées et que le dispositif de délégation, tel qu'il est rédigé, tend à excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé - la stabilité financière européenne -, ce qui contrevient à l'esprit et à la lettre du principe de subsidiarité. On a en quelque sorte le sentiment que la Commission cherche à « récupérer » une latitude et des pouvoirs qu'elle n'a pas obtenus lors des âpres négociations de 2010 sur le SESF.

De même, ce dispositif confère à la Commission des pouvoirs de relèvement des exigences prudentielles analogues à ceux dont disposent les autorités nationales au titre du « deuxième pilier » de Bâle III. Certes, le cadre de mise en oeuvre est a priori distinct puisque les autorités nationales interviennent au cas par cas, sur une base micro-prudentielle, tandis que les actes délégués pris par la Commission auraient une vocation plutôt macro-prudentielle, en fonction d'une situation ponctuelle de risque à l'échelle européenne, commune à plusieurs secteurs ou Etats-membres.

Néanmoins, la délégation dont bénéficierait la Commission pourrait, en l'état, fragiliser la portée de ce deuxième pilier, que le nouveau régime de Bâle III entend crédibiliser et renforcer, dans la mesure où il a été peu utilisé sous le régime antérieur à la crise financière. Il importe donc de garantir la pleine compatibilité de la délégation de pouvoir accordée à la Commission avec les prérogatives des régulateurs nationaux.

La rédaction de l'article 443 devrait par conséquent être révisée aux fins de mieux encadrer la délégation de pouvoir ainsi accordée à la Commission. Outre quelques modifications rédactionnelles et précisions, je vous propose d'apporter quatre aménagements à cette proposition de résolution :

- insérer une mention selon laquelle la délégation accordée à la Commission européenne tend à excéder la nature même d'un acte délégué au regard des dispositions de l'article 290 du TFUE, ainsi que je l'ai relevé tout à l'heure ;

- supprimer le paragraphe de la proposition qui dispose qu' « en l'état, il n'est pas démontré que, dans les situations visées à l'article 443 et notamment en cas d'urgence, une intervention de la Commission européenne soit plus à même d'être efficace que l'intervention du régulateur national ou des autorités européennes de surveillance ». Ce paragraphe tend, en effet, à remettre en question la légitimité même d'une procédure de délégation que je ne conteste pas mais qu'il est nécessaire de mieux circonscrire ;

- faire explicitement référence au deuxième pilier du régime de Bâle, qui détermine la marge de manoeuvre dont disposent les autorités nationales de régulation bancaire ;

- insister sur le fait que cette délégation de pouvoir doit s'exercer sans préjudice des compétences conférées en situation d'urgence au CERS et à l'ABE dans le cadre du système européen de surveillance financière, ni de celles dont sont investies les autorités nationales au titre du deuxième pilier.

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